Vous connaissez les difficultés économiques récurrentes rencontrées par la société Presstalis, messagerie qui assure la distribution de l'intégralité des quotidiens nationaux. L'entreprise a bénéficié d'un plan de continuation homologué en mars 2018 par le tribunal de commerce, auquel l'État a contribué par un prêt d'un montant de 90 millions d'euros. Elle affichera cette année des fonds propres négatifs d'environ 450 millions d'euros.
Cette situation rend indispensable l'adaptation de la loi Bichet. Si celle-ci est une icône de la République, elle ne doit pas être un totem : ce n'est qu'à condition d'être modernisée qu'elle pourra continuer de se conformer aux objectifs démocratiques qui lui sont assignés.
Moderniser la distribution de la presse au numéro sans casser le système actuel : voilà la tâche délicate qui nous incombe.
Délicate, parce qu'il n'est pas aisé de modifier un texte aussi ancien et d'une telle force symbolique.
Délicate, parce que sur ce texte s'est construit, depuis plus de soixante-dix ans, un système complexe dans lequel les intérêts de tous les acteurs sont intimement imbriqués, qu'il s'agisse des différentes familles de presse – d'information politique et générale ou non, quotidienne ou non – ou des différents échelons de la distribution – messageries, dépositaires, diffuseurs. Or ce système a pu être à l'origine de graves dysfonctionnements, montrant ainsi ses limites.
Je crois pourtant que le projet présenté par le Gouvernement parvient à résoudre cette équation. Fruit d'un travail long et approfondi, mené en concertation constante avec l'ensemble du secteur, ce texte équilibré permet de protéger l'intégrité de la distribution de la presse. Il préserve également la diversité des publications – laquelle garantit l'expression de la pluralité des opinions – , un service de proximité dans l'ensemble du territoire national et tout particulièrement dans les zones rurales, ainsi que l'avenir d'une filière et de professionnels confrontés pour certains à d'importantes difficultés.
Oui, ce projet de loi préserve les principes essentiels de la loi Bichet, ce socle qui fonde notre réseau de distribution. II préserve le principe coopératif obligatoire, auquel sont très attachés la plupart des acteurs de la filière, qui y voient une garantie solide d'équité de traitement entre tous les éditeurs. J'ai pu entendre dire, ici ou là, que le projet de loi mettrait fin au système coopératif. C'est faux : nous l'avons bien maintenu.
Le projet de loi tend également à préserver le droit absolu à la distribution de l'ensemble des titres d'information politique et générale, qui resteront libres de choisir les points de vente où sont vendus leurs titres et les quantités servies. Il tend enfin à conserver un système permettant l'accès à une grande variété de publications dans l'ensemble du territoire national. Car si la France propose le plus grand nombre de titres en Europe, c'est grâce à cette loi de 1947, grâce à la loi Bichet.
Dans sa rédaction actuelle, la loi pose toutefois des difficultés que de nombreux rapports et analyses publiés depuis plus de dix ans ont mises en lumière.
Tout d'abord, l'obligation de détention majoritaire du capital des messageries par les éditeurs place ceux-ci – à la fois clients et actionnaires – dans une situation structurelle de conflit d'intérêts où les intérêts du client tendent à prévaloir sur l'équilibre économique et financier des messageries.
Ensuite, alors qu'ils assurent le rôle essentiel d'interface commerciale avec le client lecteur, les marchands de journaux n'ont aujourd'hui aucun contrôle sur le type de publications qu'ils reçoivent, ni sur les quantités d'exemplaires livrés. Il nous faut donc redonner une vraie marge de manoeuvre à ces acteurs essentiels de la filière et stimuler leur capacité d'adaptation aux réalités du marché.
Enfin, les organes de régulation de la filière disposent de prérogatives et de moyens trop limités. Sans mettre en cause la qualité du travail réalisé par les équipes du Conseil supérieur des messageries de presse et de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse – auxquels je tiens à rendre hommage pour leur engagement constant au service de la modernisation de la filière, face à des jeux d'acteurs souvent complexes – , nous constatons qu'aujourd'hui la régulation n'est pas en mesure d'accompagner efficacement la modernisation de la filière ni de garantir sa pérennité.
Le projet qui vous est soumis vise à remédier à ces limites et à ces dysfonctionnements sans pour autant remettre en cause les principes essentiels que j'ai rappelés plus tôt. Il propose une vraie modernisation du cadre législatif, assortie de modalités et d'un calendrier permettant d'accompagner la transition.
