Intervention de Yves Dunand

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 16h30
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Yves Dunand :

Je représente le syndicat CGT au sein de l'intersyndicale. Je précise que je me fais le porte-parole du monde associatif de la déficience visuelle, étant membre du conseil d'administration de l'association Voir ensemble, elle-même adhérente à la Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et amblyopes (CFPSAA).

Alors que l'on n'a jamais autant parlé des élèves en situation de handicap et de leurs besoins spécifiques, nous sommes nombreux, parmi les familles, les professionnels et le milieu associatif de la déficience visuelle, à nourrir des craintes quant à une politique d'inclusion généralisée qui, tout en améliorant les conditions de scolarisation pour certaines catégories de handicap, pourrait signifier une régression de la diversité de l'offre scolaire éducative pour les élèves aveugles ou malvoyants.

Or, depuis que les anciennes écoles spécialisées se sont converties les unes après les autres en centres-ressources de soutien à l'inclusion, l'INJA est aujourd'hui le seul établissement qui permette à des élèves aveugles et malvoyants venant de l'ensemble du territoire national d'être scolarisés dans un environnement favorable à leur plein épanouissement, en prenant en compte les besoins spécifiques liés à leur déficience visuelle, déficience éventuellement évolutive et fréquemment accompagnée d'autres pathologies.

L'INJA comporte des classes qui vont de la grande section de maternelle jusqu'au baccalauréat, et il est le seul établissement en France à proposer un accueil et une scolarisation aussi bien in situ qu'en inclusion en milieu ordinaire, avec un suivi personnalisé. Ces deux options permettent de répondre au mieux à l'extrême diversité des situations des élèves et des familles. Concrètement, le nombre d'élèves accueillis ou accompagnés par l'INJA ces dernières années se situe entre 170 et 180, dont une cinquantaine en inclusion.

L'objectif affiché est d'inverser cette proportion à très brève échéance, conformément à l'objectif global fixé pour 2022 : scolariser en milieu ordinaire 80 % des élèves en situation de handicap.

Nous sommes conscients que d'autres pays souvent cités en exemple se sont engagés dans des politiques d'inclusion scolaire plus ou moins généralisées, des élèves en situation de handicap. Cependant, nous estimons que l'inclusion scolaire ne doit pas être conçue comme une fin en soi, mais qu'elle doit demeurer une option parmi d'autres pour les familles, à choisir en fonction de chaque situation particulière.

Il ne suffit pas que les élèves en situation de handicap soient assis côte à côte avec leurs camarades dans une classe pour que leur inclusion soit effective et bénéfique. Surtout, s'agissant du handicap visuel, je peux m'appuyer sur mon expérience personnelle et sur celle de mes nombreuses connaissances pour affirmer que la présence permanente d'un AVS ou d'un AESH ne peut qu'entraver les relations de l'élève malvoyant avec ses camarades, relations qui devraient pourtant être l'un des principaux aspects pris en compte pour mesurer la réussite de l'école dite « inclusive ».

Tout en reconnaissant qu'il est important pour les jeunes déficients visuels de côtoyer leurs camarades dits « valides », nous constatons qu'une inclusion les amenant à se trouver systématiquement en situation de grande différence peut au contraire leur donner un sentiment d'exclusion s'ils ne sont pas suffisamment préparés à affronter ces difficultés.

À l'inverse, si l'INJA a contribué à tant de réussites professionnelles dans des activités ou des métiers extrêmement divers, c'est précisément parce qu'il a su offrir à ces élèves l'accès à un plein épanouissement et à une véritable autonomie en leur proposant des modalités de scolarisation adaptées à leur potentiel et leur situation personnelle.

L'INJA permet aux élèves qu'il accueille de construire leur autonomie grâce à des apprentissages fondamentaux forts et construits – une pratique quotidienne du braille encadrée par des enseignants qualifiés pour les élèves aveugles ou très malvoyants, ou bien l'utilisation de l'écriture en grands caractères lorsqu'elle permet une lecture rapide et efficace.

Nous proposons aussi une formation à l'outil informatique adapté, des cours de locomotion, d'activité de la vie journalière, la mise à disposition de tout type de documents sur un support adapté – braille, grands caractères, numérique, dessins en relief – ainsi qu'une section d'enseignement musical très développée. À ce sujet, je dois souligner qu'alors que cet enseignement était dispensé traditionnellement dans toutes les écoles spécialisées, l'INJA est aujourd'hui le seul établissement qui continue à proposer ces formations – la plupart des autres écoles étant transformées en centres de ressources et d'appui à l'inclusion –, ce qui est à peine croyable quand on sait à quel point la pratique musicale joue un rôle déterminant dans la vie de nombreuses personnes aveugles, que ce soit pour leur épanouissement ou comme activité professionnelle.

Malgré tout cela – que même le rapport interministériel publié en 2018 ne nie pas – l'avenir de l'établissement est fortement remis en question, d'abord du fait de son coût jugé trop élevé au regard du nombre d'élèves qu'il scolarise, ensuite parce que l'on estime que l'INJA, comme l'INJS ou d'autres établissements, doivent se plier à la politique du tout-inclusion, prônée depuis quelques années par les gouvernements qui se sont succédé.

S'agissant du coût jugé trop élevé, on peut se poser plusieurs questions. Peut-on évaluer ce coût sans prendre en compte le prestige que confère à notre pays le rayonnement international d'établissements comme l'INJA, dont le nom reste à jamais associé à celui de Louis Braille, inventeur de l'écriture qui a permis à des millions d'aveugles de par le monde d'accéder à l'éducation et à la connaissance ?

En comparaison, est-on sûr d'avoir bien anticipé le coût réel des dispositifs multiples et complexes que l'on entend développer pour promouvoir cette inclusion à marche forcée de tous les élèves en situation de handicap, politique dont les résultats ne seront probablement pas à la hauteur des espoirs que l'on fait miroiter aux familles ?

Ne serait-il pas plus sage, au moins dans un premier temps, de développer l'inclusion des élèves dont les besoins spécifiques ne reçoivent pas actuellement de réponse appropriée, sans chercher à démanteler des institutions qui continuent à faire la preuve de leur utilité et de leur pertinence pour les jeunes déficients sensoriels ?

Il convient enfin de souligner que l'INJA, tel que je viens de le décrire, est le fruit d'une longue et constante évolution qui s'est accélérée sous l'impulsion de la loi de février 2005, une évolution à laquelle les professionnels et les familles ont toujours adhéré jusqu'à présent dans la mesure où elle élargit les possibilités de scolarisation offertes aux élèves.

Il n'en va pas de même pour le tournant que veut nous faire prendre notre ministère de tutelle depuis 2016, et qui risque de mettre en difficulté de nombreux élèves handicapés sensoriels, en supprimant cette liberté, que nous considérons comme essentielle pour eux et pour leurs familles, de choisir le mode de scolarisation qui leur convient.

C'est la raison pour laquelle nous sommes réunis au sein d'un collectif qui regroupe une intersyndicale et une association de parents d'élèves afin de faire entendre notre voix et d'éviter que des décisions graves ne soient prises sans réelle concertation avec les principaux intéressés.

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