Intervention de Gilles Andréani

Réunion du mercredi 26 juin 2019 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes :

Merci, mesdames et messieurs les députés, pour l'intérêt que vous avez porté à notre travail, dont vos nombreuses questions témoignent.

Vous-même, monsieur le président, avez posé la question budgétaire, la question de l'insuffisance des crédits de rémunération, des retards de paiement, etc. Dans les années 2000, jusqu'en 2017, ce que nous avons, pour être précis, c'est une légère – mais significative – sous-budgétisation des crédits de rémunération des réservistes. Nous n'avons pas prévu assez d'argent pour rémunérer les réservistes. À part en 2018, nous avons une exécution des prévisions budgétaires et des budgets de rémunération des réservistes en augmentation, et qui sont a priori convenables.

C'est un problème plus général de tension sur le titre 2 des forces de sécurité dans leur ensemble, et en particulier de la gendarmerie, qui a conduit, à la différence des autres années, à ponctionner un budget de rémunération des réserves qui était plus favorable que les années précédentes, pour compenser des difficultés sur le titre 2 plus général des forces d'active. Cela a entraîné des reports que nous pouvons estimer à 19 millions d'euros, ce qui est beaucoup compte tenu des masses en jeu, des crédits de rémunération de réservistes de la gendarmerie, des retards de paiement, des désorganisations dans la planification de la mise en place des réserves au cours de l'année 2018.

Cela a été corrigé en LFI, où les crédits de rémunération des réservistes de la gendarmerie passent de 98 à 135 millions d'euros. Mais cela va servir en grande partie à régulariser la dette née des reports de l'année précédente. Cela renvoie à un problème que la Cour souligne inlassablement dans ses rapports et devant votre commission, qui est le fait que non seulement il y a des tensions sur les crédits de rémunération de personnel des forces de sécurité, mais il y a aussi un effet d'éviction. Nous le mesurons avec les réservistes sur les crédits d'équipement et de fonctionnement. Vous connaissez bien le problème de la mission Sécurités. Ceci l'illustre une fois de plus. C'est un problème qui est de toute autre ampleur que le problème des réservistes. Pour les réservistes mêmes, nous avons en plus une série de griefs ou d'observations critiques que nous portons sur la gestion infra-annuelle de ces crédits. Ces crédits sont délégués à de multiples reprises, quasiment mensuellement en ce qui concerne la police. Des ajustements interviennent sans préavis en cours d'année. Et la planification du déploiement des réservistes au cours de l'année est donc rendue extrêmement compliquée, pour ne pas dire impossible, par une gestion budgétaire infra-annuelle qui nous paraît être faite à courte vue.

Mais c'est aussi lié au problème précédent. Nous ne déléguons les crédits qu'au compte-gouttes et de façon fractionnée, en raison de la tension qui existe sur le titre 2 des forces de sécurité. Voilà où nous en sommes. Le problème était suffisamment accusé en 2018, pour qu'il y ait eu une augmentation en LFI 2019. Et si l'année 2018 ne doit pas être tenue pour illustrative d'un phénomène général par rapport à tout ce que nous avons vu, elle est quand même très saillante.

Pour ce qui est de la gestion infra-annuelle, notre recommandation est de limiter le nombre de délégations de crédits et de permettre aux gestionnaires des forces de réserves d'avoir de la visibilité sur l'emploi des réserves et des crédits dont ils disposeront à cet effet.

Monsieur le président, vous avez également posé la question de la base juridique de l'exonération fiscale : il me semble que c'est une instruction du service de la législation fiscale. À tout le moins, si cette pratique devait être maintenue, elle devrait faire l'objet d'une décision du législateur ; cela paraît le minimum que l'on puisse demander de ce point de vue. J'ajoute que je ne suis même pas sûr qu'il y ait un texte pour la police car l'instruction ne semble viser que la gendarmerie. Nous sommes donc face à une anomalie, qui nous paraît tout à fait déplorable.

Pour en venir à la toute dernière question du rapporteur général, l'exonération fiscale ne fait l'objet d'aucune évaluation. Il y a une évaluation forfaitaire qui figure en loi de finances, mais nous pensons qu'elle ne correspond à aucune évaluation sérieuse du coût de cette mesure.

