Intervention de Sébastien Jumel

Réunion du jeudi 18 juillet 2019 à 9h30
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Jumel, rapporteur :

Madame la présidente, chers collègues, comme celles qui l'ont précédée, la rentrée scolaire de 2018 a été semée d'embûches pour les élèves en situation de handicap du département de la Seine-Maritime, où je suis élu. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi, avec mon groupe politique, d'investiguer sur la réalité de l'inclusion scolaire et universitaire des élèves et des étudiants en situation de handicap. Notre objectif était de vérifier si la progression quantitative du nombre de ces élèves et de ces étudiants, qu'on brandit souvent à grand renfort de chiffres, s'était accompagnée d'un saut qualitatif.

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a donc usé de son « droit de tirage » le 23 janvier dernier. Nous voulions que la représentation nationale s'assure que le triplement constaté, depuis la loi du 11 février 2005, du nombre d'élèves et d'étudiants en situation de handicap poursuivant leur scolarité ou leurs études en milieu ordinaire, n'était pas qu'un « îlot de satisfaction dans un océan de renoncement », pour reprendre la formule de l'une des quelque 150 personnes que nous avons entendues au cours de la quarantaine d'auditions que nous avons menées.

Il s'agissait, premièrement, d'établir, sans fard ni tabou, un diagnostic partagé et aussi précisément chiffré que possible de la situation. Comme je l'ai dit à plusieurs reprises au cours de nos auditions, je suis en effet convaincu que l'on ne peut progresser que sur ce que l'on sait mesurer correctement. Nous entendions, deuxièmement, proposer un « acte II » de la loi du 11 février 2005 : c'est ce que j'ai tenté de faire, à travers les cinquante-sept recommandations contenues dans mon rapport.

S'agissant d'abord de l'état des lieux de l'inclusion scolaire et universitaire des élèves et des étudiants en situation de handicap, je me suis attaché à faire le départ entre ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas, ce qui m'a conduit à interroger plusieurs des ministères chargés de la mise en oeuvre de cette politique publique. Outre le secrétariat d'État auprès du Premier ministre chargé des personnes handicapées, le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, celui de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, ainsi que celui des solidarités et de la santé ont été destinataires d'un questionnaire auquel tous, à l'exception du secrétariat d'État chargé des personnes handicapées – qui s'était placé en position de coordonnateur –, ont apporté des réponses chiffrées qui ont révélé le caractère dispersé, incomplet et parfois incohérent des données disponibles.

Cela tient notamment – mais pas seulement – au fait que plusieurs ministères sont compétents en matière de scolarisation dans les premier et second degrés : le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse pour la scolarisation en milieu ordinaire, le ministère des solidarités et de la santé pour la scolarisation en établissements hospitaliers et médico-sociaux, mais aussi le ministère de l'agriculture et de l'alimentation pour les établissements d'enseignement agricole et maritime. Sans aller jusqu'à prôner la création d'un ministère unique, il me semble urgent que, en cohérence avec les objectifs affichés par le Gouvernement de créer, pour la prochaine rentrée, un « grand service public de l'école inclusive », le pilotage de la mesure statistique de l'inclusion scolaire et universitaire soit mieux structuré et centralisé. C'est ma proposition n° 1.

Il est anormal que nous ne connaissions pas avec certitude le nombre d'élèves et d'étudiants en situation de handicap présents dans nos écoles, nos collèges, nos lycées, nos universités et nos grandes écoles. Le nombre d'étudiants en situation de handicap n'est connu qu'approximativement, à travers des enquêtes purement déclaratives. Le Défenseur des droits et la médiatrice de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur ont par ailleurs constaté que ces étudiants étaient surreprésentés en licence et sous-représentés en master et en doctorat : on ne dénombrerait que 120 étudiants en situation de handicap parmi les quelque 53 000 doctorants que compte notre pays. C'est la raison pour laquelle je préconise d'étendre à l'accès au master la procédure de réexamen des candidatures de jeunes en situation de handicap prévue dans le cadre de Parcoursup. C'est le sens de ma proposition n° 4.

