Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du mercredi 3 juillet 2019 à 8h30
Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales :

Délégation, à la majorité simple, sur tout ou partie du territoire. Admettons qu'une commune membre d'une intercommunalité ait une régie des eaux qui fonctionne bien depuis 150 ans. On peut très bien considérer que l'EPCI reste propriétaire, comme la loi le prévoit aujourd'hui, pour de bonnes raisons, du reste : les interconnexions des réseaux d'eau sont un véritable problème. J'ai animé, en tant que secrétaire d'État à l'écologie, la première partie des Assises de l'eau et je peux vous dire que la manière dont le service public de l'eau est géré dans un grand pays comme le nôtre n'est pas toujours glorieuse. Il n'y a jamais eu autant de fuites, les nappes phréatiques ne s'arrêtent pas aux limites communales – et mettons de côté la dimension écologique.

Toujours est-il que je crois beaucoup à la délégation, même s'il faut sans doute que nous appréhendions un peu mieux, ensemble, ce dispositif nouveau. Il peut arriver, disais-je, que, dans une grande intercommunalité, un bloc de communes – une ancienne communauté de communes, au hasard – soit ravi que l'eau et l'assainissement relèvent du niveau intercommunal mais qu'un autre groupe de communes ait créé un syndicat qui fonctionne bien depuis plus de 50 ans ou qu'une commune ait une régie qui fonctionne bien depuis 100 ans. Dans cette hypothèse, la délégation permet une organisation à la carte. L'EPCI demeure titulaire de cette compétence, dont il assume le cahier des charges – la quantité, la qualité, le prix de l'eau –, mais il peut la confier à un tiers, sur son territoire, pour l'exercer.

Nous pouvons en débattre, mais j'entends ce que disent notamment les élus de la montagne. Dans un certain nombre de massifs, le développement des intercommunalités a créé des difficultés. De fait, la gestion de l'eau est différente dans une petite station située sur un col et dans la grande commune de la vallée. Un outil comme celui que je propose permet une certaine différenciation. Il s'agit d'un objet nouveau et intéressant. Peut-être faut-il l'enrichir, être attentif à l'écriture de la disposition ; je serai très ouvert. Certes, on peut également faire de la politique et relancer le grand débat sur la compétence « eau et assainissement », mais j'ai souhaité précisément vous proposer un dispositif nouveau qui tienne compte du fait que les intercommunalités sont devenues très grandes alors que les questions d'eau relèvent parfois d'une micro-organisation et d'un micro-management.

Par ailleurs, vous êtes nombreux à avoir évoqué l'absence de disposition concernant la situation des salariés du privé. Je constate également ce manque, mais l'enjeu est de trouver la proposition qui convient. Car, ne nous racontons pas d'histoires, en la matière, soit on recourt à la norme, à la contrainte, soit on recourt à l'incitation, mais cela peut rapidement coûter très cher et aboutir à la création de régimes spéciaux en tous genres – régimes exorbitants du droit du travail, régimes spéciaux de retraite… –, ce qui n'est pas dans l'air du temps. Au reste, si j'ai bien entendu les élus, ce n'est pas non plus ce qu'ils réclament, notamment à quelques mois des élections municipales.

Cependant, le texte comporte une proposition que je n'ai pas évoquée et qui concerne le congé pour campagne électorale. Voilà déjà un domaine dans lequel nous pouvons agir. Pour le reste, je suis favorable à ce que nous avancions sur la question des salariés, mais si l'on veut que ceux-ci aient les mêmes droits qu'un agent de la fonction publique, on ouvre un chantier qui n'est pas si anodin. Je réponds là à Mme Pires Beaune et à M. de Courson. En tout état de cause, nous serons au moins tenus de faire appel aux bonnes pratiques des grands groupes. Il me paraît difficile d'expliquer, dans vos circonscriptions, à une PME de 11 salariés qu'on va modifier le droit du travail parce que tel salarié est adjoint au maire. S'il existe un consensus dans l'hémicycle pour avancer dans ce domaine, on peut y réfléchir, mais quelque chose me dit que ce sera compliqué. Une fois de plus, au-delà de nos intuitions, vous écrivez la loi et vous contrôlez son application. Lorsqu'avec vos assistants parlementaires, vous êtes devant votre clavier pour rédiger un amendement, il faut que vous vous posiez les bonnes questions.

M. Viala a évoqué des angles morts. Sur ce point, nous pouvons nous rejoindre. Il y a les mesures que comporte déjà le projet de loi et les points sur lesquels nous pouvons aller plus loin. Tout d'abord, j'en ai parlé tout à l'heure, je crois beaucoup au compte personnel de formation. Cumuler des points sur ce compte, c'est s'ouvrir des droits à la formation pour une requalification ultérieure. Nous pourrons explorer cette première piste, qui me paraît importante.

De même, je crois beaucoup à la VAE. Actuellement, elle existe davantage dans l'esprit que dans les faits – c'est, du reste, un domaine dans lequel votre délégation pourrait réaliser une évaluation. Il est tout de même curieux qu'un élu qui a été, pendant douze ans, adjoint au maire chargé de la commande publique, des ressources humaines ou des finances, ne se voit pas reconnaître quelques équivalences de compétences universitaires. Pourquoi ne pas conclure avec les universités ou les Instituts d'études politiques des partenariats afin que les élus obtiennent des crédits d'European credit transfer scale (ECTS) et qu'ils puissent valoriser ainsi leur expérience par un diplôme universitaire ? C'est une proposition que nous mettons sur la table et à laquelle il faut réfléchir.

