Intervention de Philippe Chassaing

Réunion du mercredi 26 juin 2019 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Chassaing, rapporteur :

L'inclusion bancaire est devenue un élément déterminant de l'inclusion sociale. Il est aujourd'hui indispensable d'avoir accès à des services bancaires et des moyens de paiement adaptés pour participer à la vie économique et sociale de la Nation. Le but de l'inclusion bancaire est précisément d'offrir cet accès à l'ensemble du public. C'est un sujet essentiel dont l'actualité est très forte. C'est pourquoi j'ai sollicité cette mission.

Les pouvoirs publics se sont donc intéressés à la question de l'inclusion bancaire. Première manifestation en 1984, la création du droit au compte doit assurer à tous l'accès à un compte associé à des prestations bancaires basiques. Depuis, les dispositifs se sont multipliés, qu'il s'agisse du traitement du surendettement, de la détermination de services bancaires de base, du développement du microcrédit, de la mission d'accessibilité bancaire confiée à La Banque postale et de la création de l'offre spécifique pour tous les clients fragiles, ou encore plus récemment du plafonnement des frais d'incidents bancaires pour les clients en fragilité financière. Ainsi, c'est un véritable arsenal qui a été constitué afin d'accompagner les clients en fragilité financière. Cette notion a d'ailleurs été précisée et sert aujourd'hui de plus en plus à définir le public cible des politiques d'inclusion bancaire.

Le sujet est d'actualité, comme je le disais, avec l'engagement pris par les banques en décembre dernier, de plafonner les frais d'incidents bancaires à 25 euros par mois pour tous les Français en situation de fragilité financière, soit environ 3,4 millions de personnes. Je me suis intéressé aux détails de cet engagement, sollicité par le Président de la République. Je reviens en détail dans le rapport écrit sur les conditions qu'il faut réunir, à mon avis, pour que ce plafonnement soit pérenne et devienne l'un des principaux outils d'inclusion bancaire. Je tiens à saluer à ce titre, la rapidité avec laquelle les banques ont mis en oeuvre ce plafonnement, effectif pour tous les réseaux depuis le 1er février dernier.

Aujourd'hui, 3,4 millions de personnes bénéficient de ce plafonnement des frais d'incidents bancaires, et aucune difficulté ne m'est remontée au cours de mes travaux. Cet engagement sera d'ailleurs contrôlé par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Le principal défaut du dispositif reste à mon avis qu'il s'applique à une population dont la définition est trop imprécise. De plus en plus, nous avons fondé notre politique d'inclusion bancaire sur cette notion de fragilité financière, dont les contours restent flous. L'Observatoire de l'inclusion bancaire – l'OIB, instance de concertation entre réseau bancaire, associations, et acteurs institutionnels – précise qu'en 2018, plus de la moitié des personnes en situation de fragilité financière sont détectées grâce à des critères normés, dans le cadre monétaire et financier, mais dont le niveau reste à la main des banques. Ces critères sont de deux sortes : les flux créditeurs et le montant des frais d'incidents, que l'on appelle des critères subjectifs. Il existe aussi des critères objectifs de la fragilité financière, qui sont au nombre de deux : la personne est dite interdite bancaire ou elle est considérée comme surendettée.

Pour résumer, plus de la moitié des personnes en situation de fragilité financière, et donc plus de la moitié des personnes qui bénéficient des frais d'incidents bancaires à 25 euros, sont détectées par les banques elles-mêmes. Il me semble qu'il existe peu de politiques publiques dont le public cible est défini par les acteurs privés du secteur commercial. La première condition de réussite de notre politique d'inclusion bancaire est de définir précisément le public auquel elle s'applique, faute de quoi il ne sera pas possible d'évaluer si les orientations qui sont les nôtres permettent de diminuer le nombre de personnes en situation de fragilité.

Par ailleurs, le plafonnement des frais d'incidents bancaires, qui est un vrai progrès pour les publics fragiles, doit pouvoir être étendu grâce à une meilleure définition de cette fragilité. Ma principale recommandation est donc de parvenir à une harmonisation des critères de détection de la fragilité financière. Je propose pour cela de faire confiance à la concertation réalisée au sein de l'OIB. Les meilleures pratiques à mettre en place en matière d'identification des publics fragiles y seraient discutées afin de faire émerger un standard commun de détection.

Ensuite, le législateur se saisirait de ces travaux, pour consigner dans la loi, si cela lui semble opportun, les critères les plus appropriés pour déterminer la fragilité financière. Une nouvelle charte d'inclusion bancaire précisant les responsabilités respectives des nombreux acteurs intervenant en matière d'inclusion bancaire pourrait venir consigner ces nouvelles orientations. En effet, les banques sont au coeur de nos politiques d'inclusion bancaire, non seulement par la détection des publics en situation de fragilité financière, mais également dans l'accompagnement qui leur est proposé. Elles se sont engagées à attacher plus d'attention à ces publics afin de résoudre les difficultés financières le plus en amont possible. Ces engagements sont cosignés dans une charte bancaire de 2014, fruit d'une initiative parlementaire, à l'occasion de l'examen à l'Assemblée nationale de la loi bancaire de 2013.