S'agissant des élèves en situation de handicap, le Gouvernement est certes capable de dénombrer les élèves bénéficiaires d'un projet personnalisé de scolarisation (PPS) dans les établissements d'enseignement public et privé sous contrat, mais il n'est pas en mesure de comptabiliser ceux qui sont scolarisés dans des établissements privés hors contrat, ni ceux qui bénéficient d'un plan d'accompagnement personnalisé (PAP) ou d'un projet d'accueil individualisé (PAI). Or, parmi ces derniers, figurent des élèves qui répondent à la définition du handicap, en particulier des élèves souffrant de troubles « dys », mais qui ne sont pas recensés comme tels. Le décompte fondé sur le nombre de PPS est lui-même fragile, dans la mesure où ces PPS sont rarement formalisés. Et, quand ils le sont, le suivi de leur mise en oeuvre n'est pas toujours correctement assuré, parce que les enseignants-référents qui en sont chargés se voient attribuer 174 dossiers en moyenne, voire 221 dans l'académie de Créteil et jusqu'à 350 dans mon département. Je préconise donc, afin de fluidifier les choses et de rendre leur mission plus efficace, de limiter à une centaine le nombre de dossiers traités par chaque enseignant-référent : c'est le sens de ma proposition n° 8.

Si les chiffres disponibles montrent un doublement des effectifs d'enfants en situation de handicap scolarisés en classe ordinaire en l'espace de dix ans – ils sont passés d'environ 130 000 en 2009-2010 à plus de 240 000 aujourd'hui –, il faut avoir conscience que la proportion d'élèves bénéficiaires de ce type de scolarisation tend à décroître à mesure qu'on avance dans le cursus scolaire.

Le nombre d'élèves scolarisés en unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) n'a cessé de progresser au cours des dernières années. Il faut néanmoins avoir à l'esprit que le rythme de création d'ULIS reste insuffisant, particulièrement au lycée – d'où ma proposition n° 6. Le Gouvernement envisage de créer 50 ULIS supplémentaires par an d'ici à 2022, et je salue cette avancée, mais le diagnostic que nous avons fait nous montre qu'il faudrait en créer 240 par an en moyenne, soit cinq fois plus. Nous avons par ailleurs constaté des inégalités territoriales dans le déploiement des ULIS, qui sont décrites dans le rapport. Je préconise par ailleurs que les effectifs des élèves inscrits en ULIS fassent l'objet d'une double comptabilisation, afin qu'ils soient mieux pris en compte au moment de l'élaboration des cartes scolaires par les conseils départementaux de l'éducation nationale (CDEN) et dans le calcul de la dotation horaire globalisée (DHG). C'est l'objet de ma proposition n° 7.

La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et le Gouvernement ne sont manifestement pas d'accord sur le nombre de places en établissements spécialisés – en particulier dans les services d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) –, puisqu'il y en aurait 78 000, selon la première, et 69 300, selon le second. Quant aux unités d'enseignement externalisées (UEE), on n'en connaît ni le nombre, ni les effectifs, au-delà de l'année 2015. Ce qui est sûr, c'est que certains élèves attendent parfois plusieurs années avant d'obtenir une place et que d'autres quittent le territoire national pour être scolarisés dans ce type d'établissement, notamment en Belgique. J'exhorte donc le Gouvernement à régulariser au plus vite la situation des élèves en situation de handicap qui sont aujourd'hui dans l'attente d'une prise en charge par un établissement médico-social ou hospitalier. C'est le sens de ma proposition n° 9.

Il faut cependant garder à l'esprit que les conditions de scolarisation dans ces établissements ne sont pas toujours optimales. Les chiffres transmis par le Gouvernement montrent que la part des élèves scolarisés à temps complet est faible, ce qui est préoccupant. Dès lors, on ne peut accueillir qu'avec prudence, et même avec vigilance, les objectifs gouvernementaux en matière de « désinstitutionalisation ». Nous avons appelé l'attention du ministre de l'éducation nationale sur ce point, qui s'est montré rassurant lors de son audition : « Il convient de ne retenir cette solution que dans la mesure où elle fait du bien aux élèves », y a-t-il en effet déclaré. En revanche, les projets gouvernementaux tendant à remettre en cause le statut et les missions d'établissements spécialisés comme l'Institut national de jeunes aveugles (INJA) de Paris et les Instituts nationaux de jeunes sourds (INJS) de Paris, Bordeaux, Metz et Chambéry sont plus préoccupants. Si nous n'y prenons pas garde, nous pourrions assister à la disparition d'un modèle de scolarisation fondé sur des possibilités d'allers-retours et de passerelles entre le milieu ordinaire et le milieu adapté. Or c'est, de mon point de vue, un modèle qu'il faut défendre et promouvoir. J'appelle donc, avec mes propositions n° 13 et n° 14, à consolider le statut et les missions de ces établissements.