Vous posez une question fondamentale, à laquelle à la vérité je n'ai pas de réponse. On voit que la police nationale ne parvient pas à utiliser ses réserves pour fabriquer du lien entre la société civile et les forces de sécurité à la façon dont le font les gendarmes. La question à laquelle je n'ai pas de réponse – parce qu'il n'y a pas de doctrine ou de politique affichée de la police à cet effet qui permettrait de répondre à votre question –, est la suivante : est-ce que c'est possible ? Est-ce que les réserves sont le meilleur vecteur pour créer du lien entre la police et la société civile, ou mieux intégrer sur le plan territorial les forces de police dans leur environnement ? Il y a d'autres vecteurs, il y a les adjoints de sécurité, il y aura peut-être demain une contribution de la police au service national universel, etc. Les réserves sont-elles véritablement le meilleur vecteur ? La police a pour l'instant une conception efficiente et utilitaire de l'emploi des réservistes. Elle prend des retraités qui connaissent le métier, qui dégagent les policiers d'active de tâches spécifiques pour des missions jugées prioritaires, spécialisées, qui sont confiées aux réservistes. Cette doctrine ne crée pas de lien, sinon avec les anciens retraités de la police au profit de la police. Et nous voyons qu'il y a une résistance de la part de la police, que, encore une fois, je peux comprendre, à s'ouvrir davantage par ce biais, par ce vecteur-là, à la société civile.

L'observation que nous faisons n'est pas de le recommander ; nous n'avons pas à proprement parler dit qu'il fallait le faire. Nous avons observé qu'à plusieurs reprises, des intentions avaient été exprimées dans ce sens. Nous disons que si nous devons le faire, il y a des obstacles à lever. Je crois que ces obstacles, que j'ai essayé de résumer dans mon intervention, sont assez clairement identifiés. Certains tiennent à des problèmes assez fondamentaux d'insertion de la police elle-même dans le tissu social, et j'avoue que je ne sais pas si les réservistes pourraient contribuer à améliorer la situation. Et d'autre part, il y a des problèmes plus objectifs et plus mesurables du point de vue de la Cour des comptes. C'est que les méthodes d'encadrement de la police et le degré d'encadrement des exécutants par les services de police ne sont pas du tout du même ordre que ceux de la gendarmerie. La gendarmerie reste, en ce qui concerne l'encadrement, fidèle à ses racines militaires. Elle offre donc des conditions d'encadrement très supérieures en efficacité à celles de la police pour ce qui est des réserves.

J'en reviens aux questions des rapporteurs spéciaux. Je commencerai par celle de M. Grau. C'est évidemment une question essentielle : dans quelle mesure la police doit-elle tirer les leçons de ce que fait la gendarmerie nationale ? Sur le plan général de l'utilisation des réserves, je renvoie à ma réponse précédente. Je pense honnêtement que la police nationale pourrait sans doute élargir la gamme des missions confiées aux réservistes. Je ne pense pas qu'il y ait d'obstacles, quel que soit le jugement que l'on peut porter sur une extension très volontariste du champ des réserves de la police. Je pense qu'une gamme de missions beaucoup plus large pourrait être confiée à la police nationale.

Ensuite, sur le plan de la gestion, la gendarmerie dispose d'un système de gestion qui est bien adapté aux besoins des réservistes : c'est un système spécifique qui lui permet de planifier le rappel des réservistes, et du même coup d'envoyer les convocations et ensuite d'assurer la liaison avec le service de paie, etc. C'est un logiciel qui fonctionne bien. La police a un volume d'activité des réservistes qui est bien inférieur, de telle sorte que je ne sais pas si elle a besoin d'un système aussi développé. Mais il est certain qu'aujourd'hui, la gestion des réservistes est faite de façon soit manuelle, soit avec des tableaux Excel reproduits à chaque niveau de décision de la chaîne administrative de la police nationale. Ce n'est pas une situation satisfaisante. Il y a des progrès à faire en matière de gestion de logiciels, en s'inspirant de ce que fait la gendarmerie.

Il y a aussi des petites mesures à prendre qui faciliteraient la vie des réservistes. Pour ne vous donner qu'un exemple, le réserviste de la police nationale n'a pas de carte d'accès automatisée à son commissariat. Il doit y pointer de façon manuelle. Il y a beaucoup de choses que nous pourrions faire pour améliorer la situation, du point de vue de la gestion des réservistes de la police nationale, et ce en s'inspirant de certaines pratiques de la gendarmerie.

