Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du mardi 18 juin 2019 à 16h20
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, je souscris à vos propos. Vous avez, monsieur le rapporteur, employé le terme d'« unanimité » : elle me paraît constituer un socle s'agissant de ces enjeux. La scolarisation des élèves en situation de handicap fait l'objet depuis 2005 d'un consensus national fort. Il est décisif que personne ne prenne la responsabilité de le rompre. Nous avons tous en partage les objectifs fondamentaux que vous avez rappelés. La nécessité de progresser sans arrêt nous tient tous à coeur.

Certes, il est possible de déceler des failles dans le système et nous nous employons à trouver des solutions mais il est important aussi de mesurer les progrès accomplis. Devant une commission d'enquête, l'habitude est de parler du passé et du présent ; je parlerai toutefois aussi du futur, comme vous m'y avez invité. Cette audition se déroule à deux mois d'une rentrée dont nous attendons beaucoup puisque nous visons un grand service public de l'école inclusive. Cela nous engage collectivement : administration de l'éducation nationale dans son ensemble mais aussi acteurs du handicap.

Vous m'avez invité à dépasser l'approche quantitative mais si je ne parlais pas de chiffres, on me reprocherait d'être abstrait.

Depuis 2005, beaucoup de choses ont été faites en matière d'inclusion scolaire. La France accusait auparavant un grand retard par rapport aux autres pays, mais aussi tout simplement par rapport aux besoins. Les élèves en situation de handicap accueillis dans le système scolaire sont passés de 176 000 en 2009 à 338 000 en 2019, soit un quasi-doublement, et nous devons rendre hommage à tous ceux qui ont permis cette évolution. Pendant le même temps, les élèves en situation de handicap bénéficiant d'une prescription d'aide humaine ont vu leur nombre multiplié par plus de quatre : de 46 000 à 200 000, cap qui vient d'être dépassé en cette fin d'année scolaire.

Ces progrès importants, mus par la volonté de prendre en compte les besoins de chaque enfant, ont été accompagnés par un investissement public élevé. Celui-ci se poursuit et se poursuivra au cours des prochaines années. À la fin de l'année 2018, les AVS représentaient plus de 61 700 équivalents temps plein (ETP). Au-delà de la transformation accélérée des contrats aidés en contrats d'AESH, 4 500 recrutements supplémentaires d'AESH sont prévus pour la rentrée prochaine. Le nombre d'enseignants spécialisés travaillant dans des structures dédiées comme les unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) ou les établissements et services médico-sociaux dépasse aujourd'hui 19 000 ETP. Au total, le budget dédié à la scolarisation des élèves en situation de handicap est passé entre 2017 en 2019 de 2,1 milliards d'euros à 2,8 milliards d'euros, soit une augmentation de 29 % en trois ans, ce qui constitue une progression sans précédent.

À cet effort quantitatif, s'ajoute un effort qualitatif. La loi pour une école de la confiance nous a permis de disposer des outils indispensables à cette progression.

Il y a évidemment encore un trop grand nombre d'enfants en situation de handicap qui ne font pas leur rentrée dans les mêmes conditions et au même moment que leurs camarades et c'est une situation que nous jugeons évidemment inacceptable. Trop de familles attendent plusieurs jours voire plusieurs semaines une réponse à leur demande d'accompagnant pour leur enfant. Nous considérons tous que c'est insatisfaisant. Le Président de la République a fait une priorité de l'école inclusive, laquelle se situe un peu à l'avant-garde des politiques en matière de handicap que nous souhaitons faire avancer avec Sophie Cluzel.

Ce chemin est à l'évidence un chemin compliqué. Et nous ne pouvons pas nous cacher toutes les difficultés que nous devons dépasser. L'amélioration de l'accueil des enfants en situation de handicap est source de multiples défis que nous devons relever collectivement, notamment par la concertation. C'est ce que nous avons entrepris avec Sophie Cluzel. Comme vous le savez, du mois d'octobre 2018 au mois de février 2019, nous avons mené une large concertation auprès des parents, des associations, des représentants des AESH ainsi que des personnels enseignants et d'encadrement. Au regard de l'importance des attentes, nous avons décidé de réaliser, en nous fondant sur la loi, une transformation de nos organisations que l'on peut qualifier de copernicienne, en vue de faire émerger un grand service public de l'école inclusive.

Pourquoi peut-on parler de révolution copernicienne ?

