Intervention de Delphine Ernotte

Réunion du mercredi 24 juillet 2019 à 9h35
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions :

Vous m'avez interrogée, monsieur le président, sur les conséquences de l'arrêt de France 4 – arrêt qui, je le rappelle, est une décision du Gouvernement. Effectivement, on sait qu'en supprimant des antennes linéaires on ne peut retrouver sur le reste des antennes la totalité de l'audience que l'on avait auparavant. Cela est vrai pour le cinéma et pour d'autres genres. Aujourd'hui, France 4 contribue à hauteur de 3,5 % de son chiffre d'affaires à la création cinématographique presque uniquement en achat de droits. Notre mission première, au sujet du cinéma, est d'exposer à la fois la création française – et plus de 50 % des films que nous exposons sont des films français – et des films inédits, notamment ceux que nous contribuons à faire exister en les coproduisant par le biais de nos filiales cinéma. Un tiers des films que nous diffusons à l'antenne sont des inédits, et nous pourrons continuer à le faire, d'une certaine manière, sur les antennes qui exposent le plus le cinéma aujourd'hui, c'est-à-dire France 2, France 3 et même France 5. Donc, oui, l'offre de cinéma stricto sensu, tout confondu, peut baisser, mais surtout pour ce qui concerne les achats de films étrangers. L'impact sera beaucoup moins fort pour le cinéma français, celui que nous soutenons et que nous nous engageons à soutenir. Mais je ne peux nier que la suppression de deux chaînes linéaires réduira un peu la voilure de ce que nous mettons à l'antenne, quels que soient les genres considérés.

Vous avez raison : si l'on se contentait de poursuivre la mesure de l'audience actuelle, on méconnaîtrait l'évolution à l'oeuvre, par exemple le fait que, de plus en plus, le samedi soir, les gens arbitrent entre la télévision et Netflix. Je souligne à ce sujet qu'il n'y a pas de jours interdits pour Netflix, qui peut diffuser des films tous les jours, samedi soir compris, ce que nous n'avons pas le droit de faire. Donc, oui, la mesure d'audience doit bouger. Bien sûr, nous n'allons pas l'abandonner, car elle est importante pour tout le secteur, notamment pour nos concurrents privés puisque c'est l'un des indicateurs qui permettent de mesurer la publicité, mais nous allons lui adjoindre celle de la couverture hebdomadaire, qui rend mieux compte de notre utilité auprès de nos publics et de nos concitoyens.

Monsieur Gérard, vous m'avez interrogée sur un sujet que vous connaissez par coeur et dont nous avons beaucoup discuté ensemble. Notre projet de transformation concerne tout le groupe France Télévisions ; le groupe rassemble plusieurs entités qui mettent un certain temps avant de se mélanger, ce qui se traduit par la manière dont vous avez posé la question : elle reflète les interrogations des salariés de France Ô et de Malakoff, qui me demandent s'ils seront intégrés à France Télévisions et auxquels je réponds qu'ils le sont déjà. Notre raisonnement n'est pas qu'il y a l'outre-mer d'un côté et le reste de la maison de l'autre côté ; c'est cela qu'il va falloir faire entrer dans la réalité.

Je vous donnerai un exemple qui, pour être symbolique n'en a pas moins beaucoup frappé les esprits : quand, après la crise des Gilets jaune, on a entendu des critiques à l'encontre des médias, le premier réflexe du directeur de l'information de France Télévisions a été de réunir à Strasbourg tous les gens qui concourent à l'information dans cette maison, y compris les rédactions des stations ultramarines, radios et télévisions, pour analyser ensemble ce qu'est une information de service public, ce qui nous distingue en cette matière d'une chaîne privée, comment faire mieux, comment faire face à la défiance qui s'exprime, etc. C'était la première fois qu'étaient réunies sur un pied d'égalité, autour d'une même table, des délégations de toutes les rédactions. Un autre exemple me vient à l'esprit : Émilie Tran Nguyen, qui présente le 12-13 sur France 3, doit quitter l'antenne pendant quelque temps, et nous avons fait appel pour la remplacer pendant six mois à une collègue présentatrice en Martinique. On se mélange donc, et la fraternité qui s'instaure entre toutes les équipes est à mon avis l'élément le plus important pour réussir la transformation. Il est vrai que, sur certains sujets, chacun doit encore progresser ; les choses sont parfois complexes et il se pourra bien sûr que nous fassions des erreurs, mais la direction que nous avons décidé de prendre est clairement établie dans le pacte et, vous l'avez observé, elle se constate déjà. Ce n'est pas parfait parce que ce chantier nous demandera toujours de l'attention, mais la volonté et la sincérité de notre démarche sont certaines et s'incarnent déjà.

