Intervention de Didier Quentin

Réunion du mercredi 17 juillet 2019 à 17h05
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin, rapporteur :

En Méditerranée, la situation est tout autre. La surexploitation massive des stocks n'a jamais vraiment diminué, à tel point que la FAO craint pour la survie économique des pêcheries méditerranéennes dans les années à venir. En effet, les débarquements ne cessent de diminuer.

La Méditerranée se distingue par une gestion dérogatoire des pêches, puisque seules deux espèces sont sous quotas (thon et espadon), et que, pour le reste, la gestion se fait par « effort de pêche », c'est-à-dire en limitant le nombre de jours en mer. Plusieurs initiatives ont été conduites récemment, nous les rappelons dans le rapport : en particulier l'adoption, en février 2019, d'un plan pluriannuel de gestion pour la Méditerranée occidentale, qui interdit notamment la pêche au chalut durant trois mois de l'année, sur certaines zones.

Selon nous, la situation est toutefois trop grave pour se contenter de demi-mesures. Les scientifiques, comme les ONG, nous ont alertés sur l'urgence à agir pour la Méditerranée, qui abrite entre 4 et 8 % des espèces maritimes connues dans le monde et dont la pêche, majoritairement artisanale, fait vivre environ 250 000 personnes dans tous les pays riverains.

C'est pourquoi nous proposons un changement radical de méthode, avec la mise en place d'un véritable plan d'urgence européen pour sauver la pêche en Méditerranée. Ce plan devrait s'organiser autour de trois axes. Premièrement, il s'agit d'augmenter massivement les fonds européens dédiés à la recherche halieutique en Méditerranée. En effet, malgré des progrès que l'on peut voir sur le graphique n° 5, seuls 72 stocks sont actuellement connus, représentant moins de la moitié des captures. L'IFREMER ne dispose que de huit chercheurs pour toute la zone. Il faut remédier d'urgence à ce déficit. Deuxièmement, il convient d'instaurer progressivement des quotas sur toutes les espèces soumises à une pression de pêche, et prioritairement le merlu européen qui constitue l'espèce la plus surpêchée dans la zone. La politique des quotas a eu un effet très positif pour le thon rouge, dont le stock reproducteur, contrairement à une idée reçue, s'est rétabli rapidement.

Enfin troisièmement, il importe d'endiguer la dérive d'une gestion des pêches de plus en plus localisée, alors qu'il faudrait au contraire une gestion à l'échelle méditerranéenne, qui associe non seulement les États membres de l'Union, mais aussi les États du sud de la Méditerranée. Une conférence annuelle devrait tous les ans se réunir, à Malte comme cela a déjà été le cas le 30 mars 2017, pour faire le point sur l'avancée de la durabilité.

Voilà pour ce qui concerne l'état des ressources dans les eaux européennes, avec un tableau contrasté selon les différents espaces maritimes.

Notre mission a également évalué la pertinence des outils introduits lors de la réforme de la PCP de 2013, qui étaient au nombre de deux : le rendement maximal durable (RMD) et l'obligation de débarquement.

Concernant le RMD, l'ensemble des acteurs, y compris les pêcheurs, le salue comme étant un outil indispensable pour la durabilité des pêches. Celui-ci se définit comme la quantité maximale de poissons qui peut être prélevée dans un stock, sans affecter le processus de reproduction. Bien qu'introduit très tardivement dans l'Union, le RMD fait donc la quasi-unanimité.

Cependant, nous proposons de ne pas nous en satisfaire et de continuer à rechercher la meilleure manière de mesurer ce qu'est vraiment une pêche durable. En effet, la pêche a cela de particulier que l'aspect économique et l'aspect écologique vont exactement dans le même sens, à moyen terme : schématiquement, c'est parce qu'il y aura plus de poissons que la rentabilité des pêcheries sera mieux assurée ! Les études montrent la différence entre la situation actuelle et celle où le RMD serait pleinement respecté : les revenus nets seraient multipliés par près de cinq et cela pourrait créer plus de 17 000 emplois. Le plus dur est d'opérer cette transition entre le court et le moyen terme, et surtout d'en convaincre les professionnels qui ont parfois le sentiment que l'on veut faire leur bien malgré eux ou sans eux.

C'est ainsi que certains chercheurs critiquent le RMD qui se préoccuperait trop peu de la rentabilité économique des pêcheries. C'est pourquoi a été élaboré le concept, encore peu utilisé, de rendement économique maximal, qui vise à la maximisation de la rentabilité des pêcheries. Les études montrent que le rendement économique maximal, paradoxalement, se situe à un niveau inférieur en termes de prélèvement, par rapport au RMD ! Ainsi, pour gagner plus, il faudrait donc pêcher moins que le RMD !

Ensuite, nous avons examiné la pertinence d'une autre mesure, beaucoup plus controversée : l'obligation de débarquement. Cette mesure, introduite en 2013, visait à interdire aux pêcheurs de rejeter en mer certaines captures non désirées, notamment les poissons sous taille minimale de capture, ceux sans valeur commerciale et ceux pour lesquels les pêcheurs n'ont plus de quotas.

Une étude de 2005 montrait qu'en moyenne 7 à 8 millions de tonnes de poissons étaient rejetées en mer chaque année dans le monde, soit 8 % des captures mondiales, avec un taux de survie quasi-nul. Ces rejets sont inégaux, selon les espèces et rarement répertoriés par les pêcheurs. Cette mesure est donc très largement rejetée par les pêcheurs, notamment en raison de la place que ces « anciens rejets » prennent sur les bateaux, le temps de travail supplémentaire et le surcroît de carburant engendré, ainsi que l'absence de valorisation économique. C'est très clairement ce que les pêcheurs nous ont dit lors de nos auditions et déplacements.

La Commission européenne n'a prévu pratiquement aucune mesure d'assouplissement et d'adaptation. Aussi, cette nouvelle obligation est-elle peu appliquée et se solde par un échec, largement dû à la rigidité d'approche des institutions européennes.

C'est pourquoi nous proposons un moratoire de deux ans sur cette obligation de débarquement qui, sans en amoindrir l'objectif final, devrait en déterminer des modalités d'application plus réalistes. Ce moratoire pourrait se faire sous la double autorité du Conseil international pour l'exploration de la mer (c'est-à-dire des scientifiques), et des organisations professionnelles de pêcheurs. Il serait possible, en particulier, de s'inspirer des mesures mises en place en Norvège, où les rejets sont interdits depuis 1983 et où ont été mises en oeuvre de nombreuses mesures d'accompagnement, notamment financières. Celles-ci font cruellement défaut dans le projet de la Commission et doivent être organisées rapidement !

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