Monsieur Duval, monsieur Bénard, je suis très heureux de vous retrouver…
Vous avez dit que chaque code postal français avait déjà reçu un colis de la part d'Amazon. Sachez que les petites et moyennes entreprises françaises sont, elles aussi, présentes partout en France et qu'elles y représentent un emploi sur deux. Si nos territoires sont encore vivants aujourd'hui, c'est grâce à ce tissu économique de très petites et de moyennes entreprises. Elles sont en train, elles aussi, de s'adapter aux transformations environnementales et numériques. Elles cherchent à trouver des débouchés en ligne.
Ce qui est formidable, dans votre modèle d'affaires, c'est que vous avez réussi à transformer le fournisseur, qui avait des droits, en client qui en a beaucoup moins. Vous nous avez beaucoup parlé des vendeurs tiers, ceux qui vendent leurs produits sur la marketplace. Le cycle de vente avec un fournisseur peut être résumé de la manière suivante : vous achetez un produit à un certain prix, vous le stockez, puis vous entrez en relation avec des consommateurs, à qui vous le vendez et l'expédiez. Avec vos vendeurs tiers, qui paient l'abonnement, la mise en avant et l'envoi par Amazon, on arrive à peu près à la même chose : vous recevez le produit, vous le stockez, vous établissez une relation avec le consommateur et vous l'expédiez.
Je voudrais aborder quatre sujets avec vous, qui concernent tous la relation que vous pouvez avoir avec les PME qui utilisent votre plateforme comme vendeurs tiers : la question du partage de la valeur, celle du prix et de la concurrence, celle de la relation et celle de l'impact social et fiscal.
Sur le partage de la valeur, vous avez beaucoup parlé de la commission de 15 %, mais j'aimerais que vous nous disiez quel est le taux net réel si l'on additionne les frais d'abonnement et les coûts moyens de mise en relation et de mise en avant. C'est un chiffre que je n'ai pas réussi à trouver dans les données que vous rendez publiques. Combien vos clients, lorsqu'ils souhaitent vendre plus ou mieux, paient-ils en moyenne pour la mise en avant de leur produit ? Comme Google, vous leur proposez en effet de payer un peu plus pour être mis en avant. Cette pratique, vous ne l'avez pas inventée puisqu'elle existait déjà dans les centres commerciaux, mais elle y a été régulée. Le coût de ce service, qui fait partie de votre modèle d'affaires, peut représenter 1 % à 5 % du prix qui s'ajoutent aux fameux 15 %. En incluant l'envoi par Amazon, combien représente, à la fin, le « pack complet » ? Pouvez-vous nous dire, par exemple, quel est le coût total pour un pot de miel à 40 euros le kilo ?
Ma deuxième série de questions concerne le prix de vente final. Vous avez dit que le vendeur tiers était libre de fixer son prix, mais ce n'est pas vrai. S'il fixe un prix très supérieur à celui qui est généralement pratiqué pour un même produit, il est sûr de ne rien vendre. En réalité, votre machine est intéressante pour le consommateur final, mais elle est destructrice de marge pour le vendeur. Si un produit n'a ni marque, ni origine, ni protection, ni typicité, s'il est basique et peut être concurrencé par d'autres produits, alors son prix baisse. Toutes les études qui ont été faites sur Amazon le montrent : les prix ne cessent de baisser et la marge se contracte.
J'ai une deuxième question à vous poser au sujet du prix et de la concurrence. Elle concerne la concurrence « quasi-prédative » que vous faites – ou feriez – vous-mêmes subir à certains de vos vendeurs tiers. D'après une centaine de témoignages en ligne, quand un produit se vend bien et que son prix pourrait encore être baissé, il peut arriver qu'Amazon achète ce produit à un fournisseur pour le revendre directement et faire encore baisser son prix. Et je ne parle pas de votre nouvelle stratégie, qui n'est pas encore vraiment développée en France, mais que vous avez déployée dans de nombreux autres pays : l'entreprise Amazon se met à produire elle-même certains produits, notamment avec les gammes AmazonBasics. Quand on voit les nouvelles gammes que vous développez à travers le monde, on se dit qu'un jour, vous pourriez même exploiter des champs et vendre de la nourriture en direct ! Tout cela ne donne pas le sentiment que les gens sont libres de fixer leurs prix : ils sont obligés de les baisser.
Le troisième sujet est celui de la relation avec le client. Vous avez dit, et c'est formidable de vous l'entendre dire, que le commerce est avant tout un échange entre des humains. Mais les humains, il faut leur répondre au téléphone. Or, aujourd'hui, des petites PME françaises se plaignent de ne plus avoir d'interlocuteur humain lorsqu'elles s'adressent à vous. On vous a donné la chance, il y a quelques mois, de signer une Charte qui vous aurait engagé à entretenir cette relation avec les TPE-PME, et vous avez été le seul site en ligne français à refuser d'y adhérer. Cette relation au client qu'est devenu le fournisseur est essentielle. Monsieur le rapporteur a parlé tout à l'heure des lettres de déréférencement. Les PME qui vendent des produits sur votre site doivent être protégées. Quand vous déréférencez un produit du jour au lendemain, cela peut avoir un impact massif sur une entreprise. Or vous le faites plusieurs dizaines de fois par an.
La dernière question que je veux aborder est celle de l'impact social et fiscal de votre modèle économique. Cela fait plusieurs années que je vous observe attentivement, parce que j'ai vraiment envie de comprendre comment vous fonctionnez – j'ai longtemps été un consommateur, mais je le suis de moins en moins.
Prenons, premièrement, le cas des vendeurs tiers. Lorsqu'on achète un produit à ce type de vendeur, où est fiscalisée la part du prix que vous gardez et dont je vous ai demandé l'ordre de grandeur – 25 %, 30 %, 40 % ? Cette somme est-elle fiscalisée à 100 % au Luxembourg ? Une partie de cette somme est-elle fiscalisée en France ? Deuxièmement, lorsque vous achetez des produits pour les revendre vous-mêmes, une petite partie de la somme est-elle au moins fiscalisée en France ?
Quand on pose cette question aux dirigeants de Facebook, ils nous expliquent que quand le client se débrouille en ligne, c'est qu'il a eu affaire à la plateforme : celle-ci n'étant pas en France, Facebook fiscalise à l'étranger. En revanche, si le client traite avec un être humain de Facebook France, alors Facebook fiscalise le chiffre d'affaires en France, en droit fiscal français.
Voilà les quatre champs que je voulais explorer avec vous. Quand vous m'aurez répondu, nous vous poserons une nouvelle série de questions, afin d'arriver au niveau de précision que le président et le rapporteur attendent.