L'enjeu du projet de loi qui nous occupe est majeur ; voici pourquoi.
Nous savons tous l'attachement de nos concitoyens à leur presse – locale en particulier, nationale dans une moindre mesure. Cet attachement a autant à voir avec la nécessité de l'information qu'avec celle du débat d'idées, et donc du cadre démocratique dans lequel celui-ci doit se tenir. C'était d'ailleurs l'un des enjeux que la loi Bichet, dans sa première rédaction, cherchait à traiter : il fallait assurer la distribution, sur l'ensemble du territoire, d'une presse libre et pluraliste, qui reflète autant que faire se peut les différents courants d'opinion de la société française.
Cet objectif, nous pouvons le dire, a été atteint. L'organisation mise en oeuvre, qui avait fait l'objet d'un consensus, a tenu ses promesses et a permis la naissance et la subsistance d'une presse d'opinion extrêmement diverse jusqu'à aujourd'hui. Toutefois, nous ne pouvons plus en rester là vu l'évolution du secteur au cours des dernières années. Tel est l'objet du présent projet de loi.
Cette évolution, nous la connaissons. Elle est marquée par plusieurs difficultés qui se chevauchent et qui, mises bout à bout, annoncent avec certitude l'écroulement de toute la filière, laquelle ne survit plus désormais que par injection d'argent public, ce qui n'est pas sans poser des questions et, surtout, ne peut plus durer.
Elle est marquée, notamment, par des effets conjoncturels. C'est un fait : le lectorat de la presse d'opinion au format papier se réduit. Ne voyons pas là la marque d'un désintérêt de nos concitoyens pour le fait politique et le fait public, mais simplement un déport de leur attention vers d'autres sources, essentiellement numériques, qui offrent en outre l'avantage d'ouvrir largement les champs de l'expression politique. Cela ne va toutefois pas sans poser des problèmes, s'agissant en particulier de la fiabilité des informations, de la rigueur et de la déontologie journalistiques – nous en avons des exemples tous les jours, ou presque.
À cette difficulté, nous avons déjà commencé à réagir, notamment par la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information. Le présent texte cherche quant à lui à résoudre la seconde difficulté du secteur, due à des dysfonctionnements internes qui entraînent, entre autres, un manque de flexibilité, et à un mode de régulation qui ne favorise pas le renouvellement.
Il y a donc urgence à agir. Plusieurs plans ont été proposés, ces dernières années, pour tenter de remédier, toujours partiellement, à la grande difficulté dans laquelle se trouve Presstalis. Des mouvements internes ont eu lieu pour réformer en profondeur l'entreprise. Nous savons que beaucoup a été fait, que beaucoup a été demandé, mais cela s'est révélé insuffisant et, surtout, inefficace dans un contexte où la vente au numéro ne cesse de baisser. Le système, tel qu'il existait jusqu'alors, ne pouvait subsister qu'à condition de se trouver dans un marché en expansion. Dès lors que ce dernier se rétracte, l'équilibre général s'en trouve remis en cause. Il est aujourd'hui indispensable d'adapter le système à cet état de fait ; nous saluons donc l'initiative du Gouvernement, qui prend le dossier à bras-le-corps afin d'apporter une réponse concrète et efficace au problème.
À cet égard, le législateur se doit d'intervenir à plusieurs niveaux.
Il doit, tout d'abord, libéraliser et assouplir les règles de l'assortiment des titres de presse en vue de désencombrer les linéaires de presse. Nous connaissons tous ces situations dans lesquelles des dizaines de journaux peuvent rester sur les bras des marchands. Ces invendus sont tels qu'ils mettent parfois en difficulté les marchands de presse, tenus de payer pour des titres dont ils savent qu'ils ne se vendront pas dans leur étal. Il fallait donc offrir de la souplesse tout en garantissant la diffusion la plus large possible des titres concourant à la vitalité démocratique de notre pays. Il était donc indispensable de préserver le droit inconditionnel d'accès des publications d'information politique et générale au réseau de distribution de la presse.