Tout d'abord, j'ai demandé aux services des rectorats et des directeurs académiques des services de l'éducation nationale (DASEN) dans chaque département de transformer totalement leur organisation en matière d'accueil des élèves handicapés. Cette transformation revêt de multiples aspects.

Elle est d'abord de nature presque psychologique. Il s'agit de considérer les quelque 80 000 AESH comme des personnels de l'éducation nationale. La plus forte illustration de cela, c'est évidemment la conversion rapide que nous avons menée des contrats aidés en contrats plus robustes, d'AESH, de sorte qu'à la rentrée 2020 il n'y aura plus de contrats aidés. La loi nous permet aussi, vous le savez, de passer à une nouvelle configuration en matière de contrats, avec des contrats de trois ans, renouvelables une fois, débouchant sur des contrats à durée indéterminée. C'est une transformation importante, a fortiori si nous réussissons, comme nous l'avons prévu, à donner beaucoup plus de plein-temps aux AESH dans les mois qui viennent.

Nous avons voulu faire des AESH des membres à part entière de la maison éducation nationale, à l'échelle de la nation, à l'échelle des rectorats, à l'échelle des départements et, évidemment, à l'échelle des établissements. Cela se traduit par des mesures de tous ordres comme la participation aux réunions en amont de la rentrée ou la création d'adresses électroniques professionnelles. Cette stratégie doit nous permettre d'entamer un travail avant la rentrée. Il y a une phrase à destination des enfants qui résume tout : « Avant, tu attendais d'avoir un AESH pour aller à l'école ; maintenant, tu iras à l'école et tu seras accueilli par un AESH ».

La révolution copernicienne passe aussi par un raisonnement qui part des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL). Les comparaisons internationales que nous avons établies avec Sophie Cluzel – qui s'est rendue dans plusieurs pays – montrent que la France ne dépense pas moins que les autres pays pour les élèves en situation de handicap. Notre bilan est même tout à fait honorable et il s'améliore avec les moyens supplémentaires que j'ai évoqués. En revanche, nous sommes moins bien organisés. Nos concepts directeurs ont moins bien fonctionné que dans d'autres pays. Je pense, par exemple, à l'Italie ou bien au Danemark, où je me suis rendu.

Les pays qui réussissent raisonnent depuis l'établissement pour être au plus près du terrain et affecter les moyens au plus près des besoins de l'élève, en s'adaptant au cours de l'année, faisant preuve de cette souplesse que vous appelez de vos voeux, monsieur le rapporteur. L'une des premières vertus de l'école inclusive doit consister à être personnalisée, j'y reviendrai dans ma conclusion.

Après les premières expérimentations positives que nous avons eues cette année, et qui feront l'objet d'une évaluation, nous visons une première vague de déploiement des PIAL au mois de septembre : 300 circonscriptions du premier degré sont concernées, 2 000 collèges avec ULIS et 250 lycées professionnels avec ULIS. Cette nouvelle organisation, qui prendra place dans des bassins scolaires importants, nous permettra de développer le raisonnement à partir de l'établissement.

Ses vertus sont multiples. Il sera plus aisé, notamment, de donner des plein-temps aux AESH. Il existe deux façons privilégiées de leur en accorder : la première, avec un service à l'intérieur d'un établissement ; la deuxième, dans le cadre d'accords au cas par cas avec les collectivités locales, avec une répartition entre temps scolaire et temps périscolaire. Chacun sera libre de son choix. La gestion des ressources humaines sera orientée vers une formule adaptée à chaque AESH, certains ne préférant pas exercer à plein-temps. Là aussi, la personnalisation est de mise.

À travers cette double transformation, nous voulons mieux préparer la rentrée, mieux accueillir les parents et mieux scolariser les élèves.

Un maximum de choses doit se faire autant que possible avant la rentrée : les recrutements – nous y procédons ; l'accueil des parents – notre recommandation à l'échelle de la France est de donner des rendez-vous avant septembre ; la formation – la majorité des soixante heures que nous avons prévu de consacrer aux AESH. Notre but est que les AESH, le jour de la rentrée, connaissent les équipes éducatives et les parents. Il est difficile d'atteindre 100 % de réussite dès la première rentrée de ce service public de l'école inclusive mais nous voulons tendre vers cet objectif qui mobilise toute l'institution scolaire. Personne ne doit minimiser ce que cela représente sur le plan organisationnel.

