Intervention de Delphine Ernotte

Réunion du mercredi 24 juillet 2019 à 9h35
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions :

Je voudrais d'abord revenir sur la question de Mme Descamps, à laquelle je n'ai pas complètement répondu. L'équipe de coordination du pôle Outre-mer rassemble des personnels de Malakoff, qui ont déjà un savoir-faire en la matière. Ce pôle a vocation à être une tête de réseau pour l'ensemble des stations ultramarines – radio, télévision et web – et à organiser notamment les initiatives communes : c'est ainsi que, tout récemment, TF1 ayant décroché les droits de retransmission de la coupe du monde de football féminin pour l'Hexagone, nous les avons négociés pour l'ensemble des territoires ultramarins.

Madame Bergé, la singularité du service public se caractérise d'abord par ses engagements en matière de création, et tout particulièrement pour le genre documentaire. Nous avons ainsi prévu de préserver, au sein de notre enveloppe de 420 millions d'euros dédiée à la création, les 101 millions d'euros dévolus au documentaire, ce qui permet de garantir une certaine forme d'éclectisme. Quant à la diversité des formats, elle procède d'un dialogue constant entre les créateurs et les responsables des unités de programmes, et le fait d'avoir réuni dans une même entité l'ensemble des fictions de France Télévisions n'empêche pas qu'en matière de création on a toujours affaire à des personnalités différentes qui proposent chacune une manière de penser la création. Il n'y a donc aucun risque d'uniformisation, c'est même le contraire car, en matière de documentaires par exemple, au lieu d'avoir sur France 2 et France 3 plusieurs documentaires sur Mai 68 abordant leur sujet sous des angles très ressemblants, le fait de pouvoir se concerter peut nous permettre de diversifier les approches et d'enrichir notre palette d'offres.

Vous avez par ailleurs abordé la révision de la loi sur l'audiovisuel. Notre première revendication est de pouvoir évoluer dans un contexte concurrentiel équilibré, où il n'y ait pas d'asymétrie de régulation, compte tenu de la difficulté de taille que représente déjà pour nous le fait d'opérer sur un marché domestique bien plus petit que celui des plateformes américaines qui, en outre, ne sont pas soumises aux mêmes contraintes que nous. Cette correction des asymétries est donc pour nous l'enjeu principal.

Se pose également la question de la concurrence en matière de diffusion de films : je ne m'explique pas que France Télévisions ne soit pas autorisée à diffuser des films le samedi soir, alors que Netflix le fait. Si le cinéma ne peut pas être convenablement exposé sur notre première antenne, france.tv, nous aurons de plus en plus de mal à maintenir nos investissements dans le cinéma ; il y a là une contradiction à laquelle il faut mettre un terme.

Nous souhaitons aussi que la loi permette à l'audiovisuel public français de restaurer sa compétitivité, ce qui implique notamment de revoir les règles en matière de publicité et de publicité adressée.

Il faut renforcer l'indépendance de l'audiovisuel public, car c'est le prix de la confiance que nous accorderont nos concitoyens. Cette indépendance implique un modèle économique pérennisé et le respect de la trajectoire financière fixée par le Gouvernement, en l'occurrence jusqu'en 2022.

Nous demandons par ailleurs un choc de simplification : trop de rapports, à remettre à différentes instances, nous sont aujourd'hui demandés pour justifier de notre action. Il est certes légitime que nous nous justifiions, mais la fréquence de ces rapports et le nombre des indicateurs pourraient aisément être revus à la baisse.

Nous voulons aussi pouvoir maîtriser la distribution de notre offre. Jusqu'à l'accord que nous avons scellé avec les producteurs, une fiction entièrement financée par France Télévisions pouvait se retrouver sur Netflix sans que nous ayons notre mot à dire, ce qui pose évidemment un problème.