Soir 3, édition historique, est un sujet sensible, madame Le Grip, car on touche à un symbole. La régularité de l'audience pâtit effectivement des horaires fluctuants, mais l'on ne peut faire comme s'il n'y avait pas une nouvelle manière de regarder les informations, sur les chaînes d'information en continu, en dehors des grand-messes que sont le 1213 et le 1920. Il nous a donc semblé pertinent de construire, à partir du savoir-faire des équipes de Soir 3, un rendez-vous d'information musclé sur Franceinfo, parce que c'est le sens de l'évolution : de plus en plus, les gens ont le réflexe d'allumer une chaîne d'information à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Nous devons pouvoir faire une proposition beaucoup plus construite et beaucoup plus forte, et profiter du savoir-faire des équipes de Soir 3, de leur ouverture vers les régions et de leur ouverture vers l'Europe pour renforcer Franceinfo. Franceinfo a un pendant numérique au succès énorme. Quand on construit une offre pour la soirée, c'est bien sûr pour qu'elle soit regardée en direct mais aussi pour en tirer des sujets qui seront regardés sur le numérique, que l'on renforce de la sorte. Par ailleurs, il est exact qu'il y a une attente d'information de proximité, mais Franceinfo a été, dès son lancement, très en lien avec tous les territoires, métropolitains et ultramarins : on y a immédiatement trouvé, plusieurs fois par jour, des journaux ultramarins. C'est dans l'esprit de Franceinfo depuis le départ. D'autre part, pour répondre à l'attente exprimée par nos concitoyens, nous allons dès septembre élargir les tranches d'informations régionales, construites par les régions, sans donc toucher vraiment aux tranches d'information nationale sur France 3 ; je réponds ainsi à Mme Faucillon.

Madame Le Grip, la place des auteurs est essentielle pour nous. Nous avons d'ailleurs signé avec les producteurs des chartes de développement visant à ce que les auteurs soient beaucoup plus présents au démarrage du projet et que soit reconnue la place centrale qu'ils occupent dans le processus de création. Quant au contrat liant la SACD et France Télévisions, il a été dénoncé à l'initiative de la SACD ; nous ne sommes pas à l'origine de cette discussion. Au départ, nous avions un accord global concernant à la fois la SACD et la Société civile des auteurs multimédia (SCAM), ce qui complique les discussions. La SACD ayant mis fin à l'accord sans discussion préalable, nous avons tout de suite engagé des négociations avec elle et dans le même temps avec la SCAM, pour essayer de les disjoindre. Les choses sont malaisées, mais nous ne sommes pas à l'initiative de cette situation. Nous avons mis le nez dans ces contrats que nous n'avions pas spécifiquement prévu de dénoncer, et nous essayons de faire le travail le mieux possible, dans le respect du rôle des auteurs et de France Télévisions. Dans le même temps, nous continuons, par une sorte de dérogation, les versements aux sociétés d'auteurs. Ce n'est pas nous qui avons dénoncé le contrat et nous continuons les paiements ; que faudrait-il faire de mieux ?

J'ai vu moi-même ce que vous avez vu le 16 juillet dernier. Je ne voudrais pas que l'on réduise la question de la place de l'Europe dans toutes nos éditions et la manière dont nous avons traité les élections européennes sur nos antennes, au traitement d'un seul sujet, un seul jour. On peut critiquer tous les conducteurs, mais vous savez que l'indépendance de l'information commande que la rédaction soit libre de ses conducteurs, et c'est une très bonne chose. Le sujet d'Ursula von der Leyden a été traité longuement le lendemain, et il avait été traité auparavant également : plusieurs sujets du journal de 20 heures avaient abordé les élections européennes – élections que nous avons couvertes très largement, touchant 17 millions de téléspectateurs. Nous sommes les seuls, je crois, à avoir diffusé le débat des têtes de liste pour la présidence de la Commission européenne. Voilà le tableau d'ensemble. Ensuite, on peut avoir un avis sur tel journal ou tel autre, mais je ne voudrais pas que l'on fasse un symbole d'un petit sujet, obérant la place réelle de l'Europe dans nos éditions de manière générale et plus largement dans nos programmes, puisque cela concerne aussi les émissions politiques.

