Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, cette audition, vous l'avez rappelé, intervient à un moment charnière de la vie de Radio France puisque j'ai présenté la semaine dernière un projet d'entreprise, construit sur une trajectoire pluriannuelle jusqu'en 2022, qui fixe des perspectives de transformation.
Ce projet d'entreprise, que j'évoquerai dans ses grandes lignes, témoigne de la manière dont le groupe Radio France se projette dans l'avenir pour répondre à ses missions. Nous l'avons construit à partir des échanges que nous avons eus au cours des derniers mois avec les salariés et les directions, mais nous avons également écouté nos auditeurs. À l'automne dernier, nous avons lancé, avec France Télévisions, une grande consultation en ligne, « Ma radio demain », qui a recueilli 127 000 réponses. Chaque contributeur a consacré en moyenne vingt minutes à notre questionnaire, preuve de l'engagement et de l'intérêt de ces Français pour les médias audiovisuels publics.
Je me réjouis tout particulièrement de dialoguer avec vous dans ce contexte et de vous présenter notre nouvelle ambition pour Radio France, au service des citoyens que vous représentez.
À l'origine du projet d'entreprise se trouvent les enjeux qui traversent notre société et auxquels Radio France sera confrontée dans les années à venir. Le premier est la baisse de la ressource publique. Cette contrainte n'est propre ni à Radio France ni à l'audiovisuel public, mais nous contribuerons, grâce aux efforts que nous fournirons dans les prochaines années, à faire entrer les finances publiques dans une trajectoire d'économies. Le Gouvernement a annoncé, il y a un an, que Radio France percevrait, d'ici 2022, 20 millions d'euros de redevance de moins qu'en 2018. Ce montant constitue le cadre des efforts à fournir au cours des quatre prochaines années.
À cette réduction naturelle de la redevance s'ajoute l'évolution naturelle des charges, propre à toute entreprise : elle s'élève, pour Radio France, à environ 20 millions d'euros, soit autant d'économies à réaliser sur la même période.
L'ambition du projet d'entreprise que j'ai présenté à l'ensemble des collaborateurs dépasse toutefois cet effort financier ponctuel. Elle est aussi de répondre à un deuxième défi important qui s'impose à notre groupe comme à de nombreux médias en France : un défi technologique.
Nous assistons au développement rapide des contenus audio pour le numérique – ce qui est une bonne nouvelle pour une maison comme Radio France, dont l'activité est fondée sur le son – et nous voyons les prémices d'un environnement de plus en plus concurrentiel, qui réunit de grands acteurs du numérique, de nouveaux agrégateurs du son et des médias traditionnels – la presse écrite a elle-même commencé à produire des podcasts. Cette révolution autour du son est tirée par les enceintes connectées et le développement de la commande vocale.
Radio France doit intégrer l'évolution des techniques et des usages, et accélérer sa transformation numérique. Pour relever ce défi technologique, nous avons prévu un investissement de 20 millions d'euros environ, ce qui portera l'effort de l'entreprise à 60 millions d'euros au total sur quatre ans.
Le troisième élément de contexte auquel nous entendons répondre avec ce projet d'entreprise est la crise de confiance que les médias et différents secteurs de l'action publique connaissent aujourd'hui. Notre société est travaillée par la défiance, l'individualisme, la désinformation et la diffusion de théories complotistes. Cette évolution est évidemment à mettre en rapport avec la globalisation culturelle à laquelle nous assistons. La place croissante prise par certains acteurs globaux conduit à l'uniformisation de la culture et favorise la diffusion de diverses théories, qui prospèrent. Les médias comme les nôtres ont pour rôle de rétablir les faits, et de remettre de la raison et de la profondeur dans l'analyse du monde.
La responsabilité d'une entreprise comme Radio France est donc très importante. Elle porte une certaine éthique du débat public, qui doit être exigeant, pluraliste, indépendant, et ne pas céder à la tentation de l'arène médiatique. Nous avons d'ailleurs voulu illustrer cette exigence au cours des derniers mois, pendant la crise des gilets jaunes.
À Radio France, nous prétendons défendre l'existence des faits contre les fausses informations, et user des acquis du savoir et de la connaissance pour décrypter et penser l'actualité. À rebours de l'uniformisation, nous voulons mettre en avant la diversité culturelle en rapprochant les différentes cultures de nos publics. Radio France propose un autre choix que les médias payants ou les médias guidés par la recherche du clic et du buzz.
Le rôle essentiel d'un média de service public comme le nôtre est incarné par ses différentes chaînes. Quelle autre radio que France Inter, au lendemain de l'incendie de Notre-Dame, a fait entendre Victor Hugo lu par Guillaume Gallienne ? Quelle autre radio que France Info a consacré autant de temps à informer les Français sur les enjeux des élections européennes ? Quelle autre radio que France Culture a diffusé, avant ces élections, le feuilleton radiophonique « Le Monde d'hier : journal d'un européen » d'après l'oeuvre de Stefan Zweig ? Je pourrais multiplier les exemples, qui sont autant de raisons pour lesquelles Radio France doit rester une entreprise forte.