Enfin, nous n'avons pas de parti-pris sur ce que doit être la gouvernance de l'audiovisuel public si ce n'est qu'il faut une gouvernance agile, capable de s'adapter aux évolutions qui ne vont pas manquer de se produire dans les années à venir. Nous devons être en mesure de nouer des alliances, comme on l'a fait avec Salto, mais aussi, au besoin, de changer de cap, car nul ne peut dire aujourd'hui à quoi ressemblera dans cinq ans le futur paysage audiovisuel issu de la révolution numérique.

Madame Duby-Muller, en matière de chronologie des médias, nous ne sommes malheureusement pas parvenus à conclure avec le monde du cinéma un accord identique à celui que nous avons signé avec les producteurs audiovisuels. C'est dommage, mais cela fait neuf ans que nous essayons en vain – et les chaînes privées n'ont pas été plus chanceuses que nous.

Pour ce qui est de la fiction numérique, c'est un vrai territoire d'expression, et nous disposons désormais d'un département spécifiquement dédié à la fiction numérique et à son financement. À la suite d'un appel à projets lancé au printemps dernier, des tournages sont déjà en cours. Il s'agit notamment d'enrichir l'offre de france.tvslash, spécifiquement dédiée aux jeunes adultes.

Quant à Un si grand soleil, compte tenu de la durée de vie des feuilletons, qui est en général assez longue, nous avons mis à profit cette première année pour installer l'histoire, ce que nous avons fait avec succès. Nous nous interrogeons désormais avec le producteur et en nous appuyant sur les retours des aficionados sur la manière de faire évoluer les intrigues et de rajeunir le public.

Monsieur Berta, vous m'avez interrogée sur la façon dont nous pouvions promouvoir les initiatives positives, ce qui rejoint la préoccupation de nombreux élus locaux, qui regrettent qu'elles ne soient pas davantage relayées. L'accroissement de l'offre d'information locale devrait remédier à cet état de fait. Par ailleurs, je plaide personnellement pour un journalisme qui, sans se cantonner aux bonnes nouvelles, sache donner la place qu'elles méritent à toutes ces formes de mobilisation citoyenne, individuelles ou collectives qui, dans les territoires, améliorent la vie des gens. En la matière, France 3 a un vrai rôle à jouer. Son magazine On a la solution va d'ailleurs tout à fait dans ce sens.

Madame Colboc, nous vous avons apporté une brochure que nous venons d'éditer sur l'éducation aux médias, sujet qui nous occupe beaucoup. Il est essentiel en effet de prévenir le public contre les fausses informations et toutes les formes de manipulation, qu'elles touchent à l'image ou à la vidéo.

C'est dans cette optique que nous avons introduit dans le 20 heures, regardé par des millions de téléspectateurs, la rubrique Faux et usage de faux. Je pourrais également vous citer, sur Franceinfo, L'instant module ou encore Le vrai du faux qui montre comment l'investigation journalistique permet de démonter une manipulation ou de confirmer une vraie nouvelle, pour faire comprendre à nos concitoyens que la recherche de la vérité est un vrai travail, qui ne peut se confondre avec la propagation d'une opinion.

Je voudrais enfin évoquer le réseau citoyen de journalistes, projet pilote que nous avons monté dans sept régions en 2018 et que nous avons l'intention d'étendre à tout le pays, car il a très bien fonctionné. Radio France devrait d'ailleurs rejoindre le dispositif, et nos journalistes vont continuer à intervenir dans les écoles et les établissements scolaires pour y animer des projets pédagogiques.