Madame Bannier, vous m'avez interrogée sur la fiction et la diversification des genres. L'agriculture est un très bon sujet, vous avez raison. Sachez qu'au cours d'un débat, j'avais été interpellée sur ce thème par le jeune président d'une association d'agriculteurs ; je l'avais mis en relation avec la directrice de la fiction de France Télévisions, qui lui a dit que s'il lui apportait un projet développé, elle l'accompagnerait. Il nous faut des scénarios, des projets concrets, et la création prend du temps, ce n'est pas un processus instantané. Dans le même esprit, nous nous étions dit qu'il nous fallait mettre un peu plus à l'honneur les héros du quotidien qui ne se sentent pas toujours reconnus, dont les professeurs. Nous avons donc demandé aux producteurs de nous proposer des séries sur le monde de l'enseignement, et plusieurs sont en développement, qui vont arriver sur nos antennes. Nous pourrions aussi parler des éducateurs, par exemple, et de tant d'autres professions auxquelles nous ne marquons peut-être pas suffisamment notre reconnaissance. Cela peut susciter des vocations : une série qui met l'enseignement à l'honneur peut donner envie à des jeunes gens de devenir professeur !

Mme Victory et Mme Descamps s'interrogent sur l'application du pacte pour la visibilité des outre-mer et le fonctionnement de l'unité de programme transverse ; nous avons des experts au sein de cette maison, et les équipes de Malakoff connaissent très bien les outre-mer. Et non, madame Descamps, l'épisode de Capitaine Marleau tourné aux Antilles ne compte pas dans les 10 millions d'euros. Nous avons lancé des productions ultramarines spécifiques, des fictions en Martinique, à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie, qui font partie de cette enveloppe sanctuarisée ; ce n'est pas en plus, c'est une enveloppe globale garantie, comme le sont les 420 millions d'euros pour la création en général.

Madame Faucillon, je pense vous avoir répondu au sujet de Soir 3. Vous avez dit ne pas voir de différence entre Franceinfo et les autres chaînes d'informations. Si l'on en croit le baromètre de confiance, il y en a pourtant une. Il a été réalisé juste après la crise des Gilets jaunes, et nous avons pensé que la confiance baisserait pour toutes les chaînes ; or, pour ce qui nous concerne, elle a baissé pour certains sujets, mais dans des proportions contenues alors que d'autres chaînes d'information ont perdu jusqu'à quinze points de confiance. Ces statistiques disent que les gens ont vu une différence, en tout cas entre Franceinfo et certaines autres chaînes d'information que je ne citerai pas, dans le traitement de ces événements ; je l'expliquerais par la « non-hystérisation » des informations. Nous avons eu pour politique délibérée d'être au plus juste de ce qui se passait, sans faire de spectacle. Cela nous a coûté des points d'audience, ce que nous assumons parce que nous voulons faire de l'information de service public et nous en sommes fiers. D'ailleurs, si le CSA, qui nous a réunis après la crise pour revenir sur la manière dont nous avions traité l'information, n'a pas donné de satisfecit, il a noté que ce traitement avait été différent sur Franceinfo.

Vous voulez savoir, madame Dumas, si j'accepterais de reporter la suppression de France 4. Mais cette décision n'est pas de mon ressort, elle revient au Gouvernement, et l'arbitrage, l'année dernière, du Premier ministre et de la ministre de la Culture, était clair : arrêt en 2020. Si le Gouvernement décide de se donner un délai supplémentaire, nous l'appliquerons, comme les autres missions que l'État fixe à France Télévisions et que je ne définis pas davantage. Ce que j'en pense, me demandez-vous ? Nous avons mesuré quels enfants nous regardent uniquement sur France 4 et nous sommes rendu compte que la suppression de France 4 toucherait 4 % des enfants, dans les centres-villes plus que dans des zones rurales où l'accès à internet est impossible. Il ressort d'autre part de la mesure du taux de couverture que quelque 65 % des enfants nous regardent régulièrement et qu'en arrêtant la diffusion de France 4, on passerait à 50 %. Tout l'enjeu est donc d'aller chercher les 15 % d'enfants qui regardent exclusivement la chaîne linéaire France 4 pour les amener à Okoo ; nous considérons que ce n'est pas impossible parce que l'offre Okoo sera extrêmement riche. Notre négociation avec nos partenaires producteurs nous donne la possibilité d'exposer longuement plus d'une centaine de héros et plus de 5 000 titres, si bien que notre offre gratuite ludique et ludo-éducative sera très fournie. Enfin, les programmes pour enfants ne sont pas uniquement sur France 4 et nous renforcerons encore l'exposition de programmes pour enfants là où ils sont déjà très exposés – sur France 3 et sur France 5 ; nous avons notamment prévu une nouvelle case en sortie d'école sur France 5. L'enjeu est bien sûr de ne pas laisser des enfants au bord de la route, mais nous le prenons en considération en renforçant notre offre linéaire et en mettant le paquet sur une offre gratuite numérique à la hauteur des attentes des enfants et des parents.