Cette modernisation tient en cinq points.
Premièrement, le projet de loi propose de confier la régulation du secteur à l'ARCEP – Autorité de régulation des communications électroniques et des postes – , compétente et légitime en matière de régulation économique. Le texte lui donne des pouvoirs d'intervention significatifs, en particulier concernant l'homologation des barèmes, et un pouvoir de sanction dont étaient dépourvus le Conseil supérieur des messageries de presse et l'Autorité de régulation de la distribution de la presse.
Deuxièmement, la fin de l'obligation de détention de la majorité du capital des messageries par les coopératives d'éditeurs dégagera de nouvelles perspectives de stratégie industrielle pour les acteurs actuels. De plus, à moyen terme, elle autorisera d'autres acteurs à proposer un service de distribution de la presse, à la condition – sur laquelle j'insiste particulièrement – qu'ils soient agréés par l'ARCEP sur le fondement d'un cahier des charges strict, établi par décret.
Toutefois, la possibilité pour l'ARCEP de délivrer des agréments à d'autres acteurs que les deux messageries actuelles ne pourra se concrétiser qu'après une phase de transition. Le projet de loi autorise ainsi le Gouvernement à différer jusqu'au 1er janvier 2023 la publication du cahier des charges définissant les conditions de l'agrément, et le Gouvernement entend mettre entièrement à profit ce délai afin de laisser aux acteurs actuels un temps d'adaptation raisonnable.
Troisièmement – c'est un point qui revêt une importance toute particulière dans nos territoires – , le texte accorde une plus grande souplesse aux marchands de journaux dans le choix des titres qu'ils distribuent, en dehors de la presse d'information politique et générale et des titres admis au régime économique de la presse par la commission paritaire des publications et agences de presse – CPPAP – faisant l'objet d'un assortiment. Cet élément essentiel de modernisation doit leur permettre d'améliorer leur attractivité commerciale et de proposer une offre plus adaptée aux attentes des lecteurs de nos régions, de nos départements et de nos communes. Les marchands de journaux y trouveront un nouveau souffle, et l'attractivité de leur métier, aujourd'hui affaibli par des conditions d'exercice trop difficiles, ne pourra qu'en être accrue.
Quatrièmement – c'est tout l'enjeu d'un texte moderne, adapté à la réalité des usages de nos concitoyens – , le projet de loi étend les principes de la loi Bichet à la diffusion numérique. D'une part, il accorde aux éditeurs de titres d'information politique et générale un droit d'accès aux kiosques numériques. D'autre part, il impose aux agrégateurs d'information en ligne une triple obligation de transparence : d'abord, concernant leurs choix de mise en avant des contenus ; ensuite, concernant la manière dont ils utilisent nos données personnelles ; enfin, concernant les résultats concrets de leur paramétrage sur la diversité des sources d'information qu'ils référencent.
Cinquièmement, le projet de loi confie à l'ARCEP la mission d'élaborer un schéma territorial d'orientation de la distribution de la presse, qui devra intégrer le rôle joué par les dépositaires régionaux de presse ainsi que les perspectives d'évolution.
Ces grands axes offrent un cadre équilibré à l'indispensable évolution du dispositif actuel de distribution de la presse au numéro, dont la pérennité est essentielle à l'équilibre économique de l'ensemble de la filière.
L'adaptation du statut des vendeurs-colporteurs de presse aux enjeux du portage multititres, également proposée par le projet de loi et très attendue par les réseaux de portage, notamment de la presse quotidienne et régionale, confortera également la distribution de la presse sur tout le territoire.
Je tiens à remercier l'ensemble des acteurs de la filière de leur contribution, directe ou indirecte, à ce texte. Je veux également vous remercier, vous, mesdames et messieurs les députés, de l'esprit constructif et transpartisan dont vous avez su faire preuve sous l'égide de votre rapporteur, Laurent Garcia.
Je veux aussi saluer les débats fructueux et le travail approfondi menés par la commission des affaires culturelles et de l'éducation, emmenée par son président, Bruno Studer. Grâce à ce travail, les ambiguïtés qui subsistaient dans le texte ont été dissipées – ou le seront à la faveur du débat que nous entamerons tout à l'heure. Je m'en réjouis : vous savez que je suis extrêmement attaché à la coconstruction des textes et je suis persuadé que nous sommes toujours meilleurs quand nous jouons collectif.
