Pour poursuivre, nous avons schématisé les enjeux d'un meilleur fonctionnement de la chaîne alimentaire au bénéfice des agriculteurs et des consommateurs. Nous cherchons à créer du lien entre nous, producteurs et adhérents à une OP ou une AOP, et le consommateur. Au vu de la situation actuelle, nous constatons un fort goulot d'étranglement, illustré au centre du schéma, avec des groupements d'achats GMS qui représentent 92 % des ventes. En face, nous n'avons pas le choix, nous devons passer des contrats avec des multinationales, des PME et des groupes industriels agroalimentaires pour transformer notre produit qui est le lait et le valoriser au moyen de tous les distributeurs représentés sur la droite. Le lien direct à la marge entre le producteur et le consommateur est très faible.
Nous observons depuis cette dernière décennie que les pratiques commerciales déloyales qui s'exercent dans cette chaîne alimentaire ont menacé et continuent à menacer la rentabilité agricole. En 2013, le préjudice causé par ces pratiques déloyales a été estimé à plus de 10 milliards d'euros par an. Il est essentiel d'essayer de modifier de telles pratiques.
Ce que nous avons voulu mettre en avant ce soir est le rôle des OP, premier acteur représentant des producteurs dans la négociation commerciale. Dans le cadre du travail qui a été réalisé tout au long des États généraux de l'alimentation (EGA), l'objectif mis en avant a été le renforcement du pouvoir des OP dans la négociation contractuelle. Même si c'est l'inverse qui s'est un peu produit en 2011, les EGA ont mis des choses positives « sur la table », notamment le fait que nous, en tant que producteurs et responsables d'OP, ayons l'obligation de faire une proposition contractuelle. Nous devons être à l'initiative de cette proposition, ce qui est intéressant et a permis aux OP d'avoir une réflexion interne à ce niveau. Ainsi, les producteurs peuvent également être acteurs au sein d'une proposition.
Auparavant, la proposition contractuelle OP ou AOP était constituée de conditions générales de vente, ce qui est complètement inversé aujourd'hui par rapport à la LMA. En avril 2011, tous les producteurs de lait ont reçu une proposition de contrat de la part des industriels privés. Aujourd'hui, le fait d'inverser cela nous permet d'espérer changer ce calcul de prix et donc rentrer dans une cascade. Dans la loi EGAlim, cette notion de cascade entre dans notre proposition contractuelle, avec la vision d'intégrer des indicateurs dans le contrat de vente, notamment des indicateurs de coûts de production. En tant que producteurs, suite aux différents travaux qui peuvent être menés auprès de l'interprofession, nous voulons nous servir d'indicateurs de référence qui peuvent être proposés par celle-ci ou construire nos propres indicateurs au sein d'une ou de plusieurs régions et proposer des choses aux entreprises. C'est ce qui est mis en place aujourd'hui, c'est le travail que nous promouvons auprès de toutes les OP et des producteurs pour qu'ils prennent conscience du fait que cela peut inverser les choses.
Ce qui est important dans cette négociation contractuelle aujourd'hui, c'est de réussir à mettre en oeuvre une cascade de prix au niveau de chaque OP.
2019 correspond à la première année de mise en place des EGA. Les industriels et les GMS ont beaucoup communiqué sur des accords qui ont eu lieu suite aux premières négociations tarifaires du début d'année. Très peu de producteurs et d'OP ont mis en avant leurs acquis et leurs négociations suite à cela car la négociation a davantage eu lieu entre les industriels et la GMS. En tant que livreurs à un producteur privé, nous n'avons pas forcément de vision très transparente sur ces négociations. Les avancées sont plus ou moins minimes à cet égard. Les producteurs ont proposé des contrats mais nombre d'entre eux se heurtent à un blocage au niveau de la signature de ces conditions générales de vente.
Comment pouvons-nous avancer et quelles relations pouvons-nous mettre en place entre OP, industriels et GMS ? Quels sont les enjeux pour une répartition de la valeur ? Dans tout le travail que nous mettons en oeuvre, un point clé et pivot est la manière de mieux répartir la valeur. Les relations contractuelles sont formalisées. Nous ne négocions pas le prix du lait chaque trimestre ou chaque mois auprès de notre industriel. Il est question d'indicateurs de marché (qu'il s'agisse de fromage ou de lait ou d'indicateurs export comme le beurre et la poudre, eux aussi des éléments importants de valorisation du lait). En fonction de ces indicateurs et de leur évolution, on calcule chaque mois ou chaque trimestre des évolutions de prix. La cascade est pour nous un enjeu important dans la transparence et dans le fait que nous, en tant que producteurs, à partir du coût de production, puissions réussir à mettre en oeuvre un prix en cascade.
Nous devons aussi travailler sur la montée en gamme des producteurs. Les attentes sociétales sont importantes et en tant que producteurs, nous devons prendre cela en main. Ce n'est pas à un industriel, vis-à-vis de l'évolution de ses marques ou de son marketing, ou à une GMS, de demander tel ou tel marché. Les producteurs doivent être en capacité de proposer des choses par rapport à cette montée en gamme et, par conséquent, de négocier une valorisation avant même de lancer ces marchés. Souvent, on ne nous propose, à l'inverse, qu'un marché avec un volume de lait sur telle ou telle différenciation et la négociation ne se fait qu'ensuite, après un retour des GMS. Nous devons inverser cette construction vis-à-vis des OP. Pour ce faire, les OP doivent monter en puissance et devenir fortes afin d'inverser la position fortfaible.
Pour terminer, j'aborderai nos différents enjeux. En termes de discussions et de négociations, nous devons responsabiliser tous les acteurs. Aujourd'hui, les producteurs se sont pris en main pour se regrouper, un grand nombre d'OP existent en France, ce qui a beaucoup apporté en termes de visibilité sur le territoire. Une négociation nationale avec un prix national n'est plus possible en France. Nous avons des spécificités que nous n'avons jamais réussi à valoriser et la filière doit mettre en place une nouvelle fixation des prix avec des acteurs économiques qui la comprennent et avec un intérêt. Nous sommes là pour faire du gagnant-gagnant, du partenariat et les industriels et les GMS doivent être totalement transparents vis-à-vis des producteurs. En tant qu'OP, nous avons des difficultés à voir plus loin. Les opérateurs que vous avez pu rencontrer ont plus de transparence que nous puisqu'ils peuvent être à la fois transformateurs et vendeurs et, par là même, ont la vision de la commercialisation de leurs produits, qui nous fait défaut. Il nous faut réussir à trouver ce lien au travers du distributeur et du transformateur pour mettre en place un partenariat, une relation équilibrée et surtout responsable. Des chiffres ont été récemment publiés et la France, pour la première fois depuis 1945, importe plus de produits agroalimentaires qu'elle n'exporte. Pour stopper ce retour en arrière, tout le monde doit être responsabilisé et changer la donne.