Je commencerai par répondre à la dernière question, qui est sans doute celle qui correspond le plus à la présentation que je viens de faire sur l'évolution du théâtre des opérations, mais aussi la plus complexe. Je considère que nous avons été exagérément optimistes en imaginant en 2013 que tout serait résolu et que la victoire éclair remportée contre les djihadistes se traduirait immédiatement en un succès politique. Force est de constater que tel n'a pas été le cas et que l'accord de paix et de réconciliation qui a été péniblement obtenu n'est toujours pas mis en oeuvre de façon satisfaisante. Or ce sujet malien, ou sahélien en général, est bien un sujet politique au sens le plus large du terme – social, de gouvernance et de développement autant que militaire ou de lutte contre le terrorisme. La réalité est que l'expression de la violence vient aggraver une dégradation générale des conditions de vie de ces populations, et que nous sommes, nous militaires, confrontés à nos propres limites : nous ne pouvons agir que dans cette mise en oeuvre de la force. Je pense malheureusement qu'aujourd'hui, les conditions d'une extension de la déstabilisation de la zone sont réunies. En effet, l'évolution de la démographie locale va continuer de s'aggraver dans les décennies qui viennent. N'importe quel État, aussi solide soit-il, serait très dépourvu s'il était confronté à une telle explosion démographique. Or les États africains qui y sont confrontés sont fragiles. Il faut les aider à restaurer leur gouvernance. Je ne vois donc pas de solution rapide, immédiate, à cette crise.
Pour autant, faut-il que nous baissions les bras ? Évidemment pas. Nous n'avons pas de perspective de résolution rapide de cette crise, mais nous n'avons pas d'autre possibilité que de faire face à nos responsabilités et d'assumer la nécessité d'une intervention de l'ensemble des pays développés, en particulier des Européens, pour aider ces États africains à se consolider, à reconstruire leur appareil sécuritaire et à assurer la première obligation de tout État vis-à-vis de sa population : sa sécurité. De ce point de vue, je considère que ce que nous mettons en oeuvre en matière de méthode est satisfaisant.
Je le rappelle, nous devons agir sur plusieurs tableaux. Tout d'abord avec une action visant à affaiblir les groupes terroristes djihadistes qui font de la guérilla et qui, par ailleurs, tentent d'accroître leur emprise sur les populations, en luttant contre eux – car il s'agit bien d'opérations de combat – et en les mettant à hauteur des forces armées maliennes qui doivent pouvoir les affronter seules ou en tout cas en étant moins accompagnées par la force Barkhane. Ensuite, nous avons l'obligation de faire, dans le même temps, monter en puissance ces forces armées maliennes. Cela peut passer par ce que fait l'Union européenne dans le cadre de l'European Union Training Mission (EUTM), par un accompagnement de la MINUSMA ou, demain, nous y réfléchissons, par un partenariat militaire opérationnel auquel nous devons encourager nos partenaires. Je souhaite que les Européens soient de plus en plus sensibilisés à cette possibilité. À cet égard, ainsi que je l'ai évoqué, nous travaillons à mettre sur pied une force qui serait coordonnée à l'opération Barkhane et qui serait capable de faire ce travail d'accompagnement des Maliens au combat une fois que nous porterons notre effort dans une autre zone.
Il faut également que nous soyons capables d'agir de façon plus précise, plus pointue, au moyen d'opérations spéciales sur les cibles à haute valeur ajoutée que sont les têtes de réseau du Rassemblement pour la victoire de l'islam et des musulmans (RVIM), qui sévissent principalement dans le nord du Mali. Je ne vois pas d'autre solution que la conjugaison de l'ensemble de ces actions.
Il faut que nous continuions à le faire, zone par zone, espace par espace, en étant attentifs à ne pas nous voir chargés d'une responsabilité qui n'est pas la nôtre – en l'occurrence une responsabilité qui est celle de la MINUSMA et des forces armées maliennes dans la zone du centre du Mali. Et je ne tiens pas, sauf si cela nous est demandé explicitement par le Mali, à ce que nous y intervenions. À ce stade, nous avons suffisamment de travail là où nous sommes. Les responsabilités qui ne sont pas les nôtres sont aussi celles qui s'exercent dans d'autres champs – celui de la gouvernance, celui du développement, celui du retour de l'administration, celui de l'éducation – dans lesquels nous essayons d'obtenir qu'une action synchronisée avec la nôtre soit développée. Nous avons établi un partenariat fort avec l'AFD et nous continuerons à le faire pour des projets de moyen terme, l'Agence en a bien saisi la nécessité.