Je veux également remercier les sénateurs, en premier lieu le rapporteur du projet de loi, Michel Laugier, ainsi que la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, Catherine Morin-Desailly, qui ont beaucoup contribué à améliorer le texte présenté par le Gouvernement en première lecture au Sénat.
En dehors même de ce projet de loi, le Gouvernement est pleinement mobilisé pour soutenir le secteur de la presse et pour garantir les conditions d'exercice de la liberté de la presse. La création d'un droit voisin pour les éditeurs de presse et les agences de presse, que vous venez de voter à la quasi-unanimité, est de ce point de vue une étape fondamentale. Nous pouvons être fiers d'être le premier pays européen à transposer ce texte, là encore grâce à un travail transpartisan efficace des deux chambres. Je forme désormais le souhait que la filière sache se montrer unie pour ne pas donner prise aux stratégies de division qu'utiliseront certainement les plateformes numériques dans les négociations à venir.
Le soutien du Gouvernement à la presse repose en premier lieu sur un système d'aides : aides à la distribution physique – portage, transport postal et distribution au numéro – , aides au pluralisme pour les titres à faibles ressources publicitaires, aides à la modernisation, à l'émergence et aux médias de proximité. Toutes sont essentielles à la vitalité de notre débat démocratique et à l'accès de nos concitoyens à une information fiable et diversifiée.
C'est dans ce cadre et dans cet esprit que nous examinons actuellement le projet de plan de filière présenté par les principaux éditeurs de la presse d'information politique et générale au ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, et à moi-même, dans le but d'accompagner la modernisation du secteur.
Défendre la liberté de la presse, c'est également protéger la loi de 1881, garante de la liberté d'expression. Oui, les réseaux sociaux permettent d'en abuser ; c'est un fait. Oui, il faut apporter une réponse spécifique aux délits d'injure et de diffamation lorsqu'ils sont commis sur internet ; c'est indéniable ; tel était du reste le sens de la proposition de loi déposée par Mme Laetitia Avia et que vous avez adoptée il y a quelques jours.
Mais faut-il pour autant retirer l'injure et la diffamation de la loi de 1881 et les exclure de son régime procédural spécifique ? Je ne crois pas que ce soit là une réponse satisfaisante. Davantage responsabiliser les plateformes numériques, renforcer leur devoir de coopération avec les pouvoirs publics : voilà, à mon avis, la bonne réponse – qui n'implique pas de modifier la loi de 1881.
Le Premier ministre l'a très clairement affirmé la semaine dernière, lors d'une réunion avec les représentants des journalistes et des éditeurs de presse : la loi de 1881 est un tout. Elle proclame une liberté, permet la répression de ses abus et organise une procédure particulière et protectrice, adaptée au fait que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme » : c'est cet équilibre qui la fonde ; nous devons le préserver.
Défendre la liberté de la presse et permettre aux journalistes d'informer, c'est également nous assurer de la confiance que les citoyens placent dans les médias. Or cette confiance n'a jamais été aussi faible.
À cet égard, la création d'une instance d'autorégulation de la profession pourrait contribuer à inverser la tendance. La réflexion conduite à ce sujet par Emmanuel Hoog, qui m'a remis son rapport à la fin du mois de mars dernier, est légitime et utile tant à la profession qu'à notre démocratie. C'est maintenant à la profession de se saisir de cette question et de lui apporter la réponse qui lui semble la plus appropriée.
Je tiens à le rappeler : une instance de déontologie n'est pas un conseil de l'ordre. Elle n'a pas vocation à prononcer des sanctions, ce que fait le Conseil national de l'ordre des médecins, mais seulement à rendre des avis.
J'insiste également sur le fait que ce n'est pas à l'État que revient de procéder à la création d'une telle instance, même s'il peut l'accompagner ; c'est à la profession, et à elle seule, de s'organiser. Une démarche en ce sens a été entreprise par l'Observatoire de la déontologie des journalistes ; nous pouvons nous en réjouir.
Mesdames et messieurs les députés, ensemble, c'est une nouvelle page de l'histoire de la presse écrite que nous écrivons, c'est l'avenir de ce secteur que nous construisons. Pour y parvenir, nous ne partirons pas de zéro : nous repartirons des indispensables acquis de la loi Bichet. C'est tout le sens du projet de loi que vous examinez aujourd'hui.