J'ai pu noter que certains réseaux s'étaient investis de longue date dans l'accompagnement des publics fragiles, et proposent des plateformes internes performantes dédiées à ces publics. Les progrès dans l'accompagnement des publics fragiles restent pourtant trop limités, par une application à géométrie variable des engagements de 2014. Je considère qu'il faut en particulier améliorer la transparence sur la détection des fragilités financières réalisée par les banques et organiser une remontée d'informations suffisante pour que les parlementaires puissent assurer qu'elles remplissent leurs obligations.

Ma deuxième recommandation est donc de préciser les obligations des banques en matière d'accompagnement des publics en situation de fragilité. La rédaction d'une nouvelle charte, qui inclurait les nouveaux outils de la politique d'inclusion bancaire comme le plafonnement des frais d'incidents, serait l'occasion de faire progresser cet accompagnement.

Je me suis aussi intéressé aux outils d'inclusion bancaire destinés à aider le public concerné à retrouver un fonctionnement bancaire normal. Il s'agit du droit au compte, de la mission d'accessibilité bancaire confiée à La Banque postale, et de l'offre spécifique clients fragiles (OCF). Il me semble que les objectifs et la place de chacun de ces outils dans notre politique d'inclusion bancaire doivent être précisés. La mission d'accessibilité bancaire confiée à La Banque postale joue un rôle essentiel dans la prébancarisation des publics précaires. Cette mission impose à La Banque postale d'ouvrir à toute personne qui en fait la demande un livret A assorti de prestations bancaires limitées. Elle est destinée aux personnes qui sont en très grande précarité, aux invisibles de l'inclusion bancaire, ceux qui n'ont pas accès au système bancaire lui-même et qui ne peuvent donc pas être détectés par les critères de fragilité financière.

Néanmoins, de nombreuses personnes l'utilisent en parallèle d'un compte classique. Je pense qu'il faut aujourd'hui recentrer cette mission sur ces publics, qui du fait de la faiblesse de leurs revenus, ou de leur incapacité à utiliser les services à distance, ne peuvent accéder à une gestion bancaire normale. Pour cela, il faudrait exercer un contrôle systématique au moment de l'ouverture du livret A, pour faire vérifier que les demandeurs n'ont pas déjà de compte courant issu d'une offre commerciale standard. Les clients qui en ont les moyens financiers pourraient également être incités à basculer vers l'offre spécifique. L'OCF a été créée en 2013 à destination des publics en situation de fragilité financière, afin de les aider à mieux gérer leur budget. Il s'agit d'un outil pertinent d'inclusion bancaire, qui bénéficie d'ailleurs d'un plafonnement des frais d'incidents bancaires à 20 euros par mois, et 200 euros par an. Elle reste néanmoins peu attractive. Seulement 10 % des 3,4 millions de personnes identifiées en situation de fragilité y souscrivent. Cela vient en particulier des moyens de paiement limités, avec une carte à autorisation systématique qui ne permet pas par exemple de payer le péage ou de faire un plein, et elles bénéficient seulement de deux chèques de banque par mois, ce qui est extrêmement restrictif.

De plus, alors que le plafonnement lié à la souscription de l'OCF touche environ 340 000 personnes, celui décidé en décembre dernier en touche dix fois plus et n'impose pas de souscrire à une offre limitée et parfois stigmatisante. Je crains donc que le nouveau plafonnement risque de réduire encore plus l'intérêt de l'offre spécifique. Cela implique pour moi de la renforcer en en faisant un véritable outil d'accompagnement vers une gestion budgétaire normale et le retour à une offre commerciale standard. La popularité de cette offre pourrait d'ailleurs être renforcée par l'élargissement des moyens de paiement qui y sont attachés. Je fais quelques propositions à ce titre dans mon rapport.

Enfin, le recentrage de la mission d'accessibilité bancaire permettrait de mieux l'articuler avec la procédure du droit au compte, ouverte essentiellement aux personnes qui ont les moyens d'un fonctionnement bancaire classique, mais qui pour diverses raisons, et notamment une interdiction bancaire, en sont exclues.

Une autre condition de réussite de notre politique d'inclusion bancaire est donc de mieux définir la place de chaque outil. L'accessibilité bancaire permettrait une première bancarisation aux plus précaires. L'offre spécifique serait un dispositif d'accompagnement renforcé vers le fonctionnement budgétaire normal. Enfin, le droit au compte permettrait de régler les situations de certaines personnes exclues du fonctionnement bancaire, alors qu'elles ont les moyens de gérer normalement un compte.

