Intervention de Typhanie Degois

Réunion du jeudi 19 octobre 2017 à 9h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaTyphanie Degois, Rapporteure :

Mes Chers Collègues, combien de temps encore accuserons-nous l'Union européenne de favoriser le dumping social et économique ? Alors qu'en 1996, la directive relative au détachement des travailleurs venait consacrer les principes directeurs de l'Union européenne, tels que les principes de libre prestation de services et de libre circulation des travailleurs, celle-ci est aujourd'hui accusée de favoriser le moins-disant salarial et la concurrence déloyale. Avant les négociations qui débuteront le 23 octobre prochain au Conseil de l'Union, le souhait du groupe de travail était de renforcer la position française grâce à la voix d'une Assemblée nationale nouvellement élue. Cette voix sera donc portée par le biais d'un rapport et d'une résolution qui seront présentés en même temps.

Notre groupe de travail s'est efforcé de dégager les images préconçues du phénomène, afin d'étudier de manière approfondie le détachement des travailleurs. La France accueille des travailleurs détachés : selon les chiffres de 2014, environ 200 000, mais elle en envoie aussi environ 120 000 à l'extérieur. Nous avons également étudié les effets pervers que le détachement des travailleurs pouvait provoquer : des conditions de vie très précaires, des faibles salaires, mais également des petites entreprises étouffées du fait du nivellement des prix vers le bas. Enfin, nous avons étudié les carences auxquelles répondait le détachement des travailleurs, à savoir un manque de main-d'oeuvre et une absence de formation adéquate.

Ce travail nous a conduits à examiner les propositions de la Commission européenne, la position du gouvernement français, mais également celle des autres États membres. Nous avons également pris le temps durant les auditions à Paris, mais aussi dans les territoires, grâce au travail de chacun des membres du groupe, d'écouter les acteurs nationaux et locaux pour être force de proposition. Il est apparu que l'enjeu était double. D'une part, protéger davantage les travailleurs détachés et, d'autre part, permettre une concurrence loyale entre toutes les entreprises européennes. Le détachement des travailleurs doit être une opportunité pour la mobilité des citoyens européens et pour le développement de nos entreprises. La condition étant que l'Union européenne se donne enfin les moyens d'assurer une égalité pleine et entière entre ses habitants et ses acteurs économiques. Avant de discuter de manière plus précise du rapport et de la résolution, je tenais à remercier chaleureusement les membres du groupe de travail, qui ont pris le temps de participer aux auditions organisées à Paris et à Bruxelles et qui ont aussi bien voulu partager leurs réflexions et aller sur le terrain pour écouter les personnes concernées.

Cette proposition de résolution européenne vise à exprimer la position de l'Assemblée nationale concernant la révision de la directive relative aux travailleurs détachés de 1996, initiée en 2016 par la Commission européenne sous l'impulsion du Président Juncker.

Cette résolution n'a pas de valeur juridique en tant que telle, mais elle a une portée politique. Comme l'a rappelé le Président du groupe de travail, notre calendrier était assez contraint. Et si nous vous présentons aujourd'hui ce rapport et cette résolution, c'est parce que le 23 octobre prochain, le Conseil de l'Union européenne doit se réunir. Au Parlement européen, la commission de l'emploi et des affaires sociales s'est réunie lundi dernier avant un examen en séance plénière lors de la session du 23 au 26 octobre. Le compromis élaboré par la commission du Parlement européen porte sur l'alignement des rémunérations des travailleurs détachés et des travailleurs locaux, le maintien du plafonnement de la durée des missions de travail détaché à vingt-quatre mois, la mise en place d'un site internet national affichant les règles relatives au travail détaché pour chaque État membre – c'est une obligation – et l'inclusion du secteur transport routier international dans le champ de la directive, de manière provisoire, le temps qu'une directive spécifique sur ce secteur soit adoptée.

Parallèlement, le Conseil de l'Union européenne doit se prononcer à la majorité qualifiée le 23 octobre. La résolution, si elle est adoptée aujourd'hui, sera donc jointe au dossier de la Ministre Muriel Pénicaud en vue de ces négociations.

Le groupe de travail a sollicité des acteurs économiques nationaux comme locaux, des salariés comme des chefs d'entreprise, les services de l'État, dont la Direction Générale du travail, les secteurs d'activités concernés, comme le BTP, l'hôtellerie, l'agriculture. La proposition que je vais brièvement vous détailler résulte de ces travaux.

Sur la proposition de révision de la directive introduite par la Commission européenne, il y a un consensus sur l'idée que le détachement des travailleurs doit être une opportunité de mobilité pour les citoyens européens, pour le développement de nos entreprises. Or, aujourd'hui, des contournements et des fraudes existent. Elles conduisent à percevoir la directive de 1996 comme source d'exploitation des travailleurs et de concurrence déloyale.