Nous avons mis en tension – au sens positif du terme – l'ensemble de l'administration de l'éducation nationale. La dernière réunion des recteurs, en présence de Sophie Cluzel, a été consacrée uniquement à ce sujet et a permis, avec les directeurs des agences régionales de santé (ARS) de coordonner de la manière la plus forte qui soit l'action de l'éducation nationale et des services médico-sociaux. J'ai demandé à chacun des recteurs et aux DASEN de s'organiser différemment afin qu'ils préparent pleinement la rentrée plutôt que de gérer les situations au fil de l'eau comme cela a été trop longtemps le cas. L'un des premiers droits des élèves en situation de handicap, c'est de bénéficier d'une rentrée préparée, comme l'ensemble des autres élèves.

Un autre de leurs droits est de bénéficier d'un parcours personnalisé avec des solutions adaptées à chacun. Cela peut passer par un accompagnement individualisé. Et je tiens à dire ici que le PIAL n'est en aucun cas une remise en cause de ce mode d'accompagnement. Il doit permettre un accompagnement mutualisé ou individualisé, selon les besoins de l'enfant. Il doit permettre aussi la personnalisation, notamment grâce à une coopération beaucoup plus forte entre les institutions médico-sociales et l'éducation nationale. L'école inclusive ne repose pas sur des réponses automatiques. Nous visons la scolarisation en milieu ordinaire mais il convient de ne retenir cette solution que dans la mesure où elle fait du bien aux élèves. Disons les choses : des acteurs, notamment des enseignants, ont pu ressentir un certain malaise parce que tous les moyens humains n'ont pas été octroyés pour accompagner la scolarisation d'enfants en situation de handicap ou parce qu'ils n'ont pas bénéficié de formations. Nous sommes très sensibles à ces questions. La coopération entre l'éducation nationale et le secteur médico-social doit rendre possible la personnalisation des parcours et éviter aux professeurs de se sentir désemparés.

Je prendrai le cas d'un proviseur que Sophie Cluzel et moi citons souvent. Dans son établissement, il a constaté que le niveau des élèves avait augmenté dans son ensemble grâce au dispositif déployé en faveur d'élèves handicapés car la personnalisation des parcours a bénéficié à tous.

Nous avons préparé la rentrée 2019 avec un soin particulier, sous l'angle quantitatif mais aussi qualitatif en mettant l'accent sur la formation des enseignants et des AESH.

La plateforme numérique Cap École inclusive met à disposition des ressources pédagogiques simples, immédiatement utilisables en classe, des références et des conseils utiles pour la scolarisation de tous les élèves.

Nous comptons systématiser les informations relatives à l'école inclusive pour l'ensemble des professeurs dans le cadre de la formation initiale comme de la formation continue. Nous avons demandé aux académies et aux départements d'inscrire dans leurs plans de formation pour le premier et le second degré une formation de trois heures sur les positionnements respectifs des AESH et des enseignants ainsi qu'une formation de six heures pour permettre aux professeurs d'acquérir les connaissances fondamentales au sujet des aménagements pédagogiques et d'une meilleure adaptation aux besoins spécifiques de chaque élève. En outre, des formations de soutien et d'accompagnement spécifiques sont prévues pour les inspecteurs de l'éducation nationale chargés de l'adaptation scolaire et de la scolarisation des élèves handicapés (IEN-ASH), acteurs fondamentaux dont je salue le travail.

Nous devons pleinement intégrer les AESH dans la communauté éducative. C'est pourquoi nous avons demandé que les réunions puissent avoir lieu avant les vacances d'été. Il y a un fort enjeu de personnalisation, de professionnalisation et de valorisation du métier d'AESH. Nous avons entendu leurs représentants et mon but est qu'un maximum d'accompagnants ressentent dès le mois de juin la réalité du changement qui se produira pour eux au mois de septembre. Ils devraient notamment être présentés de manière systématique à l'équipe pédagogique.

Je tenais à vous parler avant tout de la rentrée 2019 même si je sais que vos questions porteront aussi sur notre stratégie d'ensemble, que je souhaite portée par un consensus national. Nous lui consacrons des moyens très importants et nous donnons la priorité à la qualité, objectif qui a fait l'objet d'une très forte mobilisation de l'administration de l'éducation nationale mais aussi d'institutions et de partenaires extérieurs.

Je crois pouvoir dire devant votre commission d'enquête que nous avons avancé même s'il reste, bien entendu, bien des progrès à faire.

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