S'agissant des élèves bénéficiaires d'un enseignement à distance, le risque est grand qu'ils soient peu à peu déscolarisés. Le Gouvernement n'est pas capable de dénombrer les élèves qui sont déscolarisés, faute d'une solution adaptée mais, d'après certaines enquêtes menées par des associations, ils seraient 2 000 à 3 000. Je tiens à souligner que le choix de la scolarisation à distance peut avoir des conséquences lourdes, non seulement pour l'élève en situation de handicap, mais aussi pour sa famille, et surtout pour les aidants familiaux, qui sont parfois contraints de cesser totalement ou partiellement leur activité professionnelle – nous avons eu de nombreux témoignages à ce sujet. À cet égard, il me semble urgent d'avancer vers la création d'un véritable statut d'aidant familial pour les parents d'enfants en situation de handicap. Il s'agit de leur assurer des ressources en cohérence avec l'interruption totale ou partielle de leur activité professionnelle, des droits au titre de 1'assurance-vieillesse et l'accès à la formation, à la qualification et à la validation des acquis de l'expérience (VAE). C'est l'objet de ma proposition n° 16.

Un tel statut soulagerait le quotidien des familles les moins favorisées, qui sont souvent aussi les plus désarmées face au handicap de leur enfant. Elles n'ont pas toujours les moyens financiers de consulter des psychologues, des ergothérapeutes ou d'autres spécialistes libéraux à même de poser un diagnostic de façon précoce. À cet égard, si la prise en charge par l'État du bilan et de l'intervention précoce est évidemment une avancée, il est regrettable que le Gouvernement ait choisi de limiter cette prise en charge aux enfants de moins de sept ans. Elle mériterait d'être étendue au-delà de sept ans pour un certain nombre de handicaps : tel est l'objet de la proposition n° 18.

Par ailleurs, les familles les moins favorisées n'ont pas toujours les bons codes pour obtenir la scolarisation de leurs enfants dans les meilleures conditions. Faute d'être correctement accompagnés dans leurs démarches auprès des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), il n'est pas rare que les parents soient perdus au milieu de tous ces sigles et de toute cette paperasse. Certes, des réseaux d'expertise parentale fleurissent de façon informelle, mais il faut aller plus loin pour éviter que les familles aient le sentiment d'être seules. À cet effet, il importe de mieux les accompagner dans leurs démarches auprès des MDPH et de les associer davantage à la construction des PPS, sans pour autant remettre en cause les prérogatives des commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH), qui doivent être confortées, ni l'approche pluridisciplinaire de chaque situation. C'est l'objet de ma proposition n° 2, qui doit être lue en lien avec la proposition n° 5, qui préconise de rendre les notifications des décisions des CDAPH plus compréhensibles, plus simples et plus humaines.

Il est d'ailleurs urgent de mesurer l'effectivité de ces notifications. Ni les MDPH, ni le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse ne sont aujourd'hui en mesure d'évaluer la manière dont les notifications des CDAPH sont exécutées. Par exemple, lorsqu'une aide humaine a été prescrite, il leur est impossible de savoir si elle a été déployée totalement ou partiellement et si elle a, ou non, produit des effets positifs sur la scolarisation de l'élève qui en a bénéficié. Il est donc indispensable que nous nous dotions d'un outil de suivi – idéalement en temps réel – de la mise en oeuvre des notifications des CDAPH, notamment des aides humaines. Il importe aussi de pouvoir évaluer leur impact qualitatif sur la scolarisation de l'élève en situation de handicap. Tel est le sens de ma proposition n° 22. À cet égard, il est regrettable que le nouveau système d'information des MDPH, dont le déploiement a fait passer les délais moyens de traitement des demandes de quatre à dix mois en Seine-Maritime, n'ait pas été, pour l'heure, conçu dans cette perspective.

D'une manière plus générale, on ne connaît pas grand-chose de l'activité et des moyens des MDPH, à part les délais moyens de traitement des demandes, notamment d'aide humaine à la scolarisation : ils auraient été, en moyenne, de 3 mois et 28 jours en 2017, avec des variations importantes selon les territoires – les délais pouvant atteindre neuf mois à un an dans certains départements. La seule chose qui paraît certaine, c'est que les compensations de l'État n'ont pas évolué au même rythme que l'accroissement des missions attribuées aux MDPH. Il faut donc réévaluer l'accompagnent des MDPH par l'État, dans le cadre d'un dialogue territorial avec les collectivités concernées : c'est l'objet de ma proposition n° 24.

Rendre les chiffres moins lacunaires et moins confidentiels, les actualiser plus régulièrement – autant que possible, en temps réel – et les partager avec l'ensemble des acteurs concernés pour éviter les mauvaises interprétations, telles sont les conditions d'une gestion plus efficiente des politiques publiques d'inclusion. Ces politiques méritent d'être déployées d'une manière bien plus ambitieuse, pour passer enfin de « on va le faire » à « on le fait », selon la jolie formule de Mme Amandine Torresan, dont le témoignage nous a tous bouleversés.

C'est particulièrement vrai en matière d'accessibilité. Les mesures de compensation, notamment par l'accompagnement humain, sont l'une des réponses possibles à l'exigence d'inclusion, mais elles ne sont pas les seules – et elles ne doivent pas l'être. La loi de 2005 comprend un objectif d'accessibilité, qui concerne tous les élèves en situation de handicap, mais plus particulièrement ceux pour lesquels aucune aide humaine n'a été prescrite : ils représentent plus de 50 % des élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire, et plus de 70 % des étudiants en situation de handicap. L'objectif d'accompagnement l'a parfois emporté, dans la mise en oeuvre de la loi de 2005, sur celui de l'autonomie, alors que l'aide humaine peut, dans certains cas, s'avérer contreproductive, voire stigmatisante. Elle peut aussi fragiliser l'autonomie.

L'accessibilité concerne tout d'abord les bâtiments. De très grands progrès ont été réalisés dans ce domaine, mais il reste fort à faire. La situation est meilleure dans le premier degré que dans le second degré, et elle est meilleure dans les collèges que dans les lycées. C'est dans l'enseignement supérieur que la situation a le moins progressé, ce qui a des conséquences considérables sur l'orientation qui, le plus souvent, est subie et non choisie.

L'accessibilité concerne aussi les parcours scolaires. Cela inclut aussi bien l'organisation de l'institution en vue d'accompagner le handicap, l'adaptation des supports et des contenus pédagogiques, la question des aménagements d'examens, que celle de l'orientation.

L'organisation institutionnelle, tout d'abord, apparaît nettement insuffisante dans l'enseignement supérieur. Le fonctionnement des « pôles handicap » mérite d'être amélioré dans les universités et il faudrait envisager leur généralisation, car tous les établissements de l'enseignement supérieur n'en sont pas dotés – par exemple, les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ). Si des schémas directeurs de la politique du handicap ont été adoptés par la plupart des universités, environ 20 % d'entre elles en demeurent dépourvues, et ils ne sont pas obligatoires dans les autres établissements d'enseignement supérieur, notamment les grandes écoles. Je juge donc urgent d'achever le déploiement de ces schémas directeurs du handicap dans l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur.

Les supports et les contenus pédagogiques, ensuite, restent inadaptés au handicap et, quand ils le sont, c'est de manière trop tardive. Le cas des handicaps sensoriels est particulièrement éclairant : les représentants des instituts nationaux de jeunes sourds et de jeunes aveugles nous ont rappelé que la scolarisation des enfants malvoyants exige une réelle adaptation des méthodes pédagogiques. Cela concerne bien sûr le matériel pédagogique – devant le ministre de l'éducation nationale, notre présidente a pris hier l'exemple des cartes de géographie –, mais aussi l'attitude des enseignants, qui doivent faire l'effort de remettre en question quelques-unes de leurs habitudes pour adapter au jeune en situation de handicap les documents utilisés en classe. C'est parfois un vrai défi, quand il existe des différences de fonctionnement cognitif : c'est par exemple le cas des malvoyants, concernant l'appréhension des images ou la représentation dans l'espace. Pour les malentendants, cela impliquerait de reconnaître la langue des signes comme une langue vivante à part entière et de développer partout les pôles d'enseignement pour jeunes sourds dès la maternelle. Ce sont des propositions qui figurent également dans mon rapport.

