Je vous remercie de me donner l'occasion de présenter l'état des lieux des politiques inclusives dans l'enseignement supérieur. Je suis pleinement engagée sur ce sujet, car je suis persuadée que c'est en rendant notre enseignement plus inclusif que nous parviendrons à faire leur juste place à toutes celles et tous ceux qui, parmi nos concitoyens, sont en situation de handicap. Cette question me tient particulièrement à coeur en tant que ministre, mais également en tant que professeure et ancienne présidente d'université.
Comme nombre d'entre vous, je mesure les effets de la loi de février 2005 dans la vie de nos établissements publics et, en l'espèce, de nos établissements d'enseignement supérieur. Mais je mesure également le chemin qu'il nous reste à parcourir. Depuis le mois d'octobre 2017, je veille au déploiement du plan Étudiants, dont la finalité est de permettre à chaque étudiant de trouver dans l'enseignement supérieur le chemin et les conditions matérielles de sa réussite. Il concerne tous les étudiants, y compris ceux qui sont en situation de handicap, et ces derniers font l'objet d'une attention toute particulière de la part de mon ministère et de l'ensemble de la communauté de l'enseignement supérieur. C'est notamment le cas dans la mise en oeuvre de Parcoursup, sur laquelle je reviendrai.
Pour rappel, entre 2004 et 2018, la population d'étudiants en situation de handicap a été multipliée par quatre : ils étaient 7 500 à la rentrée de 2004 et ils sont plus de 29 000 aujourd'hui. Vous avez raison de signaler que ce n'est toujours pas suffisant, mais cette hausse significative témoigne du travail qui a été fait pour rendre l'enseignement supérieur plus inclusif. Nous pouvons nous féliciter de cette tendance, qui est supérieure à la hausse spontanée de la démographie étudiante, mais le travail doit évidemment se poursuivre avec l'ensemble de la communauté de l'enseignement supérieur. Il faut améliorer à la fois les conditions d'accès et le déroulement de la scolarité des étudiants en situation de handicap.
Permettez-moi de revenir sur le travail qui a été accompli depuis 2005 au sein des établissements d'enseignement supérieur. La loi de février 2005 a facilité l'accès des étudiants handicapés à l'université, sur le plan tant de l'accessibilité physique que de l'accès au savoir. L'objectif de la loi était de rendre les étudiants autonomes, tout en leur proposant des mesures concrètes d'accompagnement. Il s'agissait initialement de doter les établissements des outils techniques nécessaires à une meilleure inclusion dans les formations : cela englobait à la fois des ordinateurs, des dispositifs audiovisuels, des logiciels permettant, par exemple, de grossir les caractères, mais aussi le développement de l'accompagnement humain. Un premier pas significatif a donc été fait il y a quatorze ans. Par la suite, dans le cadre de l'affirmation de leur autonomie, les universités ont cherché à changer d'échelle et elles ont fait de l'inclusion un enjeu majeur, bien au-delà des obligations de la loi de 2005.
Dès 2007, une première charte université-handicap a été signée entre la Conférence des présidents d'université (CPU) et le ministère. Son objectif était de créer des dispositifs d'accueil adaptés à tous les étudiants en situation de handicap, en développant des services dédiés au sein de toutes les universités. Les universités ont créé des équipes plurielles chargées de définir, en partenariat avec les équipes pédagogiques et médicales, les accompagnateurs et l'étudiant lui-même, un plan d'accompagnement de l'étudiant handicapé (PAEH). Il s'agissait de fixer les modalités d'études, mais aussi de vie étudiante, et d'aller jusqu'à l'accompagnement vers l'insertion professionnelle. Chaque université s'est ainsi dotée d'un référent handicap chargé de de coordonner les actions prescrites dans le schéma directeur de l'établissement.
La charte a été renouvelée et approfondie en 2012, et elle a donné lieu à la publication, par la CPU, d'un guide pratique d'accueil des étudiants en situation de handicap. La charte de 2012 a introduit de nouveaux objectifs pour les universités : développer les politiques d'insertion professionnelle, mettre en place des outils de formation et de recherche articulés autour du handicap, travailler à l'accessibilité des bâtiments, mais aussi au développement des politiques de ressources humaines dans les universités pour donner leur place aux personnels en situation de handicap.