Par ailleurs, ces actions méritent d'être mieux coordonnées au plan international. Nous prendrons donc une initiative avec mes camarades allemands et britanniques pour essayer d'obtenir que les champs d'action que je viens d'évoquer soient repris dans l'initiative européenne d'intervention, afin que celle-ci ne soit pas comprise comme une intervention seulement militaire mais comme une intervention globale. Il n'y a pas d'autre solution.
En disant cela, je réponds à votre dernière question, dans laquelle vous me demandez si je crains un isolement de la France. Quand vous acceptez d'assumer vos responsabilités, vous êtes souvent la cible des critiques. En l'occurrence, je pense que la France, et c'est son honneur, accepte d'assumer ses responsabilités, qui consistent notamment à faire prendre conscience à l'ensemble de ses partenaires européens que c'est là que se joue une partie essentielle de notre avenir et que nous devons y aller ensemble. C'est un effort qui se fait pied à pied, jour après jour. Je vois des signaux favorables. Je vois aussi, dans les évolutions structurelles de l'Union européenne, de futures opportunités d'une meilleure prise en compte de l'ensemble de ces sujets. Lorsque nous échangeons entre Européens et Américains sur ces sujets dans des cénacles comme celui de l'OTAN, de l'Union européenne chacun mesure de plus en plus que la France joue son rôle en étant le chef de file, à l'avant-garde. En l'occurrence, je souhaite que nous soyons rejoints le plus vite possible par nos camarades et que nous ne soyons pas isolés.
J'ai été un peu long, mais cette question est importante. Je préfère voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide. Mais, évidemment, la situation est préoccupante. Évidemment, le chemin est encore long. Évidemment, la France ne peut pas résoudre seule cette situation et les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Les armées françaises ne peuvent pas intervenir seules. D'autres acteurs doivent intervenir dans cette crise.
Je reviens à la première question qui m'a été posée, sur les enjeux dans le Grand Nord. La France a, pour la première fois, envoyé un bâtiment de soutien logistique qui a effectué la traversée de l'océan Atlantique à l'océan Pacifique en passant par le Grand Nord. Nous avons envoyé un bateau « gris » : c'était la première fois qu'un bâtiment de guerre faisait cette traversée, ce qui a provoqué une certaine surprise chez nos amis russes notamment, et nous en avons bénéficié. La position de la France consiste à continuer à défendre le respect du droit international, dans lequel le droit maritime est central. Nous entendons que l'exploitation des ressources, qui va fatalement se développer dans cette région du Grand Nord, se fasse dans le respect des règles et du droit international. Nous assumerons donc nos responsabilités et nous déploierons les moyens qui nous permettront d'acquérir du renseignement dans cette zone et d'y être présents lorsque cela sera nécessaire. Nous avons déjà commencé à le faire et nous continuerons.
Mme Gipson m'a interrogé sur la réforme des retraites et la fidélisation des effectifs, rejoignant ainsi la question de M. Favennec Becot sur les difficultés de recrutement. Nous sommes évidemment très attentifs à la réforme des retraites. Mais je dois avouer que je suis pris, d'une certaine façon, dans une forme de schizophrénie. Un impératif absolu s'impose à moi : préserver l'intérêt des soldats et la spécificité de leur statut, qui est la garantie de la jeunesse de notre ressource humaine – nous avons besoin d'armées jeunes. Vous êtes tous conscients de la très grande qualité de nos armées. Or si l'armée française est d'une telle qualité et si elle a à ce point l'esprit de combat, c'est aussi parce que c'est une armée jeune.
