Intervention de Gilles Andréani

Réunion du mercredi 26 juin 2019 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes :

C'est pour moi un plaisir et un honneur de revenir devant notre commission, pour la troisième fois depuis le début de l'année, y présenter un rapport réalisé par la quatrième chambre, sur le sujet des réserves opérationnelles de la police et de la gendarmerie. Ces réserves ont acquis à la suite des attentats de 2015 et 2016, et du désir d'engagement de nos concitoyens à la suite ces événements, une visibilité politique plus grande. Et l'accroissement du nombre de ces réservistes est devenu une priorité avec la création d'un cadre destiné à fournir un contexte nouveau à ces réserves, celui de la Garde nationale. Des moyens budgétaires plus importants leur ont été alloués, et l'objectif a été retenu de développer la réserve de la police, à l'instar de celle de la gendarmerie.

Il s'agit d'un petit sujet en termes de budget : 110 millions d'euros en 2017 pour 36 000 réservistes de la gendarmerie et 3 500 réservistes de la police. Cependant, en 2018, des difficultés budgétaires sont apparues, qui ont freiné cette dynamique, et le recours aux réserves du ministère de l'intérieur a dû être réduit. L'emploi quotidien des réservistes du ministère de l'intérieur est passé de 3 500 à un peu plus de 2 000 en 2018. C'est dans ce contexte que la Cour a mené ses travaux pour répondre à votre demande. Elle l'a fait, selon son habitude, sur la base de questionnaires écrits et de visites sur place dans les régiments de gendarmerie et au sein des secrétariats généraux, pour l'administration du ministère de l'intérieur qui gère les réserves, et dans plusieurs directions départementales de la sécurité publique.

Nos travaux ont cherché à répondre aux cinq questions suivantes. Qu'est-ce que la réserve, et de quoi parle-t-on ? Les réservistes sont-ils réellement disponibles, et peut-on vraiment faire appel à eux ? Qui sont-ils, comment les recrute-t-on, et comment les maintient-on au sein des réserves ? Quelles missions leur confie-t-on et à quel coût ? Quel est l'avenir de la réserve ? J'aborderai ces cinq thématiques en vous faisant part à chaque fois des principales observations et recommandations de la Cour des comptes.

Le premier point concerne la définition des réserves. Au terme de notre enquête, nous avons le sentiment que le concept de réserve a été indûment étendu, et qu'il conviendrait de le clarifier et de ne qualifier de réservistes que ceux qui sont réellement disponibles. Le concept de réserve renvoie à des réalités multiples, mais au départ, c'est un concept qui est issu du monde militaire. Et même dans le monde militaire auquel il appartient, l'emploi du mot de réserve recouvre aujourd'hui des réalités extrêmement variées. Il y a des réserves opérationnelles de niveau 1 et de niveau 2, des réserves d'emploi, une réserve citoyenne, qui recouvrent des réalités extrêmement diverses. Certains réservistes dits opérationnels ne sont pas réellement mobilisables. D'autres sont des civils qui ne peuvent ni porter les armes ni être appelés à un service effectif, et constituent une réserve principalement honorifique. C'est le cas des réservistes de la réserve citoyenne des armées. De la même façon, la police englobe, sous la dénomination de réserve civile, les policiers retraités, soumis de par la loi à une obligation de disponibilité d'une durée de cinq ans, et ceux qui parmi eux ont souscrit un engagement de servir qui les rend réellement disponibles aux côtés de quelques rares réservistes issus directement de la société civile.

On a eu tendance également, au-delà de ces diverses catégories, à créer des formes d'engagement, avec la réserve civique issue de la loi du 27 septembre 2017, qui relève davantage du bénévolat que d'un véritable service de réserve. Je ne vais pas détailler ces différentes catégories de réservistes ; nous vous renvoyons pour ce faire aux pages 17, 19, 23 et 27 du rapport, où vous trouverez des schémas qui illustrent le recouvrement de ces différentes catégories et leur extrême complexité, et qui correspondent à une extension et une complexité du concept de réserve que l'on peut juger excessives.

