Intervention de Cédric O

Réunion du mercredi 10 juillet 2019 à 16h30
Commission des affaires économiques

Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique :

Monsieur Bothorel, le message que la France porte est clair : certains acteurs sont devenus « systémiques » – Facebook, Google et Amazon, par exemple, en France. Ils constituent des briques de base de l'économie et, parfois, de la société. En tant que tels, compte tenu de leur « empreinte », la régulation doit être systémique et européenne. Les règles doivent être spécifiques avec, éventuellement, un régulateur spécifique. Ces règles peuvent être de nature anticoncurrentielle – ainsi, il n'y a pas vraiment de raison d'appliquer les mêmes règles anticoncurrentielles à Google qu'à Alstom. Leurs acquisitions devraient probablement être régulées ex ante, et non ex post. C'est également valable pour les données personnelles, la portabilité des données, certaines pouvant être considérées d'intérêt général : nous devons imaginer et leur appliquer un ensemble régulatoire spécifique.

Parmi les obligations spécifiques qui sont évoquées se trouve la transparence des algorithmes, dont la loi « Avia » vient de montrer à quel point elle était désormais un enjeu pour les politiques publiques. En effet, de plus en plus de décisions ayant une incidence sur la vie des Français et des Européens découlent aujourd'hui d'algorithmes, et la puissance publique doit pouvoir garantir que ces décisions sont légales.

Monsieur Sebastien Leclerc, permettez-moi de laisser à mon directeur de cabinet le temps de me communiquer quelques éléments de réponses : je l'ai en effet choisi pour sa très bonne connaissance des territoires, afin de souligner que, pour moi, le numérique, ce n'est pas qu'une question parisienne mais qu'elle concerne l'ensemble des Français, où qu'ils vivent.

Monsieur Jean-Luc Lagleize, j'avoue découvrir le problème que vous soulevez au sujet de l'ouverture de la base de données « Demandes de valeurs foncières », dont je pensais qu'elle était une grande réussite. Je vous répondrai sur ce point particulier mais, plus globalement, l'ouverture des données dans de bonnes conditions, c'est-à-dire notamment en permettant qu'elles soient réutilisables par les acteurs publics ou privés, reste un objectif fort du Gouvernement. Nous poursuivons le travail entamé avec la loi pour une République numérique qu'avait adoptée la précédente majorité, en travaillant par exemple, actuellement, sur la question des données géographiques. Cela étant, je vous concède que cette ouverture n'est pas nécessairement dans la culture des administrations, pour qui, ouvrir leurs données est parfois vécu douloureusement dans la mesure où la maîtrise des données est souvent assimilée à une forme de pouvoir.

Madame de La Raudière, je vous trouve un peu pessimiste en ce qui concerne l'intelligence artificielle. Je ne pense pas que nos investissements soient vingt fois inférieurs à ceux des Américains mais plutôt de l'ordre de quatre ou trois fois inférieurs. Quoi qu'il en soit, il est sûr que nous sommes largement derrière les Américains et les Chinois, ce qui ne signifie pas qu'il faut cesser le combat.

Dans un domaine néanmoins, il est vrai que nous avons perdu le combat, sinon définitivement du moins pour plusieurs années, c'est celui de l'intelligence artificielle appliquée aux données personnelles et aux données de consommation. Nous ne disposons pas de bases de données personnelles de la taille de celles d'Alibaba, Google ou Facebook, ce qui provoque un effet d'inertie et rend compliqué l'émergence d'un acteur français dans ce domaine.

Cela étant, il existe des secteurs dans lesquels nous avons les moyens de croiser le très bon savoir-faire de certains acteurs et l'excellence de la recherche française en intelligence artificielle pour jouer une carte importante – je pense en particulier aux secteurs de la santé, de la cybersécurité, de la mobilité ou encore de l'énergie, à tout ce qui tourne en gros autour des logiciels critiques. Ce n'est pas exactement la même chose en effet d'avoir un algorithme d'intelligence artificielle permettant de déterminer quel est le prochain achat que vous allez faire et un algorithme d'intelligence artificielle qui pilote un avion, car ce dernier ne peut pas se tromper, ne serait-ce qu'une fois sur cent, et il doit pouvoir fonctionner en manière locale. Or, en la matière, nous possédons un savoir-faire particulier et nous avons donc un rôle à jouer, notamment dans le secteur de la santé où nous disposons de deux des cinq plus grandes bases de données mondiales. Cela doit d'ailleurs nous inciter à réfléchir aux moyens de donner à des acteurs privés l'accès à ces données, pour leur permettre de développer demain des systèmes de soins ou de santé qui soient les meilleurs du monde, et éviter que ce soient les Américains ou les Chinois qui nous les revendent.

