Intervention de José Puig

Réunion du mardi 4 juin 2019 à 17h40
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

José Puig :

Un petit échantillon de ces pratiques peut être observé dans les établissements où des ULIS fonctionnent très bien. Les ULIS sont des dispositifs qui ne doivent pas être des classes fermées et qui permettent aux enfants d'être répartis dans des classes ordinaires avec l'aide de l'enseignant spécialisé. Pour certaines activités, ces élèves participent à une classe de CE2 ; pour d'autres, ils intègrent un CP. L'inconvénient est qu'ils sont actuellement les seuls à participer à ce système décroché, ce qui les rend un peu « apatrides » dans l'école car ils ne sont pas, au même titre que les autres, citoyens d'une classe.

Si nous nous orientions vers la logique québécoise, nous aurions un système certes complexe, mais dont la complexité serait très fertile en matière de prise en charge des besoins particuliers et d'accompagnement de ces élèves.

Je ne critique pas l'existence du droit à compensation qui est un grand progrès instauré par la loi de 2005. Il n'a pas son pendant puisque l'accessibilité n'est pas obligatoire au même titre, ni un droit opposable par les familles. Une famille qui s'inquiète de ce que représente la scolarisation de son enfant handicapé en milieu ordinaire cherchera à obtenir un maximum de moyens de compensation car la loi le lui permet. Nous avons vu les recours contentieux se multiplier pour obtenir des accompagnements individualisés, même lorsque l'on n'est pas absolument certain que ceux-ci seront véritablement profitables à l'élève au long cours.

Les parents ne pouvant obtenir la certitude que l'environnement de la classe sera accessible au sens large du terme, ils se rabattent sur la compensation. Ce que je critique est le déséquilibre entre la logique de la compensation et la logique de l'accessibilité. Par ailleurs, faire un effort de compensation – qui peut être utile pour un élève parce qu'il a besoin de disposer de documents en gros caractères – ne change rien à la façon d'enseigner. Si l'on persuade l'enseignant de fournir un effort d'accessibilité dans la présentation des documents destinés à tous ses élèves, il utilisera une police plus lisible et respectera un certain nombre de consignes dont on sait qu'elles facilitent l'appropriation du contenu par des enfants souffrant de troubles spécifiques du langage. Les efforts d'accessibilité sont collectifs et durables. Les efforts de compensation sont momentanés et individuels. Je ne dis pas qu'il faut revenir en arrière sur la compensation, mais il ne faut pas que celle-ci compense le défaut d'accessibilité.

Cela renvoie fort logiquement à la thématique de la formation des enseignants. Aujourd'hui, par exemple, en toute bonne foi, des enseignants ignorent que certains PDF ne sont pas lisibles par une machine braille car il faut respecter un certain nombre de règles – très simples – lors de la conversion du document afin qu'il puisse être lu par les outils numériques de compensation. Si le document n'est pas accessible, il faut le ressaisir, ce qui génère des difficultés qui sont un peu décourageantes. L'accessibilité pédagogique est sous-développée dans la formation des enseignants ; elle l'est aussi chez les éditeurs de manuels scolaires, qui produisent des documents séduisants sur le plan du marketing, contenant de nombreuses illustrations, des couleurs et un grande variété de polices de caractères, mais qui sont très difficiles à exploiter pour un très grand nombre d'élèves. De ce fait, l'évaluation des enfants porte parfois plus sur leur capacité à s'approprier le contenu des supports fournis que sur les compétences mesurées par les exercices proposés.

Je ne pense pas qu'il faille renoncer à l'excellence disciplinaire des professeurs que nous recrutons pour enseigner au lycée, au collège et à l'école primaire. Néanmoins, la connaissance d'une discipline n'arme pas les enseignants pour faire face aux difficultés qu'ils rencontrent dans une classe hétérogène, dans un quartier défavorisé, dans un établissement où sont scolarisés des enfants présentant des problèmes dys ou des troubles du comportement ou de l'autisme.

