Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du mardi 11 juillet 2017 à 15h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Sébastien Lecornu, secrétaire d'état auprès du ministre d'état, ministre de la transition écologique et solidaire :

Je vous remercie d'être aussi nombreux pour mon baptême du feu en tant que membre du Gouvernement. Lorsque j'étais jeune, j'ai été assistant parlementaire, j'ai donc eu l'occasion d'assister certains de vos prédécesseurs dans cette tâche importante qu'est le travail d'une loi en commission et a fortiori, vous avez eu raison de le rappeler madame la présidente, d'une loi de ratification.

Je tiens à excuser M. Nicolas Hulot, retenu au Sénat pour la séance des questions au Gouvernement. Bien évidemment, l'ensemble des discussions que nous allons avoir cet après-midi ont été vues avec lui.

Il s'agit aujourd'hui de ratifier deux ordonnances, qui ont été prises le 3 août 2016 sous le gouvernement précédent, par habilitation du Parlement dans le cadre de la fameuse « loi Macron ». Nous devons donc débattre des précisions et des conditions de son application.

La première ordonnance est relative à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes. C'est une terminologie communautaire que l'on retrouve maintenant assez souvent dans notre droit, et que les porteurs de projets locaux et les élus locaux connaissent plus sous l'expression d'étude d'impact. Il s'agit de séparer la notion d'instruction de l'autorisation environnementale – l'évaluation – de celle de la décision. C'est une particularité assez française qui fait du préfet la pierre angulaire du dispositif : à l'échelle locale, c'est l'autorité qui instruit l'évaluation environnementale puis le préfet qui la décide. Ainsi, ceux qui instruisent sont sous les ordres de ceux qui décident. À l'échelle nationale, ce problème n'existe pas puisque le ministre décide et l'autorité qui évalue se situe au sein du ministère, dans une entité qui a trouvé son autonomie en termes d'influence à l'égard du ministre.

Si cette ordonnance a été prise, c'est aussi parce que le droit communautaire nous y incitait plus que fortement. Nous nous mettons ainsi en accord en particulier avec la directive 201452 de l'Union européenne relative à l'évaluation environnementale des projets. Je le répète, la particularité du modèle préfectoral faisait de nous une curiosité française au milieu du droit européen. Avec la présente ordonnance, que le Gouvernement proposera, la semaine prochaine, à l'Assemblée nationale d'abord et au Sénat ensuite de ratifier, nous aurons répondu à l'exigence de mise en conformité.

Cette ordonnance permet aussi pour les porteurs de projets une simplification non négligeable, puisqu'elle s'inscrit dans la volonté du ministre Macron, devenu Président de la République, de protéger d'un côté et de libérer de l'autre. Cette ordonnance permet par exemple une étude d'impact en une seule fois sur chaque projet et non plus une étude d'impact par procédure : elle casse en cela la logique de silo qui veut que l'on ajoute parfois du délai à du délai, là où l'on aurait pu avoir dès le début une vision globale de l'autorité environnementale qui menait l'évaluation puis prenait la décision.

Cette ordonnance permet encore le développement de procédures dites au cas par cas que les maires, présidents de conseil départemental ou régional, et les chefs d'entreprise commencent à bien connaître depuis quelques années, qui permettent d'élever le degré d'exigence environnementale – ce sont souvent les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou les directions régionales et interdépartementales de l'environnement et de l'énergie (DRIEE) qui sont compétentes sur le sujet – tