Vous venez quasiment, au travers de vos questions, de brosser en vingt minutes le panorama général de la justice. Je vais tenter de vous répondre de manière synthétique, et vous prie de pardonner mes éventuelles imprécisions.
Monsieur Rudigoz, vous évoquez la question de la réinsertion des jeunes détenus qui font un passage en établissement pénitentiaire. Il y a actuellement près de 850 jeunes en établissement pénitentiaire, ce qui est un nombre élevé, surtout lorsqu'on sait que près de 80 % d'entre eux sont de simples prévenus et n'ont pas été jugés. Nous devons prendre en charge ces jeunes.
Je me suis rendue récemment, avec quelques députés, dans l'établissement pour mineurs de La Valentine à Marseille, où j'ai pu constater que les jeunes étaient pris en main de manière extrêmement étroite tant par les surveillants, qui ont un vrai rôle d'accompagnement, que par les éducateurs, les professeurs ou les psychologues, qui les encadrent quotidiennement sur le plan scolaire, comportemental ou psychologique.
La véritable difficulté réside selon moi dans la réinsertion, si, après leur période de détention, on les relâche dans leur quartier sans accompagnement. C'est la raison pour laquelle la protection judiciaire de la jeunesse s'efforce de plus en plus d'organiser leur retour à l'autonomie de manière progressive. Il s'agit d'un point central, car les sorties sèches provoquent toujours des catastrophes et entraînent de la récidive. Tout l'enjeu est donc d'assurer un accompagnement adapté après la période de détention, accompagnement qui peut, par exemple, passer par le développement de l'apprentissage.
En ce qui concerne la création de nouveaux centres éducatifs fermés, je me suis engagée à en ouvrir vingt, dont quinze relevant du secteur associatif et cinq qui devraient être directement gérés par la protection judiciaire de la jeunesse, du ressort donc du service public.
Au moment où je vous parle, quatorze procédures ont déjà été lancées, c'est-à-dire que les lieux et les associations gestionnaires ont été trouvés. Il ne fait donc pas de doute que le programme se concrétisera d'ici à 2022. Cela ne signifie pas que les centres éducatifs fermés soient la seule solution que nous envisagions, et je souhaite au contraire une diversification des solutions de prise en charge de ces jeunes, mais ces centres offrent néanmoins une réponse adaptée dans certains cas.
Monsieur Masson, vous m'interrogez sur la création des nouvelles places de prison, et évoquez, pour reprendre vos propos, des économies budgétaires réalisées au détriment du plan prison. La réalité n'est pas exactement celle-là, c'est même plutôt l'inverse : c'est parce que nous rencontrons certaines difficultés que nous avons pris du retard dans le programme de construction et que, de ce fait, la totalité des crédits prévus n'est pas consommée.
Ces difficultés, dont j'ai dit un mot dans mon propos liminaire, sont pour l'essentiel liées à des retards dans la finalisation des projets. S'agissant d'établissements pénitentiaires, il faut tenir compte de la réalité environnante et de ce qu'exprime la population locale. Cela nécessite des consultations, qui, parfois, prennent plus de temps que prévu. C'est le cas pour Baumettes 3, qui est un établissement pénitentiaire en coeur de ville.
Nous éprouvons également des difficultés à trouver du foncier. On ne peut pas construire des établissements pénitentiaires n'importe où ; ils doivent être adaptés aux profils des détenus et à leur parcours de peine. Lorsque nous cherchons à créer des structures d'accompagnement vers la sortie, nous ne pouvons pas les mettre ailleurs que dans un lieu accessible aux autres services publics et à proximité de bassins d'emploi. Or il n'est pas toujours simple de surmonter l'opposition des élus locaux ou, tout simplement, de trouver des terrains disponibles dans des ensembles urbains déjà très construits. D'ailleurs, vous savez parfaitement que, lorsque des établissements pénitentiaires sont installés en centre-ville, certains maires nous demandent de les déplacer en périphérie, sans parler des élus d'un même territoire qui se renvoient la balle.
Nous n'avons jusqu'à présent pris aucune mesure de coercition, mais peut-être serais-je conduite à le faire et à faire jouer le droit de préemption de l'État, au nom de l'intérêt général. Nous n'en sommes pas encore là et, malgré tout, le programme immobilier avance. Nous ouvrirons, fin 2019, les structures d'accompagnement vers la sortie de Bordeaux et de Poitiers et, en 2020, celles d'Aix, de Metz, de Toulon, de Nantes et de Longuenesse. En revanche, à Limeil-Brévannes, l'installation d'une structure de ce type se heurte à des difficultés.
