Voilà nombre de questions intéressantes.
S'agissant des stocks de munitions complexes, Monsieur Marilossian, l'un des objectifs du plan Mercator, que j'ai publié l'an dernier, détaille notre ambition que chaque unité tire au moins une munition complexe tous les deux ans au titre de sa préparation opérationnelle, qu'il s'agisse d'un missile de croisière, d'un missile Aster ou d'une torpille. Il s'agit là d'un objectif à long terme, que nous ne sommes pas encore en mesure d'atteindre.
C'est d'ailleurs dans cette optique que j'ai insisté auprès de l'ensemble des acteurs concernés, y compris la DGA et les industriels, pour que nous puissions participer à l'exercice Formidable shield, ce qui supposait de répondre à d'assez fortes exigences techniques de l'OTAN.
Notez que dès 2018, nous avons commandé une vingtaine de missiles Exocet MM40. En outre, conformément au calendrier de la loi de programmation militaire, nous en commanderons en 2019 une vingtaine supplémentaire, ainsi que cent Aster 30 pour nos futures frégates de défense et d'intervention et qu'une version remotorisée de nos Exocet. Tout cela sera-t-il suffisant ? Pas tout à fait. La LPM consent un effort absolument nécessaire, mais les sous-investissements passés auront pour conséquence de nous placer dans une situation délicate dans les années 2020, 2021 et 2022. À nous de savoir gérer cette situation et reconquérir des ressources pour la suite.
Madame Bono-Vandorme, s'agissant de l'action de l'État en mer, je ne peux que me féliciter de ce que le référé présenté par Mme Brigitte Girardin loue la performance de notre organisation métropolitaine de l'action de l'État en mer. Dans les outre-mer, cette organisation est différente, notamment en raison des moindres moyens de nos administrations sur place, d'une articulation différente de celle de la métropole avec les préfets civils et du fait que les commandants supérieurs des forces armées ne sont pas systématiquement des marins. La réponse du Premier ministre à ce référé fait état de toutes ces raisons pour lesquelles il semble difficile d'aller aussi loin que ce que préconise la Cour des comptes. Nous travaillons cependant à améliorer l'organisation actuelle de l'action de l'État en mer dans nos outre-mer.
J'en viens à la question de Monsieur Thiériot concernant la situation dans le détroit d'Ormuz. Nous conservons dans cette zone des moyens d'appréciation autonome de la situation. La frégate Provence a été détachée du groupe aéronaval après les premiers incidents dans le détroit. Elle a été relevée par le Surcouf qui est désormais en situation de suivre les événements. Ce cas illustre bien la pertinence de la LPM qui fait une large place à la fonction stratégique de connaissance et d'anticipation, pour fournir à nos autorités politiques les informations les plus fiables possible. Ici, comme en Méditerranée orientale, nos bâtiments y contribuent de manière performante.
S'agissant de l'Arctique, Monsieur Baudu, c'est la première fois depuis 1940 qu'un navire militaire qui ne soit pas russe a emprunté le passage du nord-est, et ce bâtiment est français : c'est le Rhône. La navigation dans ce passage n'est pas encore un sport de masse… On n'en est pas encore à faire du passage du nord-est une voie de navigation aisée. Si le Rhône a pu réussir sa traversée dans une voie libre de glaces, c'est dans des conditions rarement réunies, où la glace est la moins épaisse et la plus reculée dans l'année. Quant aux bateaux civils qui empruntent ces routes, il s'agit de navires très spéciaux, à coque renforcée pour pouvoir passer dans les glaces. Fort heureusement, le réchauffement climatique n'a pas encore fait fondre les glaces au point de libérer le passage du nord-est pour des navires plus communs, et tel ne devrait pas être le cas avant quelques décennies.
Ainsi, la mission du Rhône a surtout servi à nourrir notre expérience de la navigation dans les eaux polaires. Nous le faisons aussi avec l'Astrolabe, un navire acquis par les Terres australes et antarctiques françaises et opéré par la marine nationale pour ravitailler la base de Dumont-Durville en Antarctique depuis Hobart en Tasmanie ainsi que pour patrouiller dans les ZEE des îles Kerguelen, Crozet et Amsterdam. Il s'agit là d'un partenariat très original, qui nous permet d'acquérir une expérience de navigation dans les glaces et d'aguerrir deux équipages de vingt-et-un marins aux conditions extrêmes de navigation.
J'en viens aux questions soulevées par Monsieur Becht. Il est vrai que si l'on est convaincu de l'intérêt politique et opérationnel du porte-avions, on ne peut que souhaiter disposer de cette capacité en permanence. Mais la grande différence entre l'architecture d'un porte-avions et celle d'un porte-hélicoptères, c'est le système de catapultage ; c'est là le facteur « dimensionnant » dans un porte-avions. Certes, à l'image des Japonais, on peut envisager des porte-avions sans catapulte, que l'on appelle des LHA (Landing Helicopter Assault). Mais de tels bâtiments ne peuvent mettre en oeuvre que des avions à appontage vertical et à décollage court, dont l'autonomie, les capacités d'emport et le rayon d'action sont nettement inférieurs à ce qui est nécessaire pour intervenir en premier sur un théâtre d'opération, comme la France en a l'ambition.