Cela nous ramène aux réflexions sur le référentiel des enseignants, qui est un élément du projet de loi pour l'école de la confiance. J'ai participé aux travaux du CNCPH qui ont abouti à des propositions sur la formation de tous les enseignants. Il ne s'agit pas d'ajouter une discipline « inclusion scolaire » : cela conduirait à un empilement qui saturerait l'espace limité de la formation. Il faut faire effort dans la didactique des disciplines pour anticiper les difficultés rencontrées par certains élèves dans le cadre de la résolution d'un problème de mathématiques ou lorsqu'ils ont à acquérir des connaissances en histoire, en géographie ou en littérature, etc.

Cela existe déjà : la formation repose sur la mobilisation de compétences didactiques et pédagogiques ; elles sont peut-être insuffisamment nourries par ce que nous savons aujourd'hui sur le développement de l'enfant et les troubles de l'attention. La semaine dernière, s'est tenu un colloque organisé par l'inspection générale et la DGESCO sur les troubles déficitaires de l'attention : les problématiques correspondantes concernent de nombreux élèves du secondaire et laissent les enseignants désemparés alors que nous savons que certaines précautions permettent de limiter ces entraves et ces difficultés.

S'agissant de la dichotomie entre l'excellence et la réussite de tous les élèves, on peut s'en sortir avec des effets de rhétorique en disant que l'on souhaite l'excellence pour tous les élèves, mais on sait que cela ne fonctionne pas. L'excellence à la française est sélective et repose sur un système issu du lycée napoléonien où l'enseignement secondaire est historiquement structuré par le découpage des disciplines de l'enseignement supérieur et un repérage de l'excellence des mathématiciens, des linguistes, etc. Des pays qui ont fait d'autres choix dans l'organisation du système secondaire produisent de nombreux prix Nobel de physique, de médecine et de littérature. Il y a matière à remettre en question un système qui repose sur des bases généreuses, puisque issues des idéaux de la Révolution française visant à utiliser le mérite scolaire comme moyen de distinction plutôt que la naissance. Beaucoup de sociologues ont démontré que ce principe ne fonctionne pas en termes d'égalité des chances. Un rapport du CNESCO de 2016 a même montré que l'école renforce involontairement les inégalités sociales des élèves.

Nous avons une problématique très idéologique, mais qui peut se résoudre de manière pragmatique en conduisant une réflexion sur le système scolaire. La France est le seul pays au monde où l'on progresse dans les classes à l'envers, soit de la 6e à la Première. Dans tous les autres pays, les élèves progressent en franchissent les étapes une à une et un élève qui s'arrête à l'étape 5 a déjà franchi 5 marches ; un élève français qui quitte le système en 3e connaît exactement le nombre de classes qu'il lui manque par rapport au parcours idéal. Nous sommes dans une référence à l'excellence idéale qui s'est transformée en norme pour tous les élèves et qui devient un facteur d'exclusion et de discrimination marqué par leur origine sociale.

Je fais une petite parenthèse : les efforts fournis pour créer des classes de la diversité, pour que les élèves de banlieue accèdent à Sciences Po, etc. sont louables, mais cette logique du culte de la différence mérite d'être elle aussi interrogée car la réussite d'un élève originaire de banlieue que tout prédestinait à se diriger vers un lycée professionnel et qui intègre une grande école camoufle le fait que la plupart des élèves se trouvant dans la même situation ne parviennent pas à sortir de ce que leur destin scolaire avait imaginé pour eux.

Je ne porte pas de critique. Le système a tâtonné, hésité, mais nous n'avons désormais plus l'excuse de ne pas savoir comment s'opèrent ces mécanismes de disqualification et d'exclusion au sein du système. Il est de la responsabilité des décideurs politiques de prendre progressivement des mesures qui auront des répercussions sur l'ensemble du système scolaire. Peut-être considérerez-vous que je sors du sujet.

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