Peut-être avez-vous lu Kiosque, ce roman de Jean Rouaud qui décrit la vie d'un marchand de journaux. Il s'agit de sa propre vie : avant de décrocher le prix Goncourt, il était kiosquier à Paris, rue de Flandres. « On est toujours debout, à l'étroit, sans chauffage ni toilettes », écrit-il. Cette vie ne fait pas rêver ! Et pourtant, un kiosque est un lieu de culture, de rencontres, d'échanges cocasses, péremptoires ou avisés sur l'actualité.
Mais pour combien de temps encore ? Chaque année, un millier de marchands de presse tirent le rideau, épuisés par les horaires de travail, étranglés par des revenus trop irréguliers, harassés par la masse d'imprimés qui débordent des camions chaque matin – plus de 4 000 titres qu'ils ne peuvent pas refuser, même s'ils saturent les linéaires de leurs commerces.
Dès lors, comment croire que la loi Bichet est toujours adaptée ? Bien sûr, ce texte emblématique a permis d'organiser la pluralité de l'information et l'égalité entre les éditeurs dans l'après-guerre. Avec ce cadre, unique au monde, la presse française est devenue accessible partout et à tous.
Mais les difficultés rencontrées par ce système de distribution et son premier opérateur, Presstalis, ont montré qu'il ne convient plus à un secteur largement bouleversé, ces dernières années, par les développements numériques, la multiplicité des titres qui encombrent le réseau, ou encore par l'évolution des pratiques de lecture.
De plus, ce cadre juridique rigidifie l'ensemble du système et place même des éditeurs en situation de conflit d'intérêts, lorsqu'ils sont à la fois clients et actionnaires majoritaires des sociétés qui assurent la distribution de leurs titres.
Le projet de loi qui nous est proposé a donc pour objectif de moderniser les règles applicables à la distribution de la presse au numéro. Il montre que l'on peut obtenir un modèle plus efficient, tout en maintenant les principes fondateurs qui garantissent, depuis 1947, la diffusion libre et impartiale de la presse sur l'ensemble du territoire national. Le texte réaffirme donc les éléments fondamentaux de la loi Bichet, notamment l'obligation de se constituer en coopérative pour les éditeurs qui souhaitent se grouper afin de faire distribuer leurs titres.
En premier lieu, il garantit la continuité de la distribution de la presse, en laissant aux deux principales messageries un temps d'adaptation avant d'autoriser l'arrivée de nouveaux acteurs : un délai qui paraît raisonnable puisqu'il va jusqu'au 1er janvier 2023, date de la fin du plan de redressement de Presstalis.
Le texte donne également aux marchands de journaux plus de latitude dans le choix des publications qu'ils reçoivent. Il s'agit de retrouver l'intérêt de ce métier et de préserver le réseau de ces 23 000 professionnels. Cette liberté accrue permettra également de limiter les invendus, dont le coût environnemental ne cesse de gonfler.
Plusieurs expériences récentes ont montré que la diminution du nombre de titres présentés permet d'augmenter les ventes, en rendant les commerces plus attractifs.
Pour autant, la presse d'information politique et générale, dont la valeur constitutionnelle est reconnue, conservera son droit d'accès intégral et absolu au réseau de distribution. Là encore, c'est l'un des grands principes de la loi Bichet qui est réaffirmé.
Si le texte donne plus de liberté aux acteurs de la filière, il n'oublie pas d'unifier et de renforcer la régulation pour prévenir les dérives et sanctionner les excès. Supprimant les deux organes existants, le Conseil supérieur des messageries de presse – CSMP – et l'Autorité de régulation de la distribution de la presse – ARDP – , il confie la régulation à l'ARCEP, dont les compétences techniques, juridiques et économiques sont unanimement reconnues.
Enfin, la garantie du pluralisme est étendue à la diffusion numérique, puisque les éditeurs de titres d'IPG auront un droit d'accès aux kiosques numériques. Le texte impose aussi des obligations de transparence pour les choix opérés par les agrégateurs d'informations.
À l'occasion des nombreuses auditions, auxquelles j'ai participé avec M. le rapporteur, nous avons pu mesurer la satisfaction d'un très grand nombre d'acteurs de la filière, et souligner la célérité du Gouvernement, qui a retenu les propositions les plus judicieuses du rapport de Marc Schwartz.
C'est donc un texte équilibré qui nous est proposé. Il a fait l'objet d'un examen minutieux et constructif des sénateurs. Sur les sept groupes politiques du Sénat, un seul a voté contre.
C'est dans ce même esprit positif, pour une filière qui en a bien besoin, que le groupe La République en marche de l'Assemblée nationale aborde ce texte.