Pour répondre à la seconde question de Monsieur Thiériot, relative aux patrouilleurs de la Nouvelle-Calédonie, nous allons prolonger la durée de service de l'un des deux P400 actuellement basés en Nouvelle-Calédonie en même temps que nous lancerons la commande des patrouilleurs outre-mer, ce qui ne devrait d'ailleurs par tarder. Nous visons ainsi de revenir au format arrêté en 1982, de sorte que chaque zone maritime outre-mer soit dotée au minimum d'un ou deux patrouilleurs, d'un bâtiment logistique et d'une ou deux frégates de surveillance. Indéniablement, nous subissons en matière de patrouilleurs des réductions temporaires de capacité. La plus longue de ces réductions a touché les Antilles, où les forces ne disposent plus de patrouilleur depuis dix ans ; elle doit être comblée cette année, avec l'arrivée de la Combattante, que la ministre a commandée il y a deux ans au chantier naval SOCARENAM.
Monsieur Favennec Becot, pour être précis, je ne crois pas avoir dit devant vous qu'il y avait en permanence davantage de bateaux militaires chinois qu'européens en Méditerranée, mais que pendant une semaine de juillet 2017, il s'y était trouvé davantage de grands navires militaires chinois que français. Cela n'est pas une situation permanente. Bien sûr, la Chine poursuit de grandes ambitions maritimes et, dans cette optique, a modifié ses priorités d'investissements militaires au profit de sa marine. Comme j'ai coutume de le rappeler, elle construit l'équivalent en tonnage de notre marine nationale tous les quatre ans. Ses ambitions portent à la fois sur ses approches et notamment la mer de Chine méridionale, où la République populaire revendique ce qu'elle appelle des droits historiques et remet en cause le droit maritime international et les arbitrages rendus. Les ambitions chinoises ne se limitent pas à cette zone. En effet, à l'ouest de Malacca, elle étend sa présence de façon continue depuis son engagement en 2008 dans la lutte contre la piraterie en océan Indien. La présence chinoise s'étend tout autour de l'Afrique et désormais aussi dans l'ouest de l'océan Pacifique.
Comment répondre à l'expression manifeste des ambitions chinoises ? Pour ce qui concerne la mer de Chine méridionale, le ministre Jean-Yves Le Drian avait formulé notre doctrine en 2016 à l'occasion du Shangri-La Dialogue. Elle a été confirmée par Madame la ministre Florence Parly il y a quelques semaines dans le même forum : un bâtiment de combat français passe plusieurs fois par an dans ce que le droit international reconnaît comme des eaux internationales. Affirmer ainsi son attachement à la liberté de circulation est à mes yeux une nécessité pour un pays qui dispose de la deuxième zone économique exclusive au monde.
Monsieur Pueyo, la base française aux Émirats arabes unis va bientôt fêter ses dix ans d'existence. Sa partie navale est un des points d'appui dont nous disposons dans la région stratégique du nord de l'océan Indien, l'autre étant Djibouti. Nous avons opéré depuis ce point d'appui au cours des quatre derniers mois deux chasseurs de mines qui ont blanchi les accès à certains ports de la région. Quand on fait de la chasse aux mines, il faut toujours avoir une situation de référence. Nous envoyons donc régulièrement – tous les deux ans, actuellement – des chasseurs de mines qui établissent cette situation de référence et qui donnent des informations aux pays riverains. C'est également depuis cette base aux Émirats arabes unis que nous pouvons suivre ce qui se passe et déployer des bateaux pour apporter une protection aux navires français qui croiseraient dans la région – il y en a en permanence une vingtaine. Je me suis rendu récemment aux EAU car nous avons un projet avec mon homologue émirien et avec la Sorbonne Abu Dhabi pour instituer un cursus de formation de stratégie maritime.
Vous m'avez interrogé sur l'escale du Xi'an à Toulon. J'ai rencontré mon homologue chinois en septembre dernier et nous avions convenu d'entretenir un rythme régulier d'escales – idéalement, de deux escales de bâtiments français en Chine et deux escales de bâtiments chinois en France – pour mieux nous connaître, mettre au point des mesures techniques de déconfliction et ainsi éviter des incompréhensions en mer qui pourraient aboutir à des accidents. L'entretien de cette connaissance minimale me semble sain et nécessaire. C'est dans ce cadre que le Xi'an vient à Toulon.
S'agissant de Poséidon, nous avons déjà fait beaucoup de choses avec les Italiens. Les frégates de défense aérienne que j'ai présentées tout à l'heure et qui relèvent du programme Horizon sont totalement franco-italiennes. La FREMM est très largement franco-italienne aussi. Les pétroliers ravitailleurs qui vont remplacer les type « Marne » ont un design italien. Ainsi, les Italiens sont quasiment notre premier partenaire industriel en matière navale. Nous sommes aujourd'hui à un point de bascule avec l'arrivée des radars-plaques, des missiles supersoniques et hypersoniques et de drones qui vont nous demander d'innover. Il faut que nous joignions nos efforts au lieu de dépenser chacun dans son coin les mêmes sommes sur les mêmes objets. Je me réjouis donc à chaque fois qu'il y a un rapprochement européen. Quant à l'autonomie stratégique, c'est un des sujets clés de la revue stratégique de 2017. Pour moi, le coeur du coeur de cette autonomie stratégique réside dans notre capacité à concevoir, à construire et à entretenir seuls des sous-marins 100 % français.