Je suis donc très attentif à conserver cette jeunesse de notre armée. Cela passe notamment par la disposition très particulière pour les militaires qu'est le bénéfice de la retraite à jouissance immédiate. Pour autant, au moment où je vous dis cela, je mesure aussi que ce bénéfice de la retraite à jouissance immédiate constitue une forme d'encouragement au départ anticipé d'un certain nombre de cadres – techniques ou plus généralistes – dont les compétences sont rares et recherchées dans le civil. Ceux-ci sont d'autant plus enclins à partir qu'ils pourront faire une deuxième carrière civile au cours de laquelle ils seront moins contraints par les règles de la vie militaire et par l'engagement qui est le nôtre, en cumulant leur retraite à jouissance immédiate et le salaire qu'ils percevront du fait de leur activité.
Je me battrai, quoiqu'il arrive. Nous avons un engagement ferme et répété du Président de la République, de M. Delevoye et de Madame Buzyn quant au maintien du bénéfice de la retraite à jouissance immédiate. Je suis également attaché au maintien de la bonification liée à l'activité professionnelle d'engagement opérationnel de nos soldats, qui permet que cette retraite à jouissance immédiate offre un bénéfice substantiel. Mais, dans le même temps, il faut que nous inventions les moyens d'une fidélisation, dans des spécialités rares notamment. Nous y travaillons, pas tant dans le domaine de la réforme des retraites, mais surtout dans le cadre des travaux sur la nouvelle politique de rémunération des militaires, qui est l'un des grands chantiers ouverts au sein du ministère.
Le sujet est délicat. Il demande surtout que nous ayons des moyens adaptables, qui permettent d'être réactifs. Il ne faut pas que nous figions un système de primes d'incitation de maintien au service qui serait arrêté pour dix ou vingt ans, alors qu'en réalité il existe une très grande volatilité des métiers et des secteurs qui deviennent brutalement attractifs. C'est face à cela qu'il faut que les armées puissent réagir, ce qui nécessite que nous inventions un système assez souple.
Madame Dubois, vous m'avez interrogé sur l'étanchéité des ressources de la LPM affectées aux armées et de celles qui bénéficieront au service national universel. J'assume pleinement la « participation raisonnée » – vous avez relevé le terme – à l'effort national du service national universel. J'ai toujours adhéré à ce projet du service national universel et à l'intention du Président de la République, car je pense que cela répond au besoin de faire nation et de recréer une cohésion sociale absolument indispensable. Bien sûr, aucune solution n'est parfaite et aucun remède ne sera définitif. Pour autant, on ne peut pas se résoudre à ne rien faire. Cette volonté de faire un service national universel me paraît donc remarquable. En tout cas, j'y adhère.
J'ai toujours affirmé que les armées transmettraient leur savoir-faire, en particulier en participant à la formation des formateurs. Vous l'avez relevé, nous avons commencé à le faire avec un grand succès et nous continuerons. Combien cela coûte et qui paiera ? Nous verrons cela, Madame. Nous allons présenter « l'addition ». Ce qui est très clair, c'est que j'ai donné des consignes très précises et des ordres très précis pour que nous soyons actifs, voire proactifs, dans la mise sur pied et la montée en puissance du service national universel, et pour que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour que l'expérimentation soit une réussite. J'ai également demandé qu'on trace très précisément les dépenses qui allaient incomber aux armées, de façon à ce que nous puissions les faire valoir auprès de nos politiques.
Par ailleurs, je suis conscient des difficultés de recrutement évoquées par M. Favennec Becot. Pardonnez-moi, je me console facilement, mais elles ne sont rien comparées à celles d'autres armées. Il faut que nous ayons bien conscience que la France – c'est une vraie singularité nationale – a des armées attractives et des jeunes qui veulent servir leur pays sous les armes. Ce n'est plus du tout le cas de la Grande-Bretagne. Ce n'est pas du tout le cas de l'Allemagne ou de la Belgique, qui fait face à une difficulté considérable dans la mesure où elle devra renouveler d'un seul coup la totalité de ses effectifs alors qu'elle a beaucoup de mal à attirer la jeunesse. En revanche, par une sorte de mystère que je ne m'explique pas, qui tient sans doute à son histoire, à sa culture, au fait qu'elle est une grande nation militaire ou encore au fait qu'elle assume sa vocation de puissance mondiale et universelle, la France continue à susciter, dans sa jeunesse, une sorte d'attrait et d'amour pour les armées et pour le service des armes. Je m'en félicite. Cela étant, il existe des spécialités rares pour lesquelles nous sommes dans une concurrence très rude avec le secteur civil. Il faut donc que nous marquions des efforts dans ces domaines, à la fois en étant plus proactifs dans le recrutement, en établissant plus de partenariats avec les écoles de formation, les IUT et toutes les voies de formation professionnelle qui permettent de former à ces spécialités rares, et en assurant ensuite le complément de formation dans nos armées.