Pour revenir à l'essentiel, nous parlons des réserves qui peuvent effectivement renforcer les services de police et de gendarmerie et qui sont principalement constituées de personnes ayant souscrit un engagement à servir dans la réserve de la police ou de la gendarmerie. Ces réserves au sens strict comprenaient, à la fin de l'année 2017, 2 900 personnes dans la gendarmerie et 6 300 dans la police. 36 000 réservistes au total réellement disponibles pour le ministère de l'intérieur. Il y en a à peu près autant, pour votre information, au ministère des armées. Elles constituent les réserves militaires. Les véritables réservistes, je le répète, sont ceux qui ont souscrit un engagement à servir dans la réserve, et sont donc disponibles. Je dirai simplement que, au terme de son examen, la Cour a estimé qu'il fallait essayer de clarifier ce paysage des réserves, retenir un qualificatif unique pour les armées, la gendarmerie et la police, au-delà des différentes appellations que j'ai évoquées. Et surtout restreindre le concept de réserve à ceux qui sont réellement et immédiatement employables. De façon plus générale, nous gagnerions en clarté à ce que ce terme soit réservé à des personnes effectivement mobilisables par l'autorité publique, pour répondre à des situations où la sécurité intérieure et extérieure est en cause.

Deuxième constat, si nous voulons augmenter le nombre de réservistes du ministère de l'intérieur – et c'est plutôt en ce sens que les responsables gouvernementaux ont orienté la politique des réserves de ce ministère – alors il faut organiser le rappel des anciens gendarmes, comme celui des anciens policiers. Car dans ce tableau assez complexe des réserves, il y a une catégorie qui attire particulièrement l'attention, ce sont les réservistes qui ont quitté le service depuis moins de cinq ans, qui sont donc soumis à une obligation de servir, mais qui n'ont pas souscrit d'engagement individuel de servir dans la réserve. C'est un effectif qui est à peu près équivalent aux réserves effectives. Et si nous voulons augmenter les réserves de la police ou de la gendarmerie, il faut se tourner en priorité vers cette catégorie. Or ces réservistes, qui sont dits « de disponibilité », ne sont en fait pas disponibles. Les exercices montrent que cette réserve répond mal à l'appel. Nous ne connaissons pas les adresses. Et par conséquent, nous incitons le ministère de l'intérieur, à faire du côté de la gendarmerie ce que la police commence à faire avec succès, qui est de mieux les repérer, de les conserver dans des bases de données qui permettent de les mobiliser effectivement le moment venu. Parce qu'il s'agit du principal vivier qui pourrait permettre de le faire, si l'orientation d'élargir les réserves est maintenue.

La Cour a enfin regardé deux autres catégories de réserves sur lesquelles l'attention publique s'était portée. D'abord celle des réservistes dits « spécialistes » de la gendarmerie, qui peuvent être recrutés en dehors des cursus de formation ordinaires des réservistes. Nous avons regardé l'intégralité des personnes bénéficiant de ce statut et nous n'avons pas trouvé d'anomalies nouvelles. Nous recommandons néanmoins qu'à l'avenir, la procédure de recrutement de ces spécialistes – qui peuvent par ailleurs être fort utiles, certains d'entre eux possèdent des spécialités très rares et utiles à la gendarmerie – soit mieux formalisée, et obéisse à des critères de recrutement clairs et prédéfinis.

Ensuite, la Cour s'est intéressée aux cadres administratifs créés à plusieurs reprises pour donner une sorte d'affichage aux réservistes les plus immédiatement disponibles. En particulier le dernier créé, à l'initiative du Président Hollande, est celui de la Garde nationale, qui n'est rien d'autre qu'une petite administration qui n'a pas de responsabilité de gestion de quelque sorte que ce soit vis-à-vis des réserves. Nous avons observé que les responsabilités de cette petite administration dupliquaient celles du Conseil supérieur de la réserve militaire et en conséquence, avons recommandé que les deux soient fusionnées.

Avec le troisième constat, nous allons aborder le fond du sujet, après le contexte. C'est celui qui porte sur l'engagement des réservistes. Cet engagement est élevé. À observer les réservistes, nous constatons qu'ils font preuve d'une réelle motivation. Cette motivation est renforcée par des incitations dont les principales sont les missions, la rémunération et la promotion. Je dirai un mot sur ces différents éléments.

Certes, la volonté de servir le pays est sensible chez l'ensemble de ces réservistes. Et d'ailleurs, l'afflux des volontaires après les événements de 2015 et 2016 en témoigne. Il y a d'autres motivations – en particulier chez les retraités – telles que le désir de maintenir un lien avec leur corps d'origine et de percevoir un complément de rémunération.