Je n'ai pas mesuré d'effet immédiat à la suite de la sortie en salles du Chant du loup. Cependant, je me suis engagé dans la marine après avoir vu Le Crabe-tambour au cinéma. Il y a donc probablement quelque part un petit Prazuck qui est allé au cinéma cette année et qui s'est dit : « Je veux être sous-marinier ! ». D'ailleurs, si je viens de vous projeter un film, c'est que je sais à quel point le cinéma imprime les esprits. Je n'ai aucun doute quant aux effets du Chant du loup mais le recrutement suppose non pas une seule action mais un ensemble d'actions – auquel contribuera ce film. Les marketeurs expliquent l'importance de la « marque employeur » et de la disponibilité de notre circuit de recrutement. Nous n'avions pas de recruteur à la sortie des salles de cinéma pour faire signer des jeunes mais encore une fois, je ne doute pas que le film aura un effet positif pour faire comprendre, malgré toute la fiction du scénario, la manière dont nous travaillons et nos valeurs.
Je vous remercie, Monsieur le député Le Gac, pour vos éloges de l'action de la marine à l'égard du Grande America. Nous n'étions pas seuls, comme vous l'avez souligné : ce fut une opération européenne ayant aussi fait intervenir les Britanniques et les Espagnols et ce fut également une opération inter-administrations. Cette unité d'action a été permise par la connaissance qu'a le préfet maritime de ses homologues britannique et espagnol, par son commerce quotidien avec les administrations et avec les préfets terrestres et, enfin, par les moyens que la marine dédie à la lutte antipollution. Vous citiez le Centre d'expertises pratiques de lutte antipollution (CEPPOL), basé à Brest, et j'ai salué hier le fait que pour la quatrième fois, le Laboratoire d'analyses, de surveillance et d'expertise de la marine de Cherbourg ait été classé premier laboratoire européen, sur cinquante, dans l'analyse des pollutions en mer. La marine nationale a ainsi une compétence interne qui vient s'ajouter à ses qualités de coordination et à ses capacités d'action.
La Marine nationale recrute 3 600 jeunes par an. Ce recrutement présente des difficultés dans certains métiers, comme les métiers de bouche ou le métier de détecteur et plus généralement l'ensemble des métiers techniques. D'où la multiplication de nos partenariats avec l'éducation nationale, les lycées professionnels et les BTS. Nous essayons aussi de nouer des partenariats avec des industriels. Nous disons par exemple à EDF que nous nous intéressons à ceux de ses alternants que l'entreprise n'embauchera pas ; nous pourrions les recruter et les lui rendre dans vingt ans avec une compétence technique, un esprit d'équipage et une autonomie d'action. Nous diversifions nos actions et j'ai mis la marine au poste de combat sur la question des recrutements – combat que, j'espère, nous gagnerons. Parallèlement, vous avez permis la création de primes de lien au service, à la fois pour le recrutement et pour notre attractivité en interne. En effet, il est bien d'avoir de nouvelles recrues mais encore faut-il qu'elles restent. L'attractivité doit donc être entretenue à l'extérieur comme à l'intérieur de la maison. Vous avez permis la création de bourses : j'espère en attribuer 160 en 2019 à de jeunes étudiants s'engageant en échange d'un engagement à servir dans la marine pendant quelques années, notamment dans les métiers de la cyberdéfense, du nucléaire et d'électricien-mécanicien. Je développe le recrutement local, que l'armée de l'air faisait depuis longtemps et que je m'étais interdit de faire jusqu'ici : cette année, nous lançons un recrutement local sur les bases de Landivisiau, de Lann-Bihoué, de Lanvéoc et de Hyères. Concernant l'attractivité interne, on nous dit souvent que les marins sont trop mobiles. Je travaille donc à l'organisation – non pas de leur mobilité mais plutôt de leur immobilité afin de leur garantir, au cours de leur carrière, des moments d'immobilité. Bref, nous essayons d'actionner plusieurs leviers pour recruter les marins dont nous avons besoin et que vous nous avez autorisés à recruter en termes d'effectifs, puis les conserver à bord.
M. Gouttefarde, vous me posez la question de la sécurité maritime des bâtiments français qui naviguent dans la zone de tension autour du détroit d'Ormuz. Je rappelle que nous disposons d'une base navale à Abu Dhabi, qu'une frégate française patrouille continuellement pour apprécier la situation de manière autonome. Elle est capable d'accompagner des bâtiments civils si besoin était, comme nous l'avons fait durant de nombreuses années dans le golfe d'Aden pour prévenir les bâtiments français de la piraterie. Par ailleurs le MICA Center, notre centre de sécurité maritime de Brest, est en relation continue avec les armateurs français et leur transmet une appréciation de situation et nos recommandations.