Il y a d'autres points sur lesquels nous pouvons avancer. Je pense notamment à l'ouverture de certains concours de la fonction publique. Bien entendu, il faudrait en négocier les modalités avec les partenaires sociaux et veiller à ce que le dispositif soit constitutionnel. On peut déjà accéder à l'ENA par le troisième concours. Mais on peut également penser à la fonction publique territoriale : un ancien adjoint au maire pourrait devenir agent d'une autre collectivité territoriale. Ce sont des hypothèses qui méritent d'être étudiées. Nous avons du temps, d'ici à l'examen du projet de loi. Dans ce domaine, monsieur Viala, nous suivons, comme toujours, un chemin de crête : il s'agit d'offrir une faculté sans octroyer de privilèges. Nous devons créer notre « en même temps », si j'ose dire.

J'ai évoqué les bonnes pratiques que pourraient adopter un certain nombre de grands groupes. Jean-Dominique Senard, lorsqu'il était président de Michelin, avait signé une charte qui, sous cet aspect, octroyait aux salariés peu ou prou les mêmes droits que ceux dont bénéficient les fonctionnaires. En clair, cela se traduit de deux manières. Premièrement, si un salarié doit s'absenter de son poste de travail pour assister à une réunion importante à la mairie, on lui permet d'assister à cette réunion. Cela demande une sacrée organisation ; toutes les entreprises ne peuvent donc pas se le permettre, mais c'est intéressant. Deuxièmement, lorsque le mandat d'élu local d'un salarié cesse, celui-ci n'est pas pénalisé et on fait en sorte de lui trouver une place pour qu'il n'ait pas à payer le fait d'avoir été élu local. Ce sont les bonnes pratiques de Michelin, mais il convient peut-être d'y réfléchir de manière plus globale.

Je poursuis avec les questions relatives à l'organisation du territoire de la République. Oui, l'État doit se transformer en même temps que nous imaginons ce projet de loi sur les libertés locales. Je n'ai jamais su expliquer pourquoi, à Vernon, il y avait un bâtiment à un bout de la ville s'occupant des collectivités territoriales et accueillant les usagers pour payer l'eau, le transport ou la garderie et que, dans le même temps, s'il avait une question sur l'impôt sur le revenu, il fallait prendre sa voiture pour se rendre au centre des impôts situé à l'autre bout de la ville.

Repartir du contribuable pour imaginer ce que Gérald Darmanin appelle des « points de contact » va dans le bon sens. Sur cette réforme, je note que le ressenti n'est pas le même en fonction des départements parce que la manière de se concerter ou d'expliquer la réforme n'est pas la même partout. J'aborderai ce sujet avec Gérald Darmanin, auquel je ferai part de vos commentaires.

L'élu local a changé. Le maire qui bâtissait son budget primitif avec le trésorier public, ce dernier assis à côté de lui au conseil municipal, c'était il y a longtemps : cela a changé parce que l'intercommunalité a changé la donne. Je ne veux pas m'acharner contre la loi NOTRe, dont vous savez que j'étais un farouche opposant, mais si l'on avait davantage pensé les implantations de l'État parallèlement à la loi NOTRe, nous n'en serions pas là aujourd'hui.

Contrairement à ce que certains racontent, il n'y a pas eu de recentralisation dans notre pays : il y a eu un déshabillage de l'État départemental au profit de l'État régional, et non de l'État central. Pour ma part, je n'ai pas plus d'agents au ministère de la cohésion des territoires qu'il n'y en avait il y a quinze ans, ce n'est pas vrai ! Il y a moins de personnes au commissariat général à l'Égalité des territoires (CGET) aujourd'hui qu'il n'y en avait il y a quinze ans dans les structures correspondantes. En revanche, il y a plus d'agents à la préfecture de région à Rouen et moins dans les sous-préfectures de Bernay et des Andelys qu'il y a quinze ans. Toute réflexion sur l'État doit intégrer ce postulat.

Pour ma part, je suis un militant des sous-préfectures. Le Premier ministre a annoncé que nous n'en fermerions aucune pendant le quinquennat : c'est une bonne nouvelle. Maintenant, il faut redonner du sens à ces implantations territoriales. Je crois au canton, je crois à l'arrondissement, je crois au découpage ancien de la République parce que cela veut dire quelque chose pour nos concitoyens. Ces unités leur parleront toujours plus que le périmètre d'une intercommunalité défini en commission départementale de coopération intercommunale. Cela varie d'un endroit à l'autre mais, pour moi qui sillonne le pays, et après avoir pris le temps d'en discuter avec le Président de la République et avec les maires, je pense qu'il faut se montrer humble devant l'histoire de l'organisation de la République française.

Concernant le cumul des mandats, il n'est pas prévu à ce stade de revenir sur cette législation. Je n'ignore pas qu'il y aura un débat dans l'hémicycle. Vous pointez du doigt un problème : le cumul d'un mandat parlementaire avec celui de conseiller départemental ou régional est autorisé, alors que le cumul n'est pas possible avec la fonction d'adjoint au maire. Le législateur, sous le quinquennat précédent, a en effet raisonné sur le cumul avec une délégation de fonction : le caractère indemnisé ou non du mandat en question n'a pas été pris en compte. Cela va même plus loin : on ne peut pas cumuler le mandat de député avec la fonction de conseiller municipal délégué mais on peut le cumuler sans aucune difficulté avec la fonction de président de groupe au conseil départemental ou au conseil régional. Cela a été voulu ainsi au moment de l'écriture de la loi : je vous invite à interroger les parlementaires de l'époque pour savoir comment ils avaient imaginé les choses.

S'agissant de l'intercommunalité, nous pouvons étudier quelques avancées pour les communautés urbaines. Le système de délégation peut fonctionner, à la différence du système des compétences, que l'on ne peut retoucher sans mettre un peu de pagaille. Il serait sans doute bon que la délégation aux collectivités territoriales travaille avec France urbaine pour parvenir à élaborer des propositions sur ce sujet.

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