Une étape supplémentaire a été franchie avec la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, dite « loi Fioraso ». Elle impose, en effet, à chaque établissement d'enseignement supérieur de définir un schéma directeur pluriannuel du handicap intégrant les quatre objectifs de la charte de 2012. Plus de quatre-vingts universités en sont dotées et nous veillons à ce que les dernières y travaillent, l'objectif étant de nous approcher des 100 % avant la fin de l'année 2020.
La dynamique enclenchée il y a un peu plus de quatorze ans se poursuit aujourd'hui au sein des établissements. Le 12 février 2019, j'ai eu le plaisir de signer la deuxième charte handicap de la Conférence des grandes écoles (CGE) – la première l'avait été en 2008. Cette charte a ouvert la voie à la remise de treize bourses d'encouragement à la mobilité internationale à des étudiants en situation de handicap. La cérémonie a eu lieu à l'Assemblée nationale, sous le haut patronage de son président.
L'inclusion mobilise aussi bien les universités que les grandes écoles : le 28 mai 2019, j'ai assisté, avec ma collègue Sophie Cluzel, à la signature de la convention de partenariat entre la Conférence des présidents d'université et le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP). Ce partenariat vient approfondir le travail engagé de longue date par les établissements, notamment à travers l'accompagnement des politiques de ressources humaines. Il fait surtout le pari que c'est en intégrant les enjeux de l'inclusion dans le contenu des formations elles-mêmes que nous parviendrons à construire une société réellement plus inclusive.
Je tiens à mentionner, à titre d'exemple, le projet « Aspie friendly », coordonné par l'université fédérale de Toulouse et le professeur Bertrand Monthubert, qui a été récompensé dans le cadre de l'appel à projets « Nouveaux cursus universitaires » du Programme d'investissements d'avenir. Il a pour objectif d'adapter les cursus, le contenu des formations et les modalités d'accompagnement des étudiants avec trouble du spectre de l'autisme. Ce projet associe quinze établissements d'enseignement supérieur qui s'engagent dans cet accompagnement, mais aussi trois entreprises qui s'impliquent sur la question de l'insertion professionnelle. Grâce aux fonds de ces nouveaux cursus universitaires, le programme initialement axé autour des formations scientifiques a vocation à s'élargir à d'autres champs disciplinaires.
Matériellement, outre le diagnostic et l'aide à l'orientation pendant les études, ce programme permet aussi de sensibiliser les personnels aux besoins spécifiques de ces étudiants. Il leur apporte un soutien en matière de logement et favorise la création de binômes avec d'autres étudiants pour mieux les accompagner dans l'enseignement supérieur. Enfin, l'expertise des entreprises partenaires permet de leur offrir un coaching spécifique pour faciliter leur insertion professionnelle, tout en valorisant la très grande qualité de ces étudiants sur le marché de l'emploi.
Ce programme est une bonne illustration des principes qui sous-tendent la politique inclusive des établissements d'enseignement supérieur. Tous les étudiants, qu'ils soient ou non en situation de handicap, suivent les mêmes parcours, mais des aménagements particuliers ou des adaptations sont ouverts à ceux qui en ont besoin, selon la nature de leur situation et selon leurs souhaits. En 2018, 27 % des étudiants concernés ont demandé un aménagement de parcours en raison de leur situation de handicap.
Un pas supplémentaire a été fait avec le nouvel arrêté relatif au diplôme national de licence, publié en juillet 2018 : les aménagements de parcours sont, de fait, ouverts à tous les étudiants, sans distinction entre ceux qui sont en situation de handicap et ceux qui ne le sont pas. Ce nouvel arrêté va plus loin dans la construction de parcours modulaires en permettant, dès le premier cycle, de se spécialiser progressivement et de valider à son rythme les crédits nécessaires pour l'obtention d'une licence. C'est aussi parce que les étudiants en situation de handicap auront, comme l'ensemble des autres étudiants, la capacité de construire leur parcours, que leur inclusion sera plus grande.