À cette fin, nous saluons l'initiative de la Commission européenne et souscrivons pleinement à la finalité de la proposition de révision. La directive de 1996 est vraiment la base, complétée par une directive de 2014 relative au contrôle de la fraude. C'est en ce sens que j'évoquais les limites de la révision. Ultérieurement, il faudra travailler sur ce sujet de manière plus globale. Mais compte tenu des contraintes de temps, nous avons pris le parti de nous concentrer sur la révision actuellement proposée.

S'agissant de la base juridique de la directive, celle-ci constitue le fondement de l'interprétation du juge européen, la CJUE, pour en apprécier sa validité. Aujourd'hui, la directive se fonde sur des critères économiques et la liberté de circulation des biens, des personnes et des capitaux. À cette base juridique, nous proposons d'ajouter la politique sociale de l'Union européenne et les droits sociaux des travailleurs. Une telle proposition vise à favoriser un meilleur fonctionnement du marché intérieur ainsi que la protection des travailleurs.

Sur l'encadrement de la durée du détachement, la Commission européenne a proposé dans son projet de révision une durée maximale de vingt-quatre mois, au-delà de laquelle c'est l'intégralité du droit national du pays d'accueil qui s'appliquerait. Nous préconisons de limiter l'application du régime de détachement à une période de douze mois sur une période de référence de vingt-quatre mois. Cette dernière proposition est cruciale, elle vise en effet à inclure dans le calcul les périodes comprises entre deux opérations de détachement. Si un travailleur retourne dans son pays d'origine puis revient dans le pays du détachement, la durée de son détachement initial continue d'être prise en compte dans la durée de référence. Ainsi, nous évitons des cas de fraude ou de contournement de la législation en identifiant les travailleurs se trouvant dans une situation permanente de détachement.

Sur le champ d'application de la directive, la révision porte le souhait d'élargir le champ d'application de la directive de 1996 à tous les secteurs d'activité. Nous soutenons naturellement cette proposition. Concernant le secteur sensible du transport routier international, il est évident qu'il ne doit pas être exclu de la directive. Cependant, un « paquet mobilité », traité par notre collègue Monsieur Damien Pichereau, étant actuellement en négociation, nous soutenons que les spécificités de ce secteur devraient être prises en compte dans un autre texte.

Les modifications suggérées par la Commission européenne concernant la rémunération, le travail intérimaire et la sous-traitance permettent de mieux définir les éléments constitutifs de la rémunération versée au travailleur, notamment grâce à la substitution du terme « rémunération » à ceux de « taux de salaire minimal ». Cela permet d'éviter les pratiques de certains employeurs qui défalquent des charges sur la rémunération des travailleurs, touchant finalement moins que le SMIC. Ce terme de « rémunération » permet d'intégrer les indemnités transport, repas et hébergement, ce qui interdira ce genre de pratiques.

La Direction Générale du Travail nous a expliqué avoir dû contrôler des hébergements indignes. Nous avons donc souhaité intégrer dans le noyau dur de la directive de 1996, en sus des temps de repos, des temps de vacances et des indemnités minimales, l'exigence de conditions dignes d'hébergement. De plus, la proposition concernant le travail intérimaire vise à assurer pleinement le principe de cette formule désormais célèbre « à travail égal, salaire égal » puisque les mêmes règles seront également applicables aux travailleurs intérimaires. C'était déjà le cas en France avec la loi dite « El Khomri », nous souhaitons que l'ensemble des États membres applique cette règle.

Les dispositions relatives à la sous-traitance participent à la philosophie générale de la révision. Toutefois, la proposition de révision prévoit une simple faculté, et non une obligation, ce qui nous laisse craindre une hétérogénéité des règles entre les États membres, ce qui entraîne la disparité et la distorsion de concurrence. Le caractère facultatif n'est pas une solution adéquate, nous ne la soutenons donc pas.

Enfin, sur la nécessité de renforcer le contrôle et la lutte contre le détachement frauduleux et d'améliorer le cadre de la coopération entre États membres, il y a encore beaucoup de choses à faire. C'est toutefois plutôt le domaine de la directive d'exécution de 2014 et notre champ d'action demeure limité. Nous avons toutefois eu à coeur de faire des propositions en la matière. Le détachement des travailleurs peut constituer une opportunité économique pour nos entreprises, à la condition que les principes établis au niveau européen soient appliqués de manière systématique et unique dans tous les États membres.

À cette fin, nous soutenons la proposition française d'utiliser la plateforme européenne déjà existante de lutte contre le travail non déclaré pour améliorer la coopération administrative entre les États membres. Les autorités françaises se plaignent du délai de réception des informations issues des agences d'autres États membres, au risque que le travailleur détaché soit déjà reparti lorsque l'information est communiquée. Il convient enfin de rendre plus lisibles les obligations applicables aux employeurs, qui ne les connaissent pas toujours. Une telle plateforme pourra trouver un écho vis-à-vis de la proposition récente du Président Jean-Claude Juncker de créer une Autorité européenne du travail. On demande toutefois à la Commission de détailler d'avantage cette proposition.

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