Monsieur Juanico, nous aurions bien aimé que les Jeux Paralympiques soient dans la corbeille des Jeux Olympiques, mais Discovery n'en détient pas les droits. Nous sommes cependant très engagés en faveur de ces Jeux Paralympiques, que nous diffusons depuis maintenant deux olympiades. Nous ferons donc tout pour en obtenir les droits, mais je dois rappeler qu'avec l'accord de notre actionnaire, il nous a fallu casser notre tirelire pour obtenir les droits des JO et qu'en conséquence, il ne nous reste plus énormément d'argent à investir dans le sport. C'est d'ailleurs une des raisons qui nous poussent à nous concentrer sur les Jeux Olympiques, le Tour de France et Roland-Garros car, tandis que notre budget n'augmente pas, les droits de retransmission, eux, connaissent des hausses qui peuvent parfois aller jusqu'à 50 %. Cela nous oblige donc à réduire la voilure sur le sport et, si nous avons vendu, hier, un test match à TF1, ce n'est pas parce que nous n'aimons pas le rugby mais parce les budgets sont en baisse et que, lorsqu'on peut revendre des droits sans que cela ait trop d'impact sur nos antennes, on le fait.

Les Jeux Olympiques sont, cela étant, une formidable chance. Ils vont nous permettre de déployer un projet qui atteindra son acmé en 2024 mais aura été précédé de multiples programmes, qui devraient notamment s'attacher à suivre nos jeunes sportifs et nos espoirs de médaille dans leur préparation, avec l'espoir qu'ils seront gagnants en 2024. C'est le patron des sports de France Télévisions qui sera en charge de ce projet, voué à dépasser le sport stricto sensu, pour promouvoir, dans différents formats, la culture et les valeurs attachées au sport. J'ajoute qu'une chaîne numérique devrait être entièrement dédiée au sport.

Concernant la publicité en soirée, je partage votre point de vue. L'interdiction de la publicité nous place en position défavorable par rapport aux chaînes privées, car nous n'avons aucune recette publicitaire pour compenser le coût des programmes, sachant que de plus en plus d'événements sportifs – y compris, bientôt, Roland-Garros – se déroulent en soirée. Or je ne pense pas que cela dérangerait beaucoup les téléspectateurs que nous introduisions de la publicité durant les mi-temps ou les intermèdes de jeu.

Madame Anthoine, vous avez évoqué le rapprochement entre France 3 et France Bleu. D'autres synergies sont en effet possibles, au premier rang desquelles un rapprochement numérique, que nous allons opérer en nous inspirant de ce que nous avons fait avec Franceinfo. Plus concrètement, nous envisageons également des rapprochements immobiliers – l'un étant déjà en cours à Rennes. Nous avons donc élaboré un schéma directeur immobilier commun, car il est plus simple de travailler ensemble lorsqu'on a les mêmes locaux, même si les uns font de la radio et les autres de la télévision.

Ensuite, il existe des émissions politiques communes, et nous travaillons également à des partenariats intégrés, par exemple avec les festivals, ce qui permettrait de limiter les coûts, d'être ensemble plus intelligents et plus solidaires pour accroître l'exposition de nos médias.

Madame Piron, en ce qui concerne Salto, je ne commenterai pas la procédure en cours avec l'Autorité de la concurrence, mais je voudrais revenir sur le positionnement de Salto par rapport à france.tv et aux offres gratuites de TF1 et M6. Salto, c'est en réalité la dématérialisation du vidéo-club que nous avons tous connu, ou du rayon DVD de la Fnac. Il s'agit donc d'une offre qui n'est nullement concurrente de l'offre de france.tv, laquelle va évidemment continuer à se développer et à améliorer son interface et la disponibilité de ses contenus. C'est pourquoi il faut considérer Salto comme un objet à part, doté d'une équation financière propre et qui n'a donc nullement vocation à empiéter sur les ressources que nous consacrons par ailleurs à nos missions de service public. Ce sur quoi je voudrais insister c'est que si nous ne parvenons pas à faire vivre Salto avec TF1 et M6, nous n'aurons plus de « rayon Fnac » et il ne nous restera qu'Amazon. Nous espérons donc voir naître cet acteur français qui, sans prétendre rivaliser avec Netflix ou Amazon Prime Video, proposera ce que proposent les rayons « Séries françaises » et « Films français » de la Fnac.

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