Cet arrêté préserve évidemment l'acquis des quatorze dernières années en matière d'accompagnement humain pour l'accès au savoir et les différentes formes d'aides pédagogiques accordées dans le cadre du plan d'accompagnement de l'étudiant handicapé. Des chartes doivent être signées cette année avec la CPU et la CGE : à travers elles, les établissements renouvelleront leur engagement en la matière. Cet accompagnement est assuré, soit par des personnes dédiées, soit par des étudiants d'un niveau supérieur à celui de l'étudiant accompagné. Il peut aussi s'agir de prestataires extérieurs dans certains établissements, lorsque c'est nécessaire.
Un peu moins de 72 % des étudiants en situation de handicap ne sollicitent pas d'aide humaine. Pour la grande majorité d'entre eux, une assistance technique, des appareils spécifiques, la modulation des parcours suffisent pour qu'ils se sentent parfaitement intégrés dans leur cursus. Parmi ceux qui sollicitent un tel accompagnement, 18,7 % sollicitent une aide à la prise de notes et un peu plus de 6 % un soutien pédagogique ou un tutorat spécifique. Seuls 2,9 % d'entre eux ont recours à un accompagnement renforcé – je songe notamment à l'aide au déplacement. Il ne faut pas confondre l'accompagnement renforcé avec les aides à la vie quotidienne, qui sont financées dans le cadre de la prestation de compensation du handicap (PCH). Nous réalisons chaque année, au sein du ministère, une enquête de suivi sur cette inclusion. D'après les réponses obtenues au questionnaire national, 4,5 % des étudiants en situation de handicap bénéficient, au quotidien, d'un auxiliaire de vie.
Enfin, pour les étudiants hospitalisés ou empêchés de se rendre dans l'établissement, il existe des dispositifs d'accompagnement par visioconférence, une aide à la prise de notes, mais aussi un dispositif de cours en ligne et des formations à distance, dont certaines se font en collaboration avec le Centre national d'enseignement à distance (CNED). Grâce à ces dispositifs, ils peuvent poursuivre leur parcours universitaire et passer leurs examens en milieu hospitalier. En 2018, hors sections de technicien supérieur (STS) et classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), 3 % des étudiants suivaient ainsi leur formation à distance.
Ces dispositifs n'ont pas seulement permis d'accroître le nombre d'étudiants en situation de handicap, ils ont aussi favorisé leur réussite. Nous partions d'une situation très inégalitaire en 2005, puisque la progression des étudiants en situation de handicap était ralentie, sinon entravée, par rapport à ce que l'on pouvait observer pour l'ensemble de la population. Pour le dire plus clairement, les étudiants en situation de handicap étaient très représentés en premier cycle, jusqu'en troisième année, mais sous-représentés en deuxième cycle, notamment en master 2. Depuis le développement des schémas directeurs du handicap au sein des établissements, ces écarts se sont considérablement réduits. Entre 2012 et 2018, l'écart de représentation des étudiants en situation de handicap par rapport à la population générale est passé de 10 à 3 % en L1. Durant la même période, cet écart est passé de 5,6 à 1,6 % en L3 et de 6,8 à 4,3 % en master 2.
Nous prêtons aussi une attention toute particulière au troisième cycle, y compris dans les études médicales. À cet égard, je rappelle que votre assemblée a adopté, lors de l'examen du projet de loi relatif à la transformation et à l'organisation de notre système de santé, un amendement de M. Gaël Le Bohec qui permettra aux internes de médecine en situation de handicap d'effectuer leur stage au plus près de chez eux pour continuer à bénéficier de l'accompagnement dont ils peuvent avoir besoin au quotidien.
Si ces dispositifs d'accompagnement dans les universités jouent un rôle et si la réussite des étudiants en situation de handicap s'améliore, nous avons aussi le devoir collectif – et c'est mon rôle en tant que ministre – de faciliter leur accès aux études supérieures. Pour cela, nous devons travailler sur leur orientation et lever les freins qu'ils mettent eux-mêmes à leurs ambitions : l'autocensure dissuade certains lycéens en situation de handicap de se projeter dans les études supérieures. Faire de l'accès à l'enseignement supérieur un levier d'inclusion sociale est aussi l'un des aspects les plus fondamentaux de Parcoursup.