L'accessibilité couvre aussi la question des aménagements d'examens, qui restent trop complexes et trop aléatoires. Le Défenseur des droits, comme d'autres acteurs, a souligné que les aménagements octroyés en cours de scolarité ne sont pas toujours maintenus pour les examens, ce qui est inadmissible. Je défends donc l'idée de rendre ce maintien automatique. Il faudrait également obtenir la création de nouvelles formes d'épreuves mieux adaptées aux différents types de handicap et veiller à ce qu'une circulaire harmonisant l'adaptation des examens paraisse rapidement, car elle est très attendue – nous devrons y veiller, madame la présidente.

L'accessibilité des parcours concerne, enfin, la question de l'orientation. Aujourd'hui, le fait d'avoir un handicap implique beaucoup trop souvent une orientation subie, ce qui a valu à la France des condamnations au titre de la Charte sociale européenne. De plus, lorsque, malgré les obstacles, des élèves en situation de handicap entreprennent des études supérieures, on les pousse souvent à s'orienter vers la voie professionnelle, sans que cela soit toujours ni souhaité, ni justifié. Les souhaits de l'élève, et même ses possibilités d'insertion professionnelle, sont bien souvent ignorés. Je crois donc indispensable de renforcer l'accompagnement, par les lycées et les universités, des élèves et des étudiants en situation de handicap, en matière d'orientation, mais aussi dans leur recherche de stages. Dans le même esprit, il faut veiller à ce qu'un référent handicap soit présent dans chaque centre de formation d'apprentis (CFA). Certains d'entre eux sont déjà exemplaires, mais d'autres présentent une vraie marge de progression.

L'accessibilité est aussi celle de l'école comme communauté de vie. Or le manque criant de formation des enseignants est aujourd'hui un problème : 23 % des enseignants intervenant auprès d'élèves à besoins éducatifs particuliers n'auraient aucune formation spécifique. Alors que ces besoins de formation vont croissant avec le développement souhaité de l'inclusion scolaire, on constate à la fois un recul de la formation spécialisée et une certaine inadaptation de la formation générale. Cela entraîne un recours – certes méritoire, mais trop fréquent – à l'autoformation, mais aussi, chez certains enseignants, de fortes résistances à toute adaptation de leur pédagogie. Le nombre d'enseignants ayant bénéficié d'une formation spécialisée a baissé au cours des dernières années et les formations dispensées ont perdu en substance, alors que des besoins très importants existent, notamment pour les enseignants-référents. Je préconise donc de lancer un plan de formation rapide à un certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'éducation inclusive (CAPPEI) rénové, pour en finir avec les affectations de jeunes professionnels souvent démunis, faute de formation suffisante.

La formation générale sur le handicap n'est, quant à elle, toujours pas à la hauteur des enjeux. Les formations, initiales et continues, sont disparates et parfois trop théoriques et trop courtes. Seul 1 % des enseignants aurait suivi un stage de formation continue sur le handicap. Une formation plus robuste et plus proche des réalités du terrain paraît indispensable. Je propose donc le déploiement d'un vaste plan de formation national, tenant compte des apports de la recherche, ancré dans les réalités du terrain et décliné dans chaque rectorat et chaque département, de façon à mettre à niveau les connaissances de tous les personnels. Lors de l'audition du ministre, j'ai soulevé la question des moyens de remplacement, qui sont absolument nécessaires si l'on veut que ces formations aient lieu.

Ce plan devra évidemment associer les universités, les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPÉ) et l'Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA), ainsi que les associations travaillant dans ce domaine. Il devra s'adresser à l'ensemble des membres de la communauté éducative, notamment aux agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) et aux accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). Il faudra également veiller à ce que les nouvelles formations sur le handicap soient dotées de moyens suffisants pour fournir des bases solides aux enseignants.