Si nous observons comment la police et la gendarmerie déploient des incitations à l'intention des réservistes, nous constatons que la gendarmerie a su mieux répondre au désir d'engagement civique de la société civile que la police, dont l'ouverture à des membres de la réserve qui ne seraient pas d'anciens policiers est restée extrêmement limitée, pour de nombreuses raisons qui tiennent à son organisation et à ses règles d'emploi. Ces règles d'emploi ne permettent effectivement pas aux réservistes de la police d'assumer des missions pleinement opérationnelles.

Pour revenir à la gendarmerie, la montée en puissance de la réserve s'appuie sur un recrutement ouvert, en dépit d'un caractère assez sélectif, marqué par des âges et des origines sociales assez diverses. Les réservistes sont formés et intégrés par la gendarmerie dans le cadre d'une préparation rapide peu coûteuse, et au cours de laquelle s'établissent des liens qui semblent solides avec l'institution. Elle est ainsi en mesure de recruter 5 400 réservistes par an, ce qui lui permet de stabiliser les effectifs de la réserve.

Et le parcours de recrutement, relativement exigeant, connaît un goulot d'étranglement, celui des visites médicales, qui compliquent un peu le processus et que nous recommandons d'alléger.

La capacité d'intégration de la gendarmerie n'est cependant pas omnidirectionnelle. Elle est facilitée par les caractéristiques socioculturelles du vivier d'où sont issus les gendarmes réservistes. En effet, la réserve de la gendarmerie est composée à 70 % de personnel issu de la société civile, mais près de 40 % d'entre eux avaient déjà des liens avec la gendarmerie ou le monde militaire à un titre ou à un autre. Soit qu'ils aient accompli leur service national, ou aient été volontaires du service national après la suspension de la conscription.

La réserve est fortement structurée par grades. Elle est très encadrée, et l'encadrement est assuré par d'anciens gendarmes. Les anciens militaires, pour l'essentiel gendarmes, représentent 86 % des sous-officiers et 88 % des officiers de réserve. Donc, il y a un mélange, dans la gendarmerie, d'une ossature formée par des réservistes très proches du monde de la gendarmerie avec une ouverture réelle à la société civile.

La réserve de la police, de son côté, a fortement crû à la suite de l'impulsion politique dont j'ai parlé, puisque ses effectifs sont passés de 2 800 en 2013 à plus de 5 500 en 2017. Cependant, cette croissance reste endogamique, puisque les anciens policiers représentent plus de 90 % des effectifs des réserves de la police. Je renvoie ici aux règles d'emploi dont je parlerai un peu plus loin.

Qu'il s'agisse de la police ou de la gendarmerie, les retraités jouent un rôle essentiel au fonctionnement de la réserve. Il faut donc se préoccuper des deux facteurs qui risquent de réduire le vivier des retraités des deux forces. Le nombre de retraités de la gendarmerie qui souscrivent un engagement à servir dans la réserve a nettement diminué. En 2018, ce chiffre est tombé à 1 500, soit un chiffre historiquement bas. Plus bas que le point le plus bas antérieurement connu avant les événements de 2015 et 2016, qui était de 1 700. Et enfin, comme partout dans les corps administratifs, le recul de l'âge effectif de la retraite réduit naturellement le vivier des réservistes retraités. En contrepartie, il y a des incitations qui restent jusqu'à présent efficaces, reposant sur des leviers dont les deux premiers sont communs aux deux forces auxquelles il convient d'ajouter un troisième, propre à la gendarmerie.

Le premier, c'est celui du volume des missions. Les réservistes qui s'engagent souhaitent effectuer un nombre minimum de jours de service. Et c'est aussi nécessaire aux forces pour amortir les coûts fixes représentés notamment par leur formation. Et donc, alors qu'au niveau politique des objectifs globaux, le réserviste avait été assigné aux deux forces, celles-ci complètent cet objectif par un objectif de nombre de jours de service – en fonction d'un taux d'emploi des réservistes, et elles cherchent à conserver ce taux –, qui sont un facteur de rétention des réservistes. Ceux-ci sont en effet découragés, lorsqu'après avoir effectué leur formation, on ne fait pas appel à eux. C'est tout à fait naturel.