Il revient également au législateur d'encadrer la diffusion numérique de la presse, afin que les nouveaux acteurs entrent à leur tour dans le cadre démocratique et se plient aux règles du jeu communes. Les kiosques numériques se trouveront ainsi soumis à la réglementation en vigueur et tenus de proposer une variété de titres reflétant les multiples sensibilités de la vie sociale et politique française. Cela va dans le sens de la régulation du monde numérique que nous avons engagée depuis plusieurs années et qui se joue désormais aux niveaux européen et mondial.
L'autre enjeu de taille est la mise en place d'un régulateur du secteur enfin efficace et débarrassé des soupçons de collusion et de conflit d'intérêts parmi ses membres, qui se trouvaient être les mêmes aux deux bouts de la chaîne.
La proposition faite par le Gouvernement permettra, à n'en pas douter, de réguler le secteur de manière plus efficace, en mettant fin au système bicéphale qui rendait l'ensemble trop complexe et inapte à la décision. Comme le souligne le rapporteur, « la consanguinité de cette régulation n'a pas été endiguée par la création, en 2011, d'une nouvelle autorité de régulation ». De même, l'autorégulation a montré ses limites : la présence des professionnels à tous les étages a contribué à créer des conflits d'intérêts majeurs qui ont empêché d'atteindre l'équilibre économique nécessaire à la bonne application des principes fondateurs de la loi Bichet. Nous savons les réserves que suscite cette instance unique de régulation, mais elle nous paraît, en l'état, la mieux adaptée. En tous cas, nous ne pouvions maintenir le système actuel qui, disons-le, ne jouait plus du tout son rôle. Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés soutient donc pleinement la mesure.
Le but du texte est bien de faire respecter les principes initiaux de la loi Bichet : liberté de la diffusion de la presse, continuité de la distribution de la presse d'information politique et générale, solidarité entre les entreprises de presse, couverture large et équilibrée du territoire par le réseau des points de vente.
Le nouveau régulateur, l'ARCEP, disposera de tous les leviers lui permettant de faire respecter ces principes. Il aura aussi le devoir de préparer l'ouverture du secteur de la distribution à de nouveaux acteurs en mettant au point un cahier des charges qui garantisse ces équilibres. En commission, notre groupe a souhaité revenir à l'intention initiale du projet de loi en allant au bout de la démarche et en garantissant que les nouveaux entrants puissent définir eux-mêmes l'organisation de leur circuit de distribution ; nous sommes satisfaits de voir que cet amendement a pu être intégré au texte dont nous discutons en séance.
À ces missions s'ajoute la réglementation de l'implantation de nouveaux points de vente ou encore la garantie du respect de l'accord interprofessionnel relatif à l'assortiment. Ce vaste ensemble de compétences soulève la question des moyens dont disposera l'Autorité pour les exercer. Nous allons ici dans le même sens que le rapporteur, qui souligne la nécessité de doter l'Autorité de moyens juridiques et humains suffisants pour qu'elle puisse accomplir toutes ses missions.
Nous saluons l'esprit d'ouverture dans lequel le rapporteur et le Gouvernement ont travaillé pour qu'au sein de notre assemblée la plus grande majorité possible puisse s'emparer du sujet, lequel doit de fait nous rassembler au-delà de nos étiquettes politiques. Les échanges en commission ont été fournis et le travail en vue de la séance a fait évoluer de nombreuses positions. Des réécritures ont été proposées. Nous saluons cette méthode qui, nous le croyons, porte ses fruits.
Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés soutiendra une réforme du secteur rendue indispensable par la situation que j'ai décrite il y a quelques instants. Au Sénat, le projet de loi a été largement approuvé. Nous espérons que les principes que le texte entend faire respecter recueilleront, dans notre assemblée, un accord analogue.