Quoi qu'il en soit, nous disposons du potentiel, notamment en termes de recherche en sciences de l'informatique et en mathématiques, puisque je rappelle que la quasi-totalité des patrons d'intelligence artificielle dans les grandes entreprises américaines, que soit Google, Facebook ou Apple sont des Français.

Il faut donc garder nos chercheurs et, à cet égard, les 1,5 milliard d'euros dont est doté sur trois ans le plan Intelligence artificielle proposé par le Président de la République seront pour une large part consacrés à augmenter la rémunération des chercheurs pour faire en sorte que nous gardions – ou fassions revenir – les meilleurs. J'en veux pour preuve le cas de l'ANITI, l'institut de l'intelligence artificielle de Toulouse, construit autour d'Airbus, qui a été désigné comme l'un de nos quatre hubs nationaux, qui a réussi à faire venir d'une grande université américaine, un chercheur chilien parmi les meilleurs du monde, et je pourrais également citer des chercheurs travaillant chez Google ou Facebook, qui reviennent à Paris pour son écosystème.

Nos efforts portent donc, même si, je le dis devant vous, il faudra sans doute aller plus loin et mettre encore davantage d'argent sur la table. Cela vaut pour l'ensemble de la recherche, et je vous invite à ce propos à regarder d'un oeil extrêmement attentif le projet de loi de programmation pour la recherche que le Gouvernement est en train d'élaborer.

Je rappelle que la France dépense 2,25 % de son PIB dans la R&D, contre 3 % pour l'Allemagne, qui ambitionne de porter ce taux à 3,5 % en 2025. Cela signifie que, si nous ne faisons rien, ce sont 60 milliards d'euros de différentiel qui se cumuleront chaque année : en d'autres termes, en n'augmentant pas nos financements, nous préparons le chômage de demain. Il me semble qu'au-delà de l'intelligence artificielle, c'est là le véritable enjeu. Certes, les emplois que nous ne créons pas dans ce domaine font beaucoup moins de bruit que la restriction des dépenses sociales, mais ce serait une erreur de les opposer, car les premiers ne sont évidemment pas sans incidence sur les secondes.

Vous avez également évoqué les problèmes que nous rencontrons avec la blockchain, les banques et les agents du secteur privés ayant en effet du mal à enclencher la dynamique, malgré le cadre innovant et ambitieux que nous avons mis en place et auquel, Madame de La Raudière, vous avez largement contribué. En la matière, nous sommes moins menacés par les Américains, puisqu'ils ont, pour faire court, décider de rendre illégales les cryptomonnaies, que par les Chinois, qui sont de plus en plus hégémoniques dans le domaine de la blockchain.

L'État essaie de faire avancer les choses, par exemple dans le cadre des plans d'action de la BPI, pour lesquels nous avons demandé que la blockchain soit une technologie, prise en compte, notamment dans les investissements des futurs fonds nationaux d'amorçage.

Au-delà de ces efforts, le problème se résoudra lorsque nous aurons, en France, des fonds d'investissement qui investiront dans l'intelligence artificielle, la blockchain, et autres technologies de ce type, ce qui implique un marché boursier de bon niveau. C'est donc l'ensemble de l'écosystème qu'il faut envisager.

Monsieur Letchimy, en ce qui concerne l'impact du numérique sur le travail, l'ensemble des études disponibles montrent, d'une part, un grand bouleversement et, d'autre part, un bénéfice final. En d'autres termes, il y a plutôt un consensus académique sur le fait que le numérique créera plus d'emplois qu'il n'en détruira.

Encore faut-il être capable de réussir la transition entre les uns et les autres, puisque ce ne sont évidemment pas les mêmes emplois qui seront détruits et créés. Cela m'amène à la question de la formation et au scandale de nos 80000 emplois non pourvus. Ces emplois ne sont pas que des emplois d'ingénieur ; pour la majorité d'entre eux, ce sont des emplois de technicien ou d'opérateur. Aujourd'hui, une entreprise comme UPS n'a aucun problème à recruter les ingénieurs qui programment les algorithmes organisant le mouvement des machines dans ses entrepôts, mais elle en a pour recruter les techniciens qui gèrent ces machines.

Les Allemands, qui ont six fois plus de robots que nous, ont deux fois moins de chômeurs. Tout l'enjeu pour nous est donc que les travailleurs soient acteurs de la transformation au lieu de la subir : pour cela il faut des financements et de la formation. Sur l'ensemble de la chaîne, quoi qu'il en soit, il nous reste des marges de progrès.

En ce qui concerne le réseau outre-mer, je vous renverrai vers M. Julien Denormandie. Je n'ai en aucun cas la volonté hégémonique de m'occuper de tout, et je me borne à bien faire ce qui relève de mes compétences.

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