S'agissant de Salto, la procédure est longue et, pendant ce temps, Netflix a gagné deux millions de clients. Nous espérons un dénouement heureux. Depuis quelques semaines, les choses avancent plus vite. Le CSA a inscrit à l'ordre du jour de son assemblée plénière, la semaine dernière, l'examen de son avis sur le projet de création de l'entreprise commune Salto, pour transmission à l'Autorité de la concurrence, laquelle devrait normalement conclure avant la fin de l'été. Les discussions avec l'Autorité se font de bonne foi, et les trois parties – France Télévisions, TF1 et M6 – sont d'accord : si nous en venions à considérer que le modèle économique de Salto n'est plus viable, nous le dirions.

Je ne vous visais pas, Madame Dumas, en rappelant que l'on avait parlé de « catastrophe industrielle » au sujet des productions internes – je ne me rappelais pas qui avait utilisé cette expression et je vous demande pardon. Mais, après tout, Un si grand soleil aurait pu être une catastrophe industrielle et nous sommes tous heureux que ce ne soit vraiment pas le cas. Je rectifierai seulement un point : il est prouvé que ce programme coûte moins cher que ce que fait le secteur privé. C'est notre fierté d'avoir réussi à produire de manière industrielle, avec des procédés innovants, une fiction dont la qualité est perceptible à l'antenne, en dépensant moins que ce que font nos concurrents.

J'ai été interrogée sur la place de la culture sur nos antennes. Il y a pour commencer un problème de vocabulaire, car quand on demande au public : « Pour vous, qu'est-ce que la culture ? », la cuisine arrive en deuxième position. Je ne pense pas que c'était exactement le sujet de l'interpellation de Mme Muschotti, mais c'est que cette question est interprétée comme « Qu'est-ce que j'apprends ? », qu'il s'agisse de science ou de cuisine. Nous devons toujours concilier diffusion au plus grand nombre et exigence. Nous diffusons, en prime time, Le Grand Échiquier quatre fois par an dans une version modernisée ; Le Grand Concours des chorales, une innovation que vous allez voir arriver sur vos antennes ; Les Molières, qui seront en première partie de soirée l'année prochaine ; Prodiges, un talent show pour les jeunes gens associant la musique classique, le chant et la danse ; le concert du 14 juillet qui est encore très suivi ; Fauteuils d'orchestre ; Cultissime ; La Grande Librairie… sans parler de la nouvelle case sur France 2 en deuxième partie de soirée à la rentrée. Et cet été, dix premières parties de soirée, sur France 5 et sur France 2, sont entièrement consacrées à la retransmission d'un spectacle vivant : Avignon architecture, les Chorégies d'Orange... Vous le voyez, nous avons le souci d'exposer, non pas la nuit mais en première partie de soirée, de grands moments de culture.

D'autre part, la culture fait aussi partie de notre offre numérique : je vous ai parlé de Culture Prime, et CultureBox est désormais intégrée dans france.tv, après avoir été une offre à part. Je rappelle que sur CultureBox sont diffusés en direct plus de 500 concerts par an ; c'est d'une richesse inouïe, et 21 millions de vidéos sont vues chaque mois, ce qui est assez considérable. Nous allons aussi fabriquer des programmes spécifiquement pour le numérique : ainsi, l'adaptation des Particules élémentaires de Michel Houellebecq arrivera dans quelque temps sur france.tv.

Enfin, je souhaite expliciter mon propos, peut-être insuffisamment clair, au sujet des outre-mer, en précisant que les 10 millions d'euros ne comprennent pas les fictions de premières parties de soirée de France 2 et de France 3 tournées outre-mer. C'est ce que j'ai dit de manière elliptique en indiquant que l'épisode de Capitaine Marleau tourné outre-mer n'entre pas dans ce budget.

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