Je souhaite tout d'abord mettre l'accent, au nom du groupe Socialistes et apparentés, sur deux dispositions du projet de loi, que nous examinons aujourd'hui : d'une part la mission de régulation, qui sera entièrement confiée à l'ARCEP, d'autre part l'ouverture à la concurrence du marché de la distribution de la presse en 2023.
La désignation de l'ARCEP comme régulateur unique en remplacement du CSMP et de l'ARDP nous paraît tout à fait préoccupante. Les missions de cette autorité correspondent à une analyse du marché, par conséquent à un raisonnement économique et financier ne permettant pas de garantir que l'objectif constitutionnel de maintien du pluralisme de la presse soit mis au premier plan.
Le présent projet de loi introduit par ailleurs un risque pour l'égalité de traitement entre les titres de presse. Rappelons que l'objectif de la loi Bichet de 1947, qui organise depuis plus de soixante-dix ans la distribution de la presse écrite, était d'en garantir une diffusion libre et impartiale sur l'ensemble du territoire. Or, en attribuant l'ensemble de la régulation et à une seule autorité dont les membres sont désignés par les présidents des chambres parlementaires et par le Président de la République, la distribution de la presse pourrait se retrouver entre les mains d'un pouvoir qui aurait toute latitude pour laisser ou non diffuser l'information en fonction des opinions.
La distribution de la presse est une question sensible pour la liberté d'expression et a fortiori pour notre démocratie. L'encadrement, permis par les amendements socialistes au Sénat, des pouvoirs dont l'ARCEP disposerait en matière de maintien du pluralisme, de maillage territorial et de transparence des tarifs améliore toutefois le dispositif présenté dans ce projet de loi. L'action de nos collègues socialistes au Sénat a également permis de limiter le champ d'intervention de l'autorité de régulation sur la distribution groupée de la presse, ce qui garantit aux éditeurs qui s'autodistribuent, et notamment à la presse quotidienne régionale, de continuer à le faire sans que l'ARCEP puisse intervenir ou exiger un droit de regard.
Enfin, nous partageons les craintes des syndicats quant aux conséquences de l'ouverture du marché à la concurrence en 2023 pour le secteur de la distribution de la presse. L'ouverture des capitaux à des sociétés spécialisées dans la distribution, comme la multinationale Amazon, pourrait causer une casse sociale irréparable. En effet, une entreprise ayant le profit pour unique objectif aurait la possibilité de restructurer les messageries afin de couper dans les effectifs à terme.
En tout état de cause, une intervention était nécessaire face à la disparition de près de 800 points de vente de presse par an, disparition en partie liée à la chute des ventes de la presse papier au profit des éditions numériques, en hausse significative. Nous avons donc accueilli positivement la prise en compte du numérique et le maintien des grands principes de la loi Bichet : système coopératif, liberté de distribution, égalité de traitement. La fin du système hérité de 1947, qui permettait aux éditeurs de presse d'être à la fois actionnaires et clients des messageries, et entraînait des conflits d'intérêts, est une mesure bienvenue. Cependant, nous pensons que la loi de modernisation du secteur de la presse, adoptée en 2015, qui confirme et renforce une régulation bicéphale, est plus satisfaisante puisque le présent texte introduit une faille en ouvrant la possibilité d'une régulation aux mains du pouvoir. La menace pour l'égalité de traitement des titres de presse et le risque de casse sociale sont autant de points que nous ne pouvons soutenir.
Enfin, nous doutons que cette réforme permette de redresser les ventes et la situation des opérateurs français historiques de distribution de la presse. C'est pourquoi, à ce stade, nous prévoyons de nous abstenir sur ce texte.