Deuxième élément de fidélisation, la rémunération. La rémunération brute annuelle moyenne des deux forces, soumise à des règles de cumul, en particulier en ce qui concerne les retraités, est de 3 400 euros dans la gendarmerie, et de 5 740 euros dans la police. Les 20 % de policiers les plus employés par la réserve perçoivent en moyenne 12 790 euros par an. Ce complément de ressource n'est pas négligeable. Il l'est d'autant moins que ces rémunérations bénéficient d'une exonération fiscale complète. Je signale que la Cour, à de nombreuses reprises, s'est élevée contre le principe même d'exonération fiscale des revenus, que ce soit pour les réservistes de la police ou de la gendarmerie, ou plus récemment les pompiers volontaires. Disons que si nous ne devions pas être écoutés à cet égard, à tout le moins conviendrait-il que cette exonération soit validée par le législateur, parce qu'elle repose aujourd'hui sur des bases mi-réglementaires, mi-coutumières, et qu'elle soit plafonnée.

Le troisième élément de fidélisation du réserviste est l'organisation militaire de la gendarmerie. Cette organisation militaire permet aux gendarmes d'offrir à leurs réservistes un cursus de carrière. Ils progressent en grade, se voient attribuer des décorations. Ils sont intégrés dans un corps où ils progressent. Ce n'est pas un cadre que peut offrir la police nationale dans la configuration qui est la sienne aujourd'hui. Je mentionne pour mémoire –vous le trouverez dans le rapport – le fait qu'au fur et à mesure que l'on déployait des incitations destinées à répondre au besoin d'engagement citoyen post-attentats, nous avons mis au point, en particulier dans le cadre de la Garde nationale déjà citée, quelques incitations en direction des jeunes : dispenses d'examens professionnels pour servir dans des sociétés de sécurité privées, facilitations pour le permis de conduire, etc. Elles sont très nombreuses. Je dirai simplement qu'à l'examen de ces incitations, nous trouvons quelques aberrations administratives, et notamment le fait que les incitations déployées en direction des réservistes de la gendarmerie ne profitent pas intégralement aux réservistes de la police nationale. Je le signale, c'est expliqué plus en détail dans le rapport, et nous recommandons que les deux séries d'incitations soient alignées.

Quatrième constat : les réservistes apportent un concours devenu indispensable aux deux forces, avec une grande souplesse d'emploi et pour un coût maîtrisé. Disons, si la Cour devait porter un jugement synthétique sur les réserves et leur contribution à l'exercice de leur mission par les deux forces de sécurité intérieure, que ce jugement est positif.

Commençons par la gendarmerie. Les réservistes de la gendarmerie sont considérés comme des gendarmes à part entière. Ils sont armés, ils sont dotés du même uniforme que celui des personnels d'active, et ils concourent à toutes leurs missions à l'exception des tâches de maintien de l'ordre en unité organisée. Ils effectuent ainsi patrouilles, contrôles routiers, secours aux victimes et tous les autres types de missions, soit incorporés à des unités d'active, soit dans des unités de réservistes. Ils sont cependant dans l'impossibilité d'exercer les missions d'officiers de police judiciaire, quand bien même ils auraient eu cette qualité avant de quitter le service actif. Et la Cour recommande que cette question soit le cas échéant examinée par les ministères de l'intérieur et de la justice.

En 2017, l'emploi des réservistes représente à peu près un million de journées, ce qui équivaut à 5 % en équivalents temps plein travaillé (ETPT) des effectifs de la gendarmerie nationale, mobilisables en fonction des circonstances. L'usage polyvalent du réserviste de la gendarmerie lui permet d'être appelé lors des congés des personnels d'active, et lors des pics d'activité et migrations saisonnières. Lorsque nous voyons la courbe d'emploi des réservistes de la gendarmerie, nous voyons un pic aux alentours des vacances d'été autour du mois d'août (le Tour de France, les congés, etc.) et fin de l'automne, début d'hiver, qui culminent avec les vacances de Noël. Il y a là deux pics d'activité qui apportent un soulagement aux forces d'active et qui représentent un concours véritablement indispensable dans l'état actuel des choses au fonctionnement de la gendarmerie. La souplesse d'emploi de la réserve permet aussi de faire face à des crises, par exemple les barrages autoroutiers mis en place après la fuite des frères Kouachi, qui ont fait largement appel à des services de la gendarmerie sur le réseau autoroutier d'Île-de-France, la sécurisation d'une zone d'accident aérien, ou les renforts dictés par la mobilisation des personnels d'active due à des circonstances particulières.

