S'agissant de l'approvisionnement en matières premières, nous nous sommes plutôt intéressés à des sources africaines pour servir de secours au cas où l'uranium du Niger serait affecté. EDF et le CEA ont constitué un stock important d'uranium, qu'il s'agisse de minerai ou d'uranium déjà enrichi. Cela nous permet de nous laisser du temps pour trouver des sources complémentaires en cas de besoin et d'avoir toujours la possibilité de fabriquer les coeurs des réacteurs nucléaires sur le moyen terme. En ultime secours, nous pourrions toujours aller récupérer l'uranium qui reste dans les anciennes mines françaises. Le coût ne serait pas le même mais cette piste est envisagée dans le cadre d'une défense en profondeur.
En matière de coopération franco-britannique, nous avions suivi en appui de la Direction générale à l'armement les travaux sur les développements futurs, notamment dans le domaine des avions mais aussi des drones. MBDA poursuit dans cette voie. Pour ce qui est de la coopération sur l'avion de combat, notre pays s'est plutôt tourné vers l'Allemagne. Pour l'heure, nous ne percevons pas d'impact du Brexit sur nos relations avec les Britanniques.
Nous verrons si le futur Premier ministre britannique aura envie de poursuivre la coopération entamée. Le Parlement britannique aura à se prononcer sur les suites à donner au traité de Lancaster House. J'ai cité 2022 comme étant une date clef mais le traité est censé durer de manière indéfinie. Nous n'avons pas d'inquiétudes particulières à avoir.
Chez nos voisins, les nominations ne s'inscrivent pas forcément dans la longue durée. Ma nouvelle homologue, issue des rangs de la police, vient d'être nommée pour remplacer le précédent directeur, venu du ministère du Trésor, dont le mandat n'a duré que deux ans. Je crois que la nouvelle directrice compte poursuivre dans la voie suivie par le cabinet de Theresa May. J'aurai l'occasion de la voir en juillet et pourrai vous en dire plus lors de ma prochaine audition.
Aux États-Unis, l'élection de Donald Trump n'a pas eu incidence sur les relations très étroites que nous avons nouées avec le département de l'énergie. Il apparaît que les choses essentielles évitent les soubresauts.
Quant à l'uranium hautement enrichi fourni par l'Allemagne, il provient d'un réacteur civil. Peut-être en étions-nous propriétaires et qu'il nous est restitué. En tout cas, il n'a rien à voir avec la défense. Il relève du suivi d'Euratom. Nous savons que nous n'aurons pas besoin d'uranium hautement enrichi pour les armes dans les cinquante années voire les cent années à venir.
En matière de lutte contre le terrorisme, nous sommes, comme les Américains, préoccupés par les armes pakistanaises, d'autant que certaines se trouvent près de la frontière avec l'Afghanistan. Il y a eu des discussions pour savoir si le contrôle dont elles devaient faire l'objet était effectif mais je ne suis pas certain que nos partenaires américains soient allés jusqu'au bout de ce processus. Nous n'avons toutefois pas eu connaissance de disparitions d'armes complètes. Quant aux matériaux qui ont pu s'échapper, c'est en général dans des quantités très inférieures à celles qui sont nécessaires pour produire une arme. Elles pourraient être utilisées pour fabriquer des « bombes sales », (à dispersion de matières), mais celles-ci pourraient aussi être produites avec les sources utilisées dans le domaine médical.
Jusqu'à présent, avec le ministère de l'Intérieur, nous avons veillé à être capables d'expertiser tout colis et de mettre au point des systèmes qui les neutralisent. C'est aussi une préoccupation que nous partageons avec nos alliés, car nous devons être en mesure d'intervenir à la fois sur le territoire national mais aussi chez nos voisins, avec l'aide éventuelle d'autres pays comme les États-Unis ou le Royaume-Uni. Nous sommes très bien avancés sur les dispositifs qui empêchent tout objet nucléaire de fonctionner. Nos équipes s'entraînent très régulièrement avec celles du Ministère de l'Intérieur à la fois pour maîtriser l'aspect technique et pour savoir gérer les crises.
Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme nucléaire ou radiologique, nous avons développé des balises qui permettent de déceler des quantités extrêmement faibles de matière nucléaire, bien inférieures à celles qui sont nécessaires pour fabriquer des armes. L'objectif est d'empêcher l'entrée sur le territoire national. Il faut avoir une très grande fiabilité tout en évitant les fausses alarmes qui gêneraient fortement les transports. Les Américains mènent des actions dans le même sens.
L'indemnisation des victimes des essais nucléaires français se fonde sur la loi de 2010 et sur le décret publié par Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, qui a assoupli les conditions fixées auparavant et donc élargi le nombre des bénéficiaires des indemnités. Nous suivons ces questions de très près mais elles sont plus spécifiquement prises en charge par le département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires (DSCEN) au sein du ministère des Armées.
En matière de ressources humaines, nous avons mis en place sur le long terme une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences à l'unité près. Nous avons la chance de disposer d'une vision de nos programmes sur le long terme. Nous pouvons donc définir très précisément nos besoins, équipe par équipe. Nous avons établi la liste des compétences dites critiques parmi lesquelles figurent la conception d'armes, la conception de chaufferies ou le fonctionnement des explosifs. Nous ajustons nos recrutements et nos formations en continu. Sur cette gestion des compétences, nous avons été audités par l'inspecteur des armements nucléaires, placé sous l'autorité directe du président de la République, dans le cadre du contrôle gouvernemental de l'intégrité des moyens. L'État considère que les compétences nécessaires pour la fabrication des armes nucléaires doivent faire l'objet d'un suivi analogue au suivi des moyens techniques qui sont nécessaires pour la fabrication des armes.
Nous devons veiller à maintenir notre capacité à recruter. Nous perdons entre 150 et 200 personnes par an, principalement en raison de départs à la retraite, et nous aurons donc à rehausser les effectifs. Alors qu'en 2013, nous n'avons recruté que 38 personnes, notre besoin en recrutement s'élève aujourd'hui à environ 300 personnes par an. Nous ne rencontrons pas de problème pour embaucher ni pour attirer ingénieurs des meilleures écoles et techniciens supérieurs. Ceux-ci deviennent une denrée rare mais nous pouvons en former une grande partie chez nous. Il y a environ 160 formations par alternance chaque année, 150 doctorants et post-doctorants et nous avons noué des partenariats avec les écoles d'ingénieurs. Les structures dont nous disposons nous permettront de bénéficier des compétences nécessaires dans la durée.
Monsieur Chalumeau, je vous remercie pour vos mots au sujet du centre du Ripault. Sur un autre plan, un an après avoir acheté un calculateur destiné à la dissuasion, nous achetons un calculateur Atos pour l'industrie qui est ouvert à l'ensemble du CEA et aux industriels. De plus en plus d'entreprises viennent utiliser ce calculateur. La dernière en date a été Total, il y a quelques mois. Cela offre aux industriels la possibilité de voir comment leurs codes de calcul passent sur des calculateurs de puissance, dont les structures sont très particulières. Cela leur permet aussi de voir par avance comment modifier les codes de calcul relativement aux machines de Bull et de ne pas perdre de temps au moment où ils auront besoin d'acquérir un nouvel équipement. Il s'agit d'un calculateur non classifié situé en zone externe du centre DAM Ile-de-France mais je pense que nous pourrons mettre à disposition des industriels un autre calculateur sur lequel ils pourront faire passer des calculs classifiés ou très confidentiels.