Les travaux de la mission ont également souligné le rôle essentiel qu'un nouvel acteur est appelé à jouer en matière d'inclusion bancaire. Ce sont les points conseil budget (PCB), qui doivent devenir des lieux où toutes les personnes qui le souhaitent pourraient être accompagnées dans leur gestion budgétaire. Le dispositif repose sur la labellisation par l'État de structures existantes, généralement les associations ou les centres communaux d'action sociale (CCAS), qui bénéficient d'un financement en échange d'un respect du cahier des charges qui leur assigne le rôle de pivot dans l'animation du dispositif d'inclusion bancaire sur les territoires. Toute personne peut s'y rendre pour bénéficier d'un diagnostic budgétaire, avec notamment la recherche systématique des droits sociaux auxquels elles n'auraient pas eu recours. Ces structures peuvent par exemple accompagner une personne dans la constitution de son dossier de surendettement et la suivre tout au long de la procédure. Je considère qu'il s'agit d'un outil intéressant, offrant l'opportunité de créer une acculturation commune entre les acteurs de l'inclusion bancaire, qui viennent d'horizons très différents. Il a d'ailleurs fait l'objet d'une expérimentation qui a permis de préciser ces modalités dont les retours sont assez positifs.

Il me semble néanmoins qu'un certain nombre de conditions doivent être réunies afin que ce nouvel acteur apporte une réelle plus-value par rapport au dispositif existant. En particulier, les rapports avec les banques et d'autres créanciers, comme les fournisseurs d'énergie ou les bailleurs sociaux, pourraient être formalisés au sein de conventions, qui détermineraient à l'échelon local les responsabilités respectives dans l'accompagnement des publics fragiles. De plus, les 400 PCB prévus doivent être déployés de façon équitable sur les territoires, et dans un avenir proche, afin de produire leurs effets le plus rapidement possible.

Je souhaite que leurs résultats soient régulièrement évalués afin de déterminer si les orientations retenues aujourd'hui sont les bonnes. Le déploiement des PCB doit également favoriser le développement du microcrédit personnel accompagné qui permet d'ouvrir l'accès au crédit aux publics qui en sont aujourd'hui exclus, afin de financer un projet professionnel. C'est un outil précieux, mais encore limité, qui nécessite un accompagnement lourd et intéresse peu les réseaux bancaires. Il a néanmoins toute sa place dans l'accompagnement global proposé par les PCB et dans le cadre d'une offre spécifique, qui gagnerait d'ailleurs à être systématisée au sein de ces deux dispositifs.

La troisième condition de réussite est donc de parvenir à fédérer l'ensemble des acteurs de l'inclusion bancaire, issus de milieux très différents, en créant une acculturation commune. Le déploiement des PCB doit jouer un rôle pivot en orientant les publics vers les outils les plus adaptés.

Je terminerai ma présentation sur la question de l'éducation budgétaire et financière. La France est en retard sur le sujet. Alors que certains pays mènent des politiques volontaristes de formations à tous les âges, les Français restent peu sensibilisés au fonctionnement des marchés bancaires et financiers, et peu familiers avec les notions économiques fondamentales. Aussi me semble-t-il que les politiques d'inclusion bancaire pourraient être complétées par un renforcement de la formation sur ces sujets en particulier au niveau de l'éducation secondaire. L'expérimentation d'un passeport permettant de valider des compétences économiques et financières sur le modèle des compétences informatiques est un progrès à encourager. Le développement des PCB sur tout le territoire doit également participer à la formation d'un public déjà adulte. La Banque de France est très active sur le sujet, comme en témoigne l'ouverture récente de la Cité de l'économie, projet qu'elle a piloté.

La quatrième condition pour que les politiques d'inclusion bancaire parviennent à leurs fins est donc d'améliorer la formation de l'ensemble de la population autour des notions budgétaires et financières fondamentales.

Ma conclusion, et mon sentiment après une vingtaine d'auditions, de tables rondes, de déplacements aux sièges des grands groupes bancaires français, porte sur l'accélération incontestable des progrès réalisés en matière d'inclusion bancaire ces dernières années. La méthode de concertation entre les acteurs bancaires associatifs et syndicaux au sein de l'OIB et du comité consultatif du secteur financier (CCSF) a permis des avancées tangibles et consensuelles.

La latitude laissée aux banques dans les enjeux d'inclusion bancaire interroge néanmoins. Je constate que les réseaux se sont saisis de ces questions et ont pris des initiatives qui vont parfois au-delà de la réglementation ou de ce que leur engagement professionnel prévoyait. L'engagement de décembre dernier sur le plafonnement des frais d'incidents bancaires est une étape importante pour la politique d'inclusion bancaire qui permet de lutter contre l'accumulation de frais d'incidents sur les personnes déjà fragiles. J'ai eu l'occasion d'approfondir ce sujet sur les frais d'incidents lors de mes travaux. Il semblerait que nos voisins européens ne sont pas concernés. J'aimerais qu'une étude soit conduite pour mieux comprendre ce phénomène essentiellement français.

Aller plus loin aujourd'hui, c'est parvenir à donner une définition plus rigoureuse de la fragilité financière qui nous permettrait de cibler efficacement et équitablement les publics devant bénéficier d'un accompagnement spécifique. Je propose de nous appuyer pour cela sur la connaissance par les banques de leur propre clientèle, mais aussi sur la qualité des échanges menés au sein de l'OIB sous l'impulsion du gouverneur de la Banque de France, en lien avec les associations de consommateurs. Nous pourrons ensuite décider s'il est nécessaire de consigner cette définition de la fragilité financière dans la loi.

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