C'est ainsi que pendant les manifestations des « gilets jaunes », où les réservistes n'ont pas servi au maintien de l'ordre, ils ont au moins soulagé les forces de gendarmerie, et pendant ces journées, des pics quotidiens de 5 000 réservistes ont été enregistrés chaque samedi au plus fort de la crise. Comme je l'ai indiqué, la structuration par grade des officiers de réserve, sous-officiers, gendarmes et des réservistes de la gendarmerie, permet la création d'unités d'intervention constituées exclusivement de réservistes, sous forme de détachements de surveillance et d'interventions de réservistes. Certains d'entre eux ont été engagés assez longtemps à la suite du passage de l'ouragan Irma à Saint-Martin. Deux compagnies de réserve territoriale y ont été maintenues pour une durée de trois mois.

Enfin, à l'autre extrémité du spectre de l'emploi des réservistes de la gendarmerie, certaines unités sont en situation de faiblesse d'effectifs structurels, et des gendarmes réservistes y sont donc affectés de façon récurrente. Connaissant bien l'unité, ils la renforcent de façon très régulière. C'est une approche qui reste cependant marginale dans la doctrine d'emploi de la gendarmerie et qui se rapproche d'ailleurs davantage de celle de la police nationale, où les réservistes sont appelés à tel ou tel commissariat, telle ou telle unité qu'ils connaissent bien, où ils ont leurs habitudes, où ils ont parfois servi et donc opèrent d'une façon tout à fait différente des réservistes de la gendarmerie.

Pour caractériser la doctrine d'emploi de la police, je dirai qu'elle est fondée sur un principe de spécialisation et de complémentarité des tâches des réservistes. 300 000 journées en 2017, un peu moins de 1 % du volume de travail de la police nationale. C'est beaucoup moins en proportion que les gendarmes. Ils ne disposent pas de toutes les prérogatives de leurs collègues, quand bien même ils sont d'anciens policiers. Ils ont un uniforme légèrement différent. Ils ne peuvent ni intervenir de façon autonome ni encadrer d'autres policiers. Le réserviste de la police intervient en soutien sur les tâches particulières qui allègent la police d'active pour des tâches jugées prioritaires. C'est ainsi que les réservistes de la police sont affectés à des gardes statiques de bâtiments, des missions urgentes non planifiées qui pourraient désorganiser le service d'active, comme des transferts de détenus imprévus, des interventions d'urgence dans des centres de rétention administratifs, etc. Ils apportent un soutien administratif important à un certain nombre de procédures, notamment les procédures de défense juridique de l'État dans le cadre du contentieux des étrangers.

Le recours aux policiers s'effectue selon une amplitude très forte. L'emploi quotidien varie de 900 réservistes à 3 700 en moyenne selon les mois. En gros, la souplesse d'emploi des réservistes de la gendarmerie et de la police va de pair avec un coût d'usage, si je puis dire, qui est faible. La journée de réserviste tout compris revient – les rapporteurs l'ont calculé – à 105 euros dans la police et 116 euros dans la gendarmerie, dépenses nettement inférieures à celles des personnels d'active. Dans la police, cela est dû au fait qu'il y a un barème forfaitaire de rémunération des réservistes qui n'a pas été revalorisé depuis longtemps. Et dans la gendarmerie, les gendarmes réservistes sont payés de la même façon que le personnel d'active. Une journée de lieutenant-colonel est payée le même taux qu'un lieutenant-colonel d'active. Simplement, les grades moyens sont beaucoup plus bas dans la réserve. Et par conséquent, la journée moyenne est moins élevée en coût que celle du gendarme, et il faut défalquer du coût du gendarme le coût du logement, qui est important, dans le coût moyen du personnel de la gendarmerie. Pour un gendarme, c'est 6 000 euros par an en moyenne. Donc, nous avons un système souple, relativement peu onéreux, et qui rend un système réel qui permet à ses forces de réserve de se substituer de façon flexible et astucieuse à un accroissement des personnels d'active, qui n'offriraient ni la même flexibilité d'emploi ni le même niveau de compétences. Et donc au total, nous portons en termes d'efficience un jugement positif sur ce dispositif.