Si le chantier financier constitue un impératif et s'impose à nous, il ne résume donc pas notre ambition : faire de Radio France le premier groupe de radio en France en termes d'audience, le leader du marché de l'audio, radio et numérique, au service de tous les Français.
Telle est la stratégie que je porte avec l'équipe de direction de Radio France et les directeurs des chaînes qui composent le groupe.
Pour que Radio France reste forte dans son métier, l'audio, et dans ses missions de service public, j'ai la conviction que nous devons nous appuyer sur chacune des sept radios qui constituent son offre aujourd'hui, parmi lesquelles France Bleu et ses quarante-quatre antennes locales, mais aussi sur les formations musicales.
Dans un contexte d'économies budgétaires, d'autres médias ont fait le choix de sacrifier certaines de leurs offres. À Radio France, nous pensons que chacune des entités du groupe remplit une mission de service public et qu'elles sont complémentaires. Chacune d'elles est distincte par les missions qu'elle remplit, souvent avec succès, et par les publics qu'elle touche. Toutes ses composantes permettront à Radio France de rester un média de service public pleinement apte à accomplir ses missions et à répondre aux enjeux de société que je viens d'évoquer.
Conserver ce périmètre ne signifie pas, toutefois, ne rien changer. Une transformation est nécessaire au sein du groupe pour lui éviter de s'atrophier et lui permettre de remplir efficacement ses objectifs. C'est pourquoi nous devons concentrer nos ressources sur certaines priorités, que je vais maintenant énumérer.
Notre première priorité est de remplir nos missions de service public, que sont l'information, la proximité, la culture et la conquête de la jeunesse.
Permettez-moi, à ce sujet, d'entrer un peu dans le détail du projet d'entreprise sur lequel nous avons travaillé et qui a été transmis aux membres de votre commission.
Dans le domaine de l'information, nous souhaitons aller plus loin encore dans la lutte contre la désinformation, d'une part, en luttant contre la diffusion des fausses informations sur les réseaux sociaux et, d'autre part, en proposant un décryptage de l'actualité et un approfondissement de l'information grâce à des outils d'investigation efficaces.
S'agissant de l'exigence de proximité qui est la nôtre, et qui correspond à notre deuxième mission de service public, nous avons décidé d'aller encore plus régulièrement à la rencontre des auditeurs. Dans le cadre de la démarche « Radio France proche de vous », nous avons instauré, sur chacune de nos antennes, des rendez-vous réguliers avec le public à travers des émissions en direct délocalisées, suivies de débats informels, non retransmis, sur les enjeux de l'information. Ces rencontres, qui visent à expliquer ce qu'est un média, nous permettent d'entendre ce que les Français ont à nous dire sur la manière dont nous remplissons notre rôle.
La proximité passe aussi, évidemment, par France Bleu. Nous avons la chance extraordinaire d'avoir un réseau de quarante-quatre radios locales, soit un maillage extrêmement dense. Vous m'avez interpellée, monsieur le président, sur les résultats d'audience de ce média. Nous ne nous en satisfaisons pas. L'une de nos priorités est de retrouver, dans les prochaines années, une dynamique d'audience forte à France Bleu, à la mesure de son développement dans le numérique.
Les contenus numériques diffusés par France Bleu connaissent en effet une nette augmentation et génèrent des recettes importantes. Ils lui ont permis de rajeunir très largement ses auditeurs. Nous voulons aller plus loin, avec des propositions éditoriales qui favoriseront la conquête de nouveaux publics et rétabliront des audiences fortes. Il s'agit notamment de tirer parti de l'expérimentation engagée ces derniers mois avec France Télévisions autour des matinales.
Les matinales sont, pour nos radios, et en particulier pour France Bleu, troisième matinale la plus écoutée de France, un axe fort de développement. La diffusion simultanée sur France 3 des quarante-quatre matinales de France Bleu conduira leurs équipes, tout en gardant la maîtrise éditoriale de cette tranche horaire, à remettre en question ses contenus et son rythme. Parce qu'elles seront diffusées à la télévision, les matinales de France Bleu seront plus attractives pour des invités qualifiés sur les sujets d'actualité. Elles seront donc en mesure de préserver leur prééminence et de développer leur dynamique d'innovation, en touchant des publics différents, ceux qui regardent la télévision et ceux dont nous saurons susciter l'intérêt en « viralisant » les images sur internet.
