Monsieur Larsonneur, pour la dissuasion, le coeur du sujet restera le même dans le futur : la capacité d'infliger des dommages inacceptables. Pour les FAS, cela repose et reposera toujours sur les principes d'une manoeuvre militaire. C'est d'ailleurs également en cela que les FAS sont complémentaires du système balistique, plus déterministe. Il s'agit avant tout des grands fondements de la stratégie militaire : saturation, concentration des feux, concentration des moyens, connaissance de l'adversaire, connaissance des caractéristiques ennemies, mutualisation des efforts. Sur le plan tactique par exemple, nos équipages tirent parti de l'intervisibilité : quand un avion est à 100 pieds, l'horizon radar, c'est 12 nautiques. Ce qui veut dire que les défenses adverses doivent avoir, tous les 24 nautiques, des systèmes d'armes pour nous empêcher de passer. Mon métier est de trouver le trou par lequel nous passerons. Il n'y a pas là d'évolution doctrinale, et s'il devait y en avoir, ce serait le président qui le déciderait en fonction de ce qu'il souhaite en matière de maîtrise des effets.
Bien entendu, ces principes s'appuient sur des moyens qui doivent être au niveau de ce qui les attend sur le champ de bataille. Nous parlons-là de la capacité de pénétration des systèmes d'armes. Pour garantir cette capacité dans vingt ans, quelles évaluations devons-nous faire ? Comment nous projeter à vingt ans ? C'est toute la mission de l'équipe de France de la dissuasion qui réalise un travail remarquable en ce domaine : un suivi des technologies nationales et internationales pour définir celles qui seront à la pointe dans vingt ans. Le débat, à mon niveau, est bien plus capacitaire et opérationnel que doctrinal. Aujourd'hui, les caractéristiques que nous devons envisager pour le futur système sont : furtivité, connectivité, liaison de données, intelligence artificielle, capacité de voler plus bas et plus vite.
C'est d'ailleurs bien cela que doit nous permettre le développement du SCAF. Ce système de système articulé autour du NGF (New Generation Fighter) utilisera des capacités d'inter connectivité natives comme un multiplicateur d'effet pour l'avion, qui sera lui-même doté de fortes capacités de survivabilité et de manoeuvrabilité, faisant appel à des technologies de rupture. En synthèse, le renouvellement des composantes est une conséquence de la dialectique glaive-bouclier, et est donc avant tout un besoin opérationnel.
Monsieur Pueyo, vous évoquez les missiles hyper véloces. Nous avons débuté l'ASMP en 1987. Nous sommes passés à l'ASMPA en 2009. Nous passerons à l'ASN4G en 2 035. L'ASMP a connu des difficultés de développement, et c'est bien naturel compte-tenu de la rupture technologique que représentait à l'époque le statoréacteur. Le programme d'ASMPA n'a certes pas été un long fleuve tranquille mais, finalement, pour 21 tirs réalisés, on enregistre 21 coups au but. L'ASN4G sera, à son tour, une rupture technologique majeure, car nous devons toujours avoir un coup d'avance, pour justement conserver cette capacité à pénétrer. La pénétration dans la partie la plus dense de la défense adverse sera faite en effet non pas uniquement par le porteur, mais surtout par le missile.
Il s'agit donc d'un travail très opérationnel, réalisé par toute l'équipe de France de la dissuasion, y compris le CEA, la DGA et les industriels.
Monsieur Lachaud, votre question porte sur le S-400 et le S-500. Il s'agit d'une dialectique vieille comme le monde : celle du glaive et du bouclier. Le déni d'accès, c'est le bouclier à l'oeuvre dans les airs, sous la mer, sur la mer et sur terre. Revenons à l'Histoire : le concept initial de pénétration du Mirage IV reposait sur l'usage d'une vitesse bisonique à très haute altitude (30 000 pieds). Jusqu'au jour où un U-2 s'est fait abattre par des missiles SA-2 ; nous avons alors choisi de voler en basse altitude. Ce sont la flexibilité de nos armes et notre savoir-faire en matière d'emploi qui nous permettent de pénétrer. Dans les capacités de pénétration, tout ne tient pas au porteur, et une partie importante repose et reposera toujours sur le missile. La force du concept repose sur la combinatoire entre un avion de combat habité et donc capable d'adaptation et de réactivité, et un missile dont les performances aérodynamiques ne sont pas limitées par l'homme.
Pour votre information, le S-500 est surtout un missile antibalistique. Mais après les missiles actuels, les Russes feront du S-600, du S-700, du S-800 et nous, en face, nous continuerons à évoluer. C'est cette évolution permanente du glaive et du bouclier qui nous permet de garantir cette pénétration.
Quant au risque de destruction de nos bases, notre crédibilité repose en partie sur leur résilience. C'est pourquoi nous devons les protéger, et en disposer d'un nombre suffisant. Nous sommes par exemple capables d'assurer une montée en puissance en ambiance NRBC. Mais d'autres concepts permettent de garantir au président de la République qu'il disposera de son outil de dissuasion même en cas de destruction des bases aériennes à vocation nucléaire. Nous sommes ainsi capables de procéder à une permanence en vol, comme le prévoient nos procédures depuis 1964. En fonction de l'évolution de la menace, nous pouvons faire décoller nos avions en attendant l'ordre d'engagement même si les bases ont été frappées. Je vous invite à relire l'épisode de la Baie des Cochons, où les Américains ont assuré une permanence en vol des B-52 durant 72 heures.