Il me revient donc de clore ce premier tour. Je vous remercie de cette audition. L'association Droit au savoir souhaite évoquer trois points liminaires et cinq axes de nature à compléter la note que nous vous avons transmise hier.
Je rappellerai que, quatorze ans après la loi de 2005, les enjeux relatifs aux parcours des jeunes en situation de handicap, à l'école et dans l'enseignement supérieur inclusif, s'articulent autour de trois axes importants. Le premier, ce sont les sujets qui n'avaient pas été traités dans cette loi et qui restent d'actualité. Le deuxième, ce sont les écarts constatés entre la volonté du législateur et les réalisations concrètes dans les territoires. Le troisième, c'est ce qu'on pourrait appeler les effets secondaires à la fois de la loi de 2005 et de la ratification par la France de la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées.
Notre réflexion s'inscrit dans une logique de parcours qui demande à la fois anticipation et souplesse pour davantage sécuriser les transitions mais aussi pour favoriser l'insertion sociale et professionnelle des jeunes en situation de handicap.
Nous entendons également souligner l'importance d'intégrer les problématiques spécifiques des jeunes en situation de handicap dès les premières réflexions que nous pouvons porter, notamment dans la perspective de la rédaction d'un projet de loi. Nous pensons qu'il est toujours préférable, dans une logique de construction d'une société inclusive, d'éviter de réparer en surajoutant des dispositifs particuliers à un dispositif de droit commun. Cela implique de considérer dès le départ que ce dispositif s'adresse à tous, d'autant que cela permet de penser des modalités utiles à d'autres jeunes qui pourraient en avoir besoin.
J'en viens aux cinq axes qui nous semblent importants.
Le premier est un phénomène important depuis la loi de 2005, à savoir le développement d'une logique de massification, au niveau du primaire, du secondaire et, d'une certaine façon, dans l'enseignement supérieur. Quand évoque l'enseignement supérieur, on pense aux grandes écoles et aux universités, mais on pourrait aussi penser à toutes les filières dépendant d'autres ministères, comme ceux de la culture, de l'agriculture, de la défense, et à toutes les filières dépendant des régions, notamment les instituts régionaux de travail social (IRTS) et les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI). Le champ est très vaste. On ne saurait le réduire à certains établissements.
Ces jeunes qui arrivent dans l'enseignement supérieur, nous les appelons parfois « les rescapés du système scolaire », parce qu'on voit bien qu'avec 350 000 jeunes dans le primaire et dans le secondaire, et près de 29 000 dans l'enseignement supérieur, certaines transitions constituent, aujourd'hui encore, des cassures. Je pense notamment aux jeunes de 15-16 ans : un rapport des inspections générales publié en 2012 rappelait qu'il y avait une cassure autour de cet âge, qui correspondait à « une sortie massive du système éducatif ordinaire ». On mesure clairement l'importance de l'obligation de formation des jeunes de 16 à 18 ans – actuellement dans le débat public –, qui servira aussi aux jeunes en situation de handicap, pour peu qu'on l'étende à l'ensemble des jeunes, y compris à ceux qui sont dans des établissements médico-sociaux.
Passage au lycée, passage dans le supérieur, passage du statut scolaire au statut d'apprenti – qui emporte certaines conséquences en termes d'accompagnement, de transport adapté, d'adaptation et d'évaluation des besoins : des barrières d'âge existent encore aujourd'hui. Pour les jeunes en situation de handicap, elles sont nombreuses : 16, 18, 20 et 25 ans. Toutes ces transitions sont des moments à risque. Elles doivent être anticipées, fluidifiées et accompagnées par des dispositifs de droit commun et, quand c'est nécessaire, par des dispositifs spécifiques et par des professionnels formés, afin de permettre aux jeunes d'aller au plus loin de leurs projets et de leurs parcours.
De nouvelles problématiques sont liées à ce que l'on pourrait appeler le « passage à l'étape suivante ». De nouveaux processus de scolarisation ont été créés – les unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) : ULIS-collège, ULIS-lycée –, mais que propose-t-on à ces jeunes après une ULIS en lycée professionnel ? On a créé, il y a quelques années, des attestations de compétence mais il n'y a pas de retour sur leur utilisation ou sur leur valorisation. Il convient probablement de les uniformiser pour les rendre plus visibles du côté des employeurs.
Dans cette logique, afin de mieux anticiper ces parcours, avoir la vision la plus fine possible et orienter les politiques publiques, il conviendrait de coordonner les données. Elles existent mais sont éparses en fonction des tutelles et comme elles ne sont pas mises en correspondance, il est difficile d'avoir une vision globale.
Il faut aussi lutter contre les inégalités de traitement. Mais comme cela a déjà été évoqué, je n'y reviendrai pas.
Quatrièmement, l'une des nouveautés de la loi de 2005 était de faire apparaître, pour la première fois, les étudiants en situation de handicap dans la loi. Il me semble qu'aujourd'hui, si l'on devait franchir une nouvelle étape, il faudrait accentuer l'effort actuel, notamment au regard de la participation à la vie sociale et à la citoyenneté et dans le sens de l'accessibilité universelle des campus. Des cadres ont été mis en place, des chartes ont été signées. La loi du 27 juillet 2013 contient plusieurs éléments importants, y compris quant au rôle même de l'enseignement supérieur, qui se voit attribuer pour mission de participer à la construction d'une société inclusive. Cette loi permet aussi à chaque université d'adopter un schéma directeur pluriannuel du handicap avec des indicateurs annuels en vue de développer une réelle politique d'établissement et de créer de la transversalité.
Je ferai quelques propositions. Vous le savez, la loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants introduit un droit au réexamen dans le cadre de Parcoursup ; nous souhaitons que ce droit au réexamen soit étendu au passage en master. En outre, le plan d'accompagnement de l'étudiant handicapé (PAEH) aux études supérieures doit être aussi reconnu et opposable en vue d'une mise en oeuvre concrète ; aujourd'hui, 85 % étudiants reconnus par les structures handicap des universités bénéficient d'un tel plan d'accompagnement. Enfin, les schémas directeurs pluriannuels de la politique du handicap devraient être étendus à l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur.
J'évoquerai aussi les besoins identifiés restés sans réponse, notamment en ce qui concerne le logement et l'hébergement : le panel des solutions possibles n'est pas complet sur tous les territoires, alors que les enjeux sont réels en termes de mobilité et de poursuite des études. Les services d'accompagnement vont rarement au-delà de 20 ans, parfois 25 ans. Or les besoins perdurent et la progression vers l'autonomie nécessite parfois étayage et soutien. Ces services doivent donc aller plus loin. Enfin, l'aide au travail personnel à domicile a été reconnu comme un besoin spécifique pour les étudiants en situation de handicap, dès les premiers travaux du comité de pilotage étudiant suite à la loi de 2005, mais sa ligne de financement est restée vierge.