La marine nationale est déjà engagée dans cette voie depuis très longtemps, en liaison avec un certain nombre d'industriels comme Naval Group. Nous faisons de même dans les deux autres armés, l'armée de l'air et, de plus en plus demain, l'armée de terre. C'est l'une des voies qu'il faut que nous explorions et dans laquelle nous allons continuer à avancer.
Le reste, c'est un sujet de fidélisation. Je l'ai déjà évoqué. Nous y travaillons dans le cadre de la nouvelle politique de rémunération des militaires.
M. Lachaud m'a posé une question sur la zone indopacifique. Qu'y faisons-nous ? Ainsi que cela a été évoqué dans la revue stratégique en 2017, nous tournons nos regards vers cette zone parce que c'est vers là qu'est en train de basculer la conflictualité, notamment entre la Chine et les États-Unis. Or il se trouve que nous sommes l'un des acteurs de cette zone. Je n'oublie cependant pas le bassin méditerranéen, le Levant et l'Afrique qui, pour moi, constitue une priorité absolue.
Nous sommes présents dans la zone indopacifique. Nous y sommes dans nos territoires et départements d'Outre-mer et nous continuerons d'y être, dans un premier temps pour préserver nos intérêts ainsi que les ressources naturelles de nos zones économiques exclusives face à des politiques de prédation et de pillage d'un certain nombre d'acteurs locaux, à commencer par les Chinois – qu'ils le fassent de façon directe ou pas. Nous sommes très actifs en nous renseignant et en déployant des moyens de renseignement et d'action, notamment navals. La LPM prévoit que nous renforcions nos capacités d'action ou que nous les renouvelions qu'il s'agisse des moyens d'action que nous avons dans le Pacifique, en Polynésie ou en Nouvelle-Calédonie.
Par ailleurs, nous sommes très attentifs à faire valoir le respect du droit international maritime. Nous sommes l'un des acteurs présents en permanence dans cette zone qui, de façon délibérée, manifeste son attachement au respect de ce droit. Cela a par exemple été le cas lorsque nous avons dû franchir le détroit de Formose. Le dialogue de Shangri La a montré récemment un durcissement du ton, notamment des Chinois. Aujourd'hui, la France est déterminée à ne pas baisser la garde.
Nous participons également à l'action de contrôle et de surveillance de ce qui se passe en Corée du Nord et de l'embargo visant ce pays. Nous le faisons, là aussi, par des moyens de surveillance maritimes et aériens.
De manière plus générale, j'observe que nous serons bientôt les derniers membres de l'Union européenne à rester présents dans cette zone. Nous avons passé des accords stratégiques extrêmement importants avec deux partenaires majeurs que sont l'Inde et l'Australie, avec une dimension non seulement industrielle mais aussi opérationnelle. J'observe une « demande de France » et, de la part de nos partenaires, le souhait de ne pas se retrouver pris dans une sorte de face-à-face stérile entre les États-Unis et la Chine. Il faut que nous sachions répondre à cette demande. Nous allons donc continuer sur cette voie de préservation de nos intérêts, de défense des valeurs auxquelles nous croyons et de respect du droit international.
Pour le reste, qu'entendez-vous par « attaque spatiale de grande ampleur » ? S'agit-il d'une attaque depuis l'espace sur des moyens au sol ? S'agit-il d'une attaque spatiale qui viserait les moyens qui servent à nos moyens militaires depuis l'espace, qu'il s'agisse de moyens d'observation et de renseignement, de moyens de communication ou de moyen de guidage ?