Je crois urgent de faire de l'inclusion un véritable projet commun aux enseignants, aux parents et aux autres acteurs qui entourent l'élève en situation de handicap. Pour cela, des formations communes bénéficiant aux équipes éducatives et aux autres acteurs de l'inclusion doivent être développées. Cela concerne notamment les accompagnants, les équipes médico-sociales et les personnels territoriaux. Afin de ménager une place pour la concertation et l'inclusion dans l'emploi du temps des enseignants, il est souhaitable de dédier des heures au suivi des élèves en situation de handicap. Par ailleurs, l'expertise des familles doit être mieux prise en compte dans l'élaboration des parcours de scolarisation. Il importe de mieux les associer à toutes les étapes du processus de scolarisation.

Les moyens de la médecine scolaire et universitaire doivent également être nettement rehaussés, à la hauteur des missions qui lui incombent, notamment en matière de dépistage. Elle est aujourd'hui largement sous-dotée et peu attractive, pour des raisons structurelles diverses. Il semble indispensable de faciliter le travail des enseignants avec l'ensemble des personnels médico-sociaux, afin de consolider un véritable collectif de travail autour de l'élève en situation de handicap. Enfin, une plus grande ouverture des établissements scolaires aux interventions des professionnels de santé libéraux permettrait de simplifier l'agenda des familles, qui est souvent ingérable.

Au-delà des enseignants, il importe aussi de revaloriser le rôle et la formation des quelque 70 000 AESH et des 30 000 auxiliaires de vie scolaire (AVS) qui accompagnent les 195 000 élèves bénéficiaires d'une prescription d'aide humaine à la scolarisation. Je tiens à préciser que, parmi ces 195 000 élèves, 12 000 environ étaient, au 31 mars dernier, en attente de l'accompagnement prescrit – le Gouvernement a reconnu la véracité de ce nombre. Je préconise donc, dans ma proposition n° 45, de publier régulièrement les données relatives au nombre d'élèves en situation de handicap qui, malgré une notification de la CDAPH en ce sens, sont sans solution d'accompagnement. Cela permettra de régulariser leur situation plus rapidement.

Pour les élèves bénéficiaires de l'accompagnement prescrit, la situation n'est pas toujours sans nuages, en particulier parce qu'un certain flou continue de planer autour de la responsabilité du financement et de l'accompagnement sur les temps périscolaires et extrascolaires. La jurisprudence du Conseil d'État a clarifié ce point et nous préconisons de dire explicitement que cette responsabilité incombe à l'État.

Pour les étudiants bénéficiant d'un tutorat ou de l'assistance d'un preneur de notes, il reste une marge de progrès, puisque cet accompagnement ne va pas au-delà des murs de l'université et qu'il ne couvre pas le travail personnel de l'étudiant. Or chacun sait que plus on avance dans ses études, plus la part du travail personnel augmente. Nous proposons donc de réfléchir à étendre les formes d'accompagnement hors du temps scolaire, à mesure que l'étudiant avance dans son cursus : tel est le sens de la proposition n° 47.

Il est impossible d'évoquer les questions relatives à l'accompagnement des élèves en situation de handicap sans aborder celle des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL). J'ai tenté d'aborder cette question d'une manière pragmatique, sans idées préconçues et sans présupposés. Nos auditions ont montré que les PIAL peuvent rencontrer de bons résultats, lorsque les moyens sont au rendez-vous, mais qu'ils présentent aussi des risques qui appellent à la vigilance : il ne faudrait pas que le déploiement des PIAL aboutisse à systématiser les moyens d'accompagnement mutualisés au détriment des moyens d'accompagnements individualisés. Je dois dire que, sur ce sujet, le ministre s'est montré rassurant et qu'il a eu une position équilibrée. Dans la proposition n°52, je préconise de lancer, dès la rentrée prochaine et sur une durée de trois ans, une évaluation des PIAL avant d'envisager leur généralisation – d'autant plus que le Gouvernement souhaite expérimenter les PIAL articulés avec le secteur médico-social, qui peuvent également être intéressants.