Les indicateurs de performance existent, mais ils ne sont pas dans les documents de performance. Nous pourrions donc demander cela à la police et à la gendarmerie. Mais les gestionnaires disposent de plusieurs indicateurs. D'abord, évidemment, le nombre de réservistes, le nombre de jours de réserve, le taux d'emploi des réservistes qui, encore une fois, est pour eux un objectif important. Le réserviste heureux, c'est celui qui sait. La gendarmerie a un objectif qui doit d'abord être en jours d'emploi de ses réservistes ; il y a un optimum qui est recherché. La répartition sociodémographique des réservistes, leurs profils, le nombre de vacations effectivement réalisées – ce n'est pas véritablement un indicateur, c'est plutôt une mesure d'activité qu'autre chose – sont connus. Par ailleurs, un certain nombre d'informations sont fournies à cette structure administrative qu'est la garde nationale et qui fait tous les ans un rapport au Parlement sur l'essentiel de la Garde nationale que sont les réserves de l'armée, de la police nationale et de la gendarmerie. Par conséquent, un certain nombre de ces données remontent par ce biais au Parlement, même si ce rapport ne nous a pas frappés par sa qualité : il est assez superficiel et routinier, mais il y a quand même quelques données qui ressemblent à des indicateurs de performance, et ceux que j'ai cités paraissent raisonnablement bien choisis.

J'en viens à la question du format : quel est le volume optimal ? Comme je vous l'ai dit, nous avons l'impression que nous ne sommes pas loin d'un volume satisfaisant, de façon empirique, du point de vue de la gendarmerie. Peut-être pourrait-il encore augmenter, notamment de façon à atteindre une gestion plus proactive des réserves qui ne servent pas simplement au remplacement des forces actives, mais qui se voient confier des missions propres.

Cela dit, cela arrive. J'ai cité le cas tout à fait emblématique de Saint-Martin, où nous avons dépêché les réserves, ou encore de missions qui sont vraiment opérationnelles, et non des « bouche-trous », comme la chasse aux frères Kouachi, à laquelle les réserves ont contribué. Elles ont donc des rôles propres ; elles ne sont pas uniquement des forces supplétives.

Par ailleurs, nous n'avons pas d'opinion nous-mêmes sur le dimensionnement, mais nous recommandons quand même que la gendarmerie et la police en aient un. Il n'y a pas de réflexion sur le niveau optimal des réserves. Nous n'avons pas trouvé de document ou de prise de position de doctrine indiquant le niveau optimal selon la gendarmerie ou la police. Il me semble que cela n'existe pas et, par conséquent, cela est à faire. En particulier du côté de la police, puisque nous avons cette disproportion entre 1 % et 5 % des ETPT. Nous pressentons qu'il y a une marge de progression du côté de la police nationale, même avec une doctrine d'emploi qui resterait à peu près conforme à ce qu'elle est aujourd'hui, même sans bouleversement de la conception que la police se fait de sa réserve.

Il y a donc certainement une marge de progression de ce côté-là, et nous ne discernons pas une réflexion très proactive de la part des deux forces de sécurité, particulièrement de la police sur cette question du volume.

Madame Hai, vous avez parlé du ressenti des réservistes. Il est positif. Nous avons des sondages, des questionnaires – vous les trouverez dans le rapport – sur le désir de se réengager des réservistes et de continuer à faire partie des réserves. Il est assez élevé : 70 % à 80 %. Nous voyons une satisfaction. Les rapporteurs ont effectué un grand nombre de déplacements et ont rencontré des réservistes : il n'y a pas d'expression spontanée d'insatisfaction. Au contraire, ils sont contents, y compris de l'équipement. Il y a quelques faiblesses au niveau de l'équipement – nous le savons, nous les citons dans le rapport –, mais nous ne sentons pas de réserve.

La formation de la gendarmerie peut paraître courte – 115 heures ce n'est pas très long –, mais elle est poursuivie sur le tas. Là aussi, la vertu du système d'encadrement de la gendarmerie fait que la formation se poursuit au fur et à mesure. Et je pense qu'il y a des vertus du point de vue de la proximité entre les réservistes et la gendarmerie, et du lien entre la gendarmerie et la société civile, à ce que cette formation ne s'effectue pas dans des centres spécialisés que nous pourrions mutualiser, mais qu'elle soit dispersée à l'échelon départemental des légions de gendarmerie. Cela permet une insertion des réservistes dans le tissu social qui ne me semble pas être une mauvaise chose.

Nous pouvons globalement considérer que, pendant longtemps, les dépenses des réservistes ont été un peu sous-estimées sur le plan budgétaire. Il y a des petits manques qui gagneraient à être compensés.

Enfin, peut-on calquer le modèle de la police sur celui de la gendarmerie ? Je pense avoir déjà un peu répondu à la question. Je dirais oui, mais encore une fois il y a des préconditions et il faut y réfléchir. Aller dans cette direction, c'est un choix politique qui dépasse le champ des conclusions que peut faire un rapport de la Cour des comptes.