Notre troisième mission de service public est la culture – impossible de ne pas l'évoquer lorsque l'on aborde les offres de Radio France. Plus de soixante-dix heures de programmes sont consacrés chaque semaine à la culture et nous avons reçu comme mission de rendre accessibles l'ensemble de ces émissions culturelles. Elles ont deux rôles principaux : expliquer l'actualité en convoquant l'Histoire et les archives, en invitant des historiens, des chercheurs et des scientifiques ; mettre à l'honneur la littérature, le cinéma et la musique, en présentant des artistes et des créateurs qui ne sont pas mis en valeur dans les autres médias, notamment sur les plateformes de streaming qui diffusent toujours les mêmes titres.
Nous contribuons, avec nos chaînes, à la diversité culturelle, et nous en sommes fiers. Pour rendre notre offre encore plus lisible, nous allons proposer tous nos contenus en libre accès aux Français, au format numérique et de manière durable, en créant une bibliothèque de podcasts culturels qui permettra de valoriser les trésors dont nous disposons dans nos archives.
Nous envisageons également de proposer au format numérique l'offre musicale de nos chaînes – qui va de France Musique, à FIP, à Mouv', en passant par les chaînes généralistes –afin que les Français profitent de sa richesse et de sa diversité. Des artistes très connus de la scène française actuelle ont souvent fait leurs débuts sur nos chaînes.
La musique est un élément fort de la culture et nos orchestres contribuent à la mettre en avant. Nous voulons concevoir pour eux un projet artistique ambitieux, qui renforcera leur différenciation. L'Orchestre national de France porte bien son nom puisqu'il assure une présence territoriale et présente les grandes oeuvres du patrimoine que tous les Français n'ont pas eu la chance d'entendre interprétées. Quant à l'Orchestre philarmonique de Radio France, il va continuer d'accompagner, au travers d'événements qu'aucun autre acteur culturel n'est aujourd'hui en capacité d'offrir, la scène musicale que nos radios mettent en valeur.
En diffusant les concerts de ces deux formations musicales, les chaînes de Radio France touchent un public qui dépasse très largement celui des salles de concert et qui va même au-delà de nos auditeurs. Notre plateforme musicale sur internet est potentiellement accessible à tous les Français et à des utilisateurs étrangers.
Notre deuxième priorité stratégique, après les missions de service public, est d'élargir notre audience auprès des Français. Il est incontournable, pour un média comme le nôtre, de renouveler constamment les publics auxquels il s'adresse. Ces dernières années, nous avons fortement rajeuni notre audience puisque avons gagné 50 % d'auditeurs de moins de 25 ans par rapport à il y a trois ans. France Inter est désormais la première radio généraliste écoutée par les moins de 25 ans. Mouv' contribue fortement à cette dynamique puisqu'elle est aujourd'hui la chaîne la plus jeune du paysage audiovisuel français (PAF), médias publics et privés confondus : la moyenne d'âge de ses auditeurs est de 27 ans. Toutes nos chaînes sont engagées dans une dynamique de rajeunissement de leur public.
Élargir notre audience n'est pas simplement la rajeunir. Nous avons l'ambition de toucher tous les Français quelle que soit leur catégorie socioprofessionnelle. Or France Bleu nous permet d'attirer un public que les autres chaînes ne touchent pas. Nous suivons de près les auditeurs de France Inter et de France Info, de plus en plus nombreux. Aujourd'hui, Radio France touche chaque jour, avec l'ensemble de ses chaînes, 15 millions de Français.
Pour nous adresser au plus grand nombre, notre diffusion et notre distribution seront demain essentielles. Ma conviction, étayée par de nombreuses analyses et comparaisons avec l'étranger, est que l'écoute de la radio en direct va rester durablement importante. Contrairement à la télévision, la radio est un média qui accompagne. Elle ne nécessite pas que l'on sacrifie une activité pour l'écouter. Elle est aux côtés des Français dans la mobilité, au quotidien. C'est la raison pour laquelle nous avons investi dans la radio numérique terrestre en DAB + (digital audio broadcasting). Cette technologie moderne et anonyme, de qualité et gratuite, ne passe pas par un opérateur de télécommunications.
Outre l'écoute en direct, nous proposons la radio pour chacun, à travers de nouveaux usages numériques. Ce mode d'écoute plus individuel, au choix, nous a permis de conquérir des Français qui ne nous écoutaient pas et de leur faire connaître nos contenus. Radio France est le premier producteur de podcasts en France. Nous allons continuer de développer notre offre numérique en la structurant autour de la plateforme Radio France, qui donne accès aux contenus de toutes nos chaînes. La promesse d'audace, d'exigence, de créativité et de diversité de nos chaînes sera intégralement tenue sur cette plateforme numérique.