Avec la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants, vous avez reconnu un droit nouveau aux étudiants en situation de handicap : le droit au réexamen de leur candidature à l'entrée en premier cycle. Tous les candidats en situation de handicap peuvent, s'ils le souhaitent, solliciter des commissions d'accès à l'enseignement supérieur (CAES), qui sont présidées par les recteurs, le réexamen de leur demande de poursuite d'études. Ce droit au réexamen assure un équilibre entre l'accès de tous les élèves qui le souhaitent à l'enseignement supérieur, d'une part, et la prise en compte des situations spécifiques, d'autre part. Cette situation concerne tout candidat ayant été refusé dans toutes les formations pour lesquelles il avait formulé des voeux et qui ne souhaite pas se porter candidat à d'autres formations, eu égard à ses besoins spécifiques.
S'agissant spécifiquement du handicap ou du trouble de santé invalidant, sur 504 demandes de droit au réexamen adressées aux CAES, 471 propositions ont été faites et 408 ont été acceptées – soit un peu plus de 80 % des demandes. Le respect de cet équilibre s'accompagne naturellement d'une action en amont, fondée sur un dialogue renforcé entre les familles d'élèves en situation de handicap et les formations d'enseignement supérieur. C'est pourquoi j'ai demandé aux recteurs, dans une instruction du 28 mars 2018, de faire en sorte que les équipes pluridisciplinaires puissent, avec l'accord des candidats et de leurs familles, intervenir auprès des établissements pour favoriser la prise en compte de leur demande. Pour la campagne 2019, j'ai souhaité que la deuxième année de mise en oeuvre soit l'occasion d'améliorer encore l'information donnée et d'aller plus loin dans l'accompagnement. C'est une démarche d'ensemble et c'est pourquoi, le 25 octobre 2018, lors du second comité interministériel du handicap, le Gouvernement s'est engagé à accompagner l'entrée et les choix d'orientation pour améliorer l'accès à l'enseignement supérieur. J'ai donc adressé une nouvelle instruction aux recteurs dès le mois de novembre pour garantir que ces nouvelles dispositions puissent être largement diffusées.
Un référent handicap pour l'accès à chaque établissement a été désigné, afin que cet enjeu soit pris en compte tout au long de la procédure de préinscription, au plus près des formations. Dans le même esprit, une nouvelle fiche de liaison a été mise en place pour la campagne 2019, afin de permettre aux candidats d'anticiper les demandes d'accompagnement et de réussir leur rentrée dans l'enseignement supérieur. Le candidat estimant qu'il aura besoin d'un accompagnement peut, dès l'acceptation de sa proposition, solliciter le référent handicap, afin de faciliter l'analyse de ses besoins et d'anticiper les réponses à prévoir pour la rentrée. Plusieurs fonctionnalités ont été intégrées à la plateforme, afin de mieux informer les candidats en situation de handicap sur chacune des 14 500 formations référencées cette année. Un chat dédié a été ouvert, ainsi qu'un numéro vert, et une rubrique spécifique concentre, sur la plateforme, toutes les informations utiles aux candidats.
La mise en oeuvre du droit au réexamen a été simplifiée et il est désormais possible d'activer cette démarche via la rubrique « contact » de Parcoursup : elle permet au candidat d'entrer directement en contact avec la commission d'accès à l'enseignement supérieur de son académie. Il va de soi que ces mesures ont fait l'objet d'une concertation avec les associations membres de la commission « éducation » du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) et qu'elles ont été élaborées en lien avec le Défenseur des droits.
Voilà, pour résumer, les grandes lignes de la politique inclusive dans l'enseignement supérieur : plus de souplesse dans les cursus pour tous, un accompagnement plus humain au quotidien et un accès à l'enseignement supérieur plus inclusif.