Enfin, au-delà de la situation des élèves accompagnés, je ne pouvais conclure mon rapport, et mon exposé, sans évoquer la situation des accompagnants. Même s'il a peu de données sur leur niveau de qualification au moment de leur prise de fonctions et sur le taux de démission, le ministère de l'éducation nationale connaît assez bien la situation des quelque 70 000 AESH que compte notre pays. On ne peut pas en dire autant des AVS : nous n'avons pu obtenir du Gouvernement aucune information, ni sur leurs effectifs précis au niveau national et par académie, ni sur la durée moyenne de leurs contrats, si sur la quotité horaire de ces derniers. Ma proposition n° 53 vise donc à ce que soient établies des informations plus fines sur ces personnels.

D'aucuns diront qu'il a été fait beaucoup, au cours des dernières années, pour « déprécariser » la situation des accompagnants et pour améliorer leur formation. Les annonces récentes relatives au passage à des contrats de trois ans et à une cédéisation après deux de ces contrats vont effectivement dans le bon sens. J'ai néanmoins appelé l'attention du ministre sur le fait que sa circulaire était inégalement mise en oeuvre, selon les académies.

La précédente majorité a créé, en 2016, un diplôme d'État d'accompagnant éducatif et social. Mais, d'après les chiffres fournis par le Gouvernement lui-même, 278 formations seulement auraient été délivrées à ce titre en 2017. Par ailleurs, ce diplôme a été critiqué l'année dernière par le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), qui estime qu'il « ne correspond pas à l'exigence de qualité de l'accompagnement d'un jeune à l'école ou en études supérieures ». Je préconise donc sa refonte, afin d'en faire un diplôme de niveau IV, tout en permettant aux personnels en poste d'y accéder par équivalence ou par la VAE : c'est le sens de la proposition n° 54.

Pour les AVS, l'actuel gouvernement a annoncé, au début du mois de juin, une formation d'adaptation à l'emploi de 60 heures garantie pour tous les accompagnants à la rentrée 2019. C'est une avancée que nous ne pouvons que saluer, mais elle était déjà prévue par un décret du 27 juillet 2018, qui ne faisait lui-même que consacrer une pratique plus ancienne permettant aux titulaires de contrats aidés de bénéficier d'une formation d'insertion professionnelle.

La majorité actuelle a poursuivi le plan de transformation progressive des contrats aidés d'AVS en contrats d'AESH, que la précédente majorité avait engagé. Certains intervenants se sont néanmoins vus proposer des contrats très courts, ce qui les maintient dans une forme de précarité et ne peut qu'interroger. Il faut en effet rappeler que 95 % des quelque 56 000 personnes titulaires de CDD d'AESH sont recrutées dans le cadre de contrats d'une durée inférieure ou égale à un an. Et si 14 500 AESH sont salariés sous CDI, ce sont des contrats à temps partiel, pour une quotité horaire moyenne de 60 % d'un temps plein.

Le Gouvernement a certes amendé son projet de loi pour une école de la confiance, en introduisant certaines dispositions plus protectrices, notamment inspirées par M. Christophe Bouillon. L'une de ces dispositions prévoit par exemple le recrutement futur des AESH par CDD d'une durée minimale de trois ans, renouvelable une fois. Mais, comme nous l'ont dit les AESH que nous avons auditionnés, « six fois un » ou « deux fois trois », cela fait toujours six années de période d'essai.

Par ailleurs, on peut s'interroger sur l'échéance à laquelle l'ensemble des AESH bénéficiaires de CDD seront effectivement recrutés dans le cadre de contrats triennaux. D'après ce que j'observe dans mon académie, il me semble que le rythme de mise en oeuvre de ces dispositions s'accélère effectivement et que nous sommes dans la bonne voie. Le rapport préconise d'aller plus rapidement vers le recrutement direct en CDI, comme notre collègue Christophe Bouillon le proposait déjà dans sa proposition de loi pour une école vraiment inclusive. Ma proposition n° 55 propose d'améliorer la reconnaissance du métier d'AESH par l'aménagement d'un statut commun à l'ensemble des ministères recruteurs et garantissant une rémunération attractive, ainsi qu'un déroulement de carrière.

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