L'information est un enjeu important de notre stratégie numérique. Radio France a l'ambition d'élargir son audience auprès des jeunes mais également des Français éloignés des médias traditionnels. Les formats numériques massifient l'information et accroissent le risque de désinformation. Notre stratégie de présence sur le numérique doit impérativement tenir compte de cette réalité. Certains acteurs dominants sur le marché représentent aujourd'hui une menace pour Radio France en faisant planer un risque de désintermédiation. Nos contenus pourraient demain n'être plus écoutés que sur des plateformes tierces. Le rôle de Radio France se réduirait alors à celui d'un fournisseur de contenus. Une telle évolution serait très négative puisqu'elle couperait notre lien avec les Français. Or notre politique de distribution dans le numérique vise, avant toute chose, à préserver ce lien, et à nous permettre d'assurer toujours notre mission, en favorisant certains contenus et en gardant la main sur la ligne éditoriale.
Notre troisième priorité stratégique est d'affirmer notre différence au sein de l'audiovisuel public en valorisant l'audio. Nous voulons renforcer notre capacité à produire des contenus audio de manière créative et moderne. C'est pourquoi nous engagerons, dans les prochaines années, un plan d'investissement significatif pour garantir l'excellence de la production du son à Radio France, à la fois pour la radio en direct et les contenus numériques. Nous allons investir dans les technologies de demain et mettre en place un studio Radio France qui valorisera l'excellence de notre savoir-faire en matière d'audio.
Comment décliner l'ensemble des priorités que je viens d'évoquer dans un contexte d'économies budgétaires ? La question de la méthode est ici posée. Nous avons engagé un travail important pour faire évoluer les compétences et les organisations en interne, et nous doter d'équipes réorganisées à la pointe de l'innovation. Nous devons nous donner les moyens de notre transformation et financer notre transition numérique grâce à l'investissement sur la radio numérique terrestre (RNT), en formant nos collaborateurs, en investissant dans nos outils et en donnant des capacités de développement à chacune de nos chaînes.
Pour rendre tout cela possible, nous avons engagé des discussions avec les partenaires sociaux, auxquels la loi confère des prérogatives importantes, sur un nouveau pacte social. Nous discutons avec eux de l'ensemble des chantiers sociaux.
Je vous ai présenté, mesdames, messieurs les députés, les différents sujets qui sont aujourd'hui sur la table dans le cadre d'une stratégie ambitieuse pour le service public audiovisuel. J'ai la conviction que c'est aujourd'hui le bon moment pour engager la transformation de Radio France. Comme le montrent les rapports d'exécution du contrat d'objectifs et de moyens, et du cahier des missions et des charges, nous avons d'ores et déjà obtenu des résultats. Permettez-moi, pour conclure, d'en rappeler trois.
Avec 15 millions d'auditeurs, Radio France enregistre aujourd'hui des audiences historiques. France Inter est désormais la première radio de France. France Info est la première plateforme digitale d'information. France Culture est la station qui a connu la plus forte progression d'audience.
Nous avons également obtenu des résultats positifs en matière de gestion. Les réformes que nous avons engagées nous ont permis de revenir à l'équilibre en 2018. Nous avons clôturé cette année avec un résultat positif de plus de 7 millions d'euros, contre 0,5 million initialement prévu.
Enfin, le chantier de réhabilitation de Radio France, qui a fait l'objet d'une vigilance particulière au cours des dernières années, entre actuellement dans sa dernière phase. Son nouveau pilotage, soucieux des coûts et des délais, nous permettra de faire de cet investissement public significatif un atout pour l'entreprise. Nous disposerons en effet, au terme des travaux, d'un lieu de production audio absolument unique en Europe. Tous les visiteurs étrangers du bâtiment nous ont fait part de leur admiration pour cet espace. Les activités qu'il accueillera contribueront, par leur diversité et leur qualité, au dynamisme de la filière culturelle en France.
J'ai répondu, bien que rapidement, à votre question sur France Bleu, monsieur le président. En ce qui concerne FIP, cette radio s'inscrit pleinement dans la stratégie musicale que j'ai présentée. Comme l'ensemble de nos chaînes, elle sera diffusée en DAB + à partir du 1er janvier 2020, non plus dans dix villes, mais sur l'ensemble du territoire. Elle entrera donc dans une dynamique nouvelle, avec des contenus identiques sur toutes les fréquences et la fin des décrochages locaux, ce qui nous permettra de toucher plus de Français et de mettre en valeur l'actualité culturelle de nos régions. Nous allons nous appuyer sur les équipes locales de FIP pour mettre en place des ambassadeurs de la musique. Ces « délégués musicaux de Radio France » sur le territoire nourriront l'ensemble des antennes de Radio France. Leur connaissance de l'actualité, des festivals et des artistes de leur région, contribuera à valoriser encore davantage demain, sur l'ensemble de nos chaînes nationales, la vie culturelle de notre pays.