Cinquième et dernier constat, l'année 2018 a révélé des risques pour la réserve et il est temps de réfléchir à son dimensionnement optimal. Malgré la croissance des crédits de la réserve en loi de finances initiale (LFI), régulière depuis 2015 et qui a culminé en 2018, nous avons assisté au cours de ce même exercice à un brusque freinage en exécution et même, pour la gendarmerie, à la constitution d'une dette à l'endroit des réservistes. En effet, dans la gendarmerie, en particulier au cours de l'exercice 2018, les crédits de rémunération des personnels de la réserve ont été ponctionnés dès février au bénéfice de ceux de l'active. Cela est lié à la tension structurelle sur le titre 2 de la mission Sécurités. C'est un sujet que votre commission connaît bien et qui fait que les réservistes ont tendance à jouer le rôle de variable d'ajustement. Cela a conduit cette année-là à limiter drastiquement le recours aux réservistes dans la gendarmerie, puisque par exemple au mois de juin 2018, 900 réservistes ont été déployés, contre 2 700 en 2017. C'est devant ce blocage que le ministre lui-même a décidé de relancer le recours aux réservistes. Mais au total, il est resté inférieur au niveau de 2017, et les réservistes n'ont pas pu être payés pendant plusieurs mois alors même que des dispositions avaient été prises pour accélérer la mise en paiement des soldes des réservistes. Ceci concerne la gendarmerie.

Dans la police, nous avons un problème particulier : les délégations de crédit au profit des gestionnaires des réservistes de la police sont effectuées quasiment mensuellement, ce qui prive ces gestionnaires de toute visibilité sur leur marge de manoeuvre pour la rémunération des réservistes. Et en conséquence, la planification des forces de recours aux réservistes est faite à très courte vue. D'autant qu'au milieu de l'année, au 28 mai 2018, une réduction de 50 % des budgets consacrés aux réserves a été annoncée aux secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur, au moment même où s'organisaient les recrutements de la période estivale. Donc, nous avons en 2018 une année qui est très illustrative de difficultés plus générales sur les crédits de personnels de la police et de la gendarmerie nationales, mais qui montre la fragilité du système de recours aux réservistes.

Pour conclure, je voudrais partager avec vous les réflexions qui sont les nôtres sur le volume des réservistes et la possibilité d'accroître ce système. Ni dans la gendarmerie ni dans la police, les annonces politiques tendant à augmenter le volume des réservistes n'ont été assorties d'une réflexion interne sur le dimensionnement optimal des forces de réserve. La gendarmerie a recours de façon sensible aux ETPT – 5 % des ETPT, c'est considérable. On peut dire de façon empirique, en regardant le volume des gendarmes retraités qui souscrivent un engagement à servir dans la réserve, qu'il y a des marges de progression, mais elles ne sont pas inépuisables. Il faudrait que la gendarmerie réfléchisse à la possibilité éventuellement d'accroître quelque peu ce système.

Les problèmes de la police sont beaucoup plus fondamentaux. La police a entrepris une réflexion et même annoncé à plusieurs reprises une indication de tendance, qui était de rapprocher le système de la police de celui de la gendarmerie, de s'ouvrir plus largement sur la société civile, d'élargir la gamme des missions que les policiers réservistes peuvent remplir. Mais en dépit de ces annonces et réflexions, trois obstacles importants nous paraissent continuer à s'opposer à un accroissement sensible des effectifs de réserve de la police qui prendrait modèle sur celui de la gendarmerie.

D'une part, il existe des résistances – qui ne sont pas critiquables, elles correspondent à des réflexions qui sont tout à fait honorables et qui méritent que l'on s'y intéresse – pour armer les volontaires qui n'auraient pas de passé policier, et pour leur faire exécuter une large gamme de missions dans les zones de police, dont les policiers estiment que les lieux et les populations ont des caractéristiques qui rendent inapproprié le recours à des réservistes issus de la société civile. C'est le premier obstacle.

Deuxièmement, la police ne dispose à ce jour ni de centre, ni de personnel de formation, ni – ce qui est plus important – d'une capacité d'encadrement comparables à ceux de la gendarmerie, qui lui permettraient de fabriquer un amalgame efficace entre des réservistes en grand nombre issus de la société civile et les forces d'active. Et ce problème de l'encadrement dans la police – assuré d'une façon très différente de celle de la gendarmerie – est un problème qui déborde le cadre de la réflexion sur les réservistes.

Enfin, il est assez logique que dans le cadre de budgets contraints, la priorité soit donnée au recrutement de réservistes anciens policiers, plus directement opérationnels que ceux tournés vers la société civile.

Pour conclure, je dirai donc que la transformation de la réserve de la police sur le modèle de celui de la réserve de la gendarmerie – à supposer que ces transformations soient décidées – ne pourrait se faire sans une impulsion politique qui permette de surmonter ces trois catégories d'obstacles.

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