Nous disons néanmoins qu'il y a un avantage à mieux exploiter le vivier de cette partie des réserves opérationnelles, qui, en fait, n'est pas opérationnelle, que sont les réserves statutaires, c'est-à-dire les réserves qui correspondent à une obligation de servir qui n'est pas effective parce que les intéressés n'ont pas souscrit un engagement à servir. Il vaudrait mieux les recenser davantage et les connaître mieux. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Après tout, la loi prévoit qu'ils sont à disposition en tant que réservistes. Autant que nous sachions où ils sont, et que nous soyons en mesure de faire de temps en temps un exercice pour les rappeler. Cela me paraît de bonne politique.

Pour ce qui est des autres questions, je voudrais m'intéresser d'abord à ce qui a été dit du cadre incitatif, à savoir la dissymétrie entre le public et le privé et le problème des cumuls activité-retraite. Voilà deux sujets tout à fait essentiels. Permettez-moi de dire en préambule que ce sont des sujets qui dépassent le cadre de notre rapport, parce qu'ils sont communs aux forces armées, ainsi qu'à la police et à la gendarmerie. C'est un sujet général, pour ce qui est des incitations. Et c'est un sujet qui, s'agissant du cumul emploi-retraite, va naturellement bien au-delà du problème des réserves.

Je peux répondre sur deux points de principe assez simples. Premièrement, je pense que la dissymétrie de traitement entre les réservistes issus de la fonction publique et les réservistes issus du secteur privé ne peut que poser question du point de vue de l'équité. Il est important de commencer à réfléchir à la manière de la réduire. Il y a des dispositions qui sont prises par contrat avec certaines entreprises. Mais toutes les solutions ne peuvent pas venir de la bonne volonté des entreprises. Il y a des pays qui ont des systèmes de réserves militaires extrêmement actifs, et dans lesquels on a réussi à régler ce problème. En particulier le Royaume-Uni, qui a un système de rappel des réservistes et d'implication des employeurs –grâce à des avantages consentis à ces derniers – qui permettent à leurs salariés de servir dans la réserve. Il me semble que les salariés sont défrayés d'une partie des frais qu'ils peuvent consentir à cet effet. C'est important, c'est un très bon système. Je pense donc qu'il y a des efforts à faire pour aménager un système de ce genre qui rapproche la situation du réserviste issu du monde de l'entreprise du réserviste fonctionnaire. Il y a une asymétrie de traitement qui doit être réduite et il y a des pistes, en particulier dans les exemples étrangers, pour ce faire.

Sur le cumul emploi-retraite, cela ouvre un champ qui déborde le cadre de notre rapport. Mais je pense que ces mesures gagneraient à être revisitées dans leur ensemble. Certaines d'entre elles remontent à une époque qui était celle du partage de l'emploi, qui n'a pas résisté en tant que concept, à l'évolution économique et à l'analyse. Il y a une sédimentation de mesures qui sont extraordinairement compliquées à comprendre, et qui ne peuvent apparaître que byzantines et vexatoires pour les intéressés.

Et d'une façon générale, il me semble que la position de la Cour sur cette question s'inspire de ce qu'elle dit en général sur les retraites. Dans un monde de tensions sur le financement des retraites, nous avons plutôt intérêt à inciter les retraités à travailler, s'ils le souhaitent, plutôt qu'à compliquer la vie de ceux qui désirent le faire. C'est une remarque qui n'est pas dans le rapport et qui n'a pas été délibérée par la Cour des comptes. Mais il me semble qu'il y a matière à un examen d'ensemble des dispositions limitant les cumuls emploi-retraite, et que cet exemple des réservistes de la police et de la gendarmerie l'illustre parfaitement.

À deux questions plus précises que vous m'avez posées, concernant le nombre des agents réservistes issus du secteur public qui seraient concernés par une diminution des avantages touchant les réservistes issus de l'administration, j'avoue que je n'ai pas le chiffre. Mais nous vous le communiquerons, ainsi que le chiffre de ceux qui bénéficiaient ou auraient dû bénéficier de la prime de fidélité qui ne leur a pas été versée.

Monsieur Potterie, sur le coût de la formation et la mutualisation des structures, j'ai essayé de répondre. Il me semble que nous avons plutôt intérêt à rester sur le schéma actuel, sous bénéfice d'inventaire. Nous n'avons pas fait une expertise pour voir s'il y avait beaucoup de mutualisations à opérer dans le cadre de la formation.

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