Je le répète donc, nous ne faisons pas d'économies budgétaires aux dépens du plan prison, mais c'est le retard que nous prenons sur certains programmes, un retard maîtrisé, qui génère des économies budgétaires, au sens où il s'agit de dépenses qui sont reportées.
Vous m'interrogez sur le budget de la justice : je vous confirme qu'il augmente, plus largement qu'il n'a jamais augmenté au cours des dernières années. Je le dis clairement devant vous, et nous aurons l'occasion d'en reparler au moment du vote du budget.
Madame Untermaier, vous m'avez interrogée sur le nombre de postes de directeurs non pourvus à la chancellerie. De fait, ils sont tous pourvus. Quant aux emplois de sous-directeur et de chef de service, trois seulement sont vacants sur quarante-quatre, à la suite notamment de la réorganisation de la direction de l'administration pénitentiaire.
Vous m'interrogez également sur l'évolution du nombre de greffiers. C'est une question tout à fait importante, à laquelle je vous répondrai en vous donnant d'abord quelques chiffres. Nous avons aujourd'hui 20 089 greffiers, alors que nous en avions 17 700 en 2013 : leur nombre a donc un peu augmenté. Mais il est vrai que lorsque je me rends dans les juridictions, on me demande davantage de postes de greffiers que de postes de magistrats – quand j'ai pris mes fonctions, c'était le contraire. Le nombre de magistrats a augmenté de manière visible et sensible et il faut que celui des greffiers connaisse la même évolution. Nous faisons déjà un effort considérable en ce sens, puisque 950 greffiers ont été recrutés en 2019 et que l'École nationale des greffes tourne absolument à plein.
S'agissant de la soutenabilité du travail de conciliateur et de la question du bénévolat, vous avez vous-même souligné, madame la députée, que les conciliateurs nous sont extrêmement précieux. Ils seront d'autant plus utiles que nous souhaitons faire intervenir des conciliateurs dans les maisons « France Service », pour que ce travail de conciliation puisse être effectué au plus près de nos concitoyens. Nous allons, comme je vous l'avais déjà indiqué au moment du vote de la loi, passer de 2 200 à 2 400 conciliateurs d'ici à la fin de l'année.
J'en viens à la question des violences faites aux femmes. Dans ma circulaire du 9 mai 2019, je demande la systématisation des plaintes et nous allons, à cet effet, développer les plaintes en ligne. Nous sommes en train d'y travailler et le dispositif sera opérationnel dès le premier semestre 2020. Cette question sera évidemment abordée au moment du Grenelle des violences conjugales.
Madame Florennes, vous m'avez, comme M. Guillaume Vuilletet, interrogée sur le bracelet anti-rapprochement. Nous avons besoin d'un dispositif législatif pour étendre la possibilité d'utiliser ce bracelet. Actuellement, les textes de loi qui l'encadrent font qu'on ne peut l'imposer qu'à des personnes condamnées : cela restreint donc son champ d'application et limite ses effets, en termes de protection. En effet, un conjoint peut être dangereux, alors même qu'il n'est pas encore condamné. Nous allons donc étendre la possibilité d'utiliser ce bracelet anti-rapprochement : ce sera l'objet de la proposition de loi de Guillaume Vuilletet. Ce dispositif aura un coût certain, aussi bien en matériel qu'en personnel, puisqu'il faudra suivre la localisation des personnes portant un bracelet. Nous sommes en train de procéder à son évaluation, mais je veux vous dire clairement que le Gouvernement assumera les conséquences financières du déploiement de ce bracelet anti-rapprochement.
Madame Obono, vous avez parlé d'une « programmation bien mal programmée » : j'en prends acte. S'agissant des prisons, je crois avoir déjà répondu sur la question de l'évaluation et de la mise en oeuvre du programme pénitentiaire à ceux de vos collègues qui déploraient le retard pris. Mais tel n'est pas votre propos puisque, au moment de l'examen de la loi de programmation, vous disiez déjà qu'il ne fallait pas multiplier le nombre de places de prison, considérant que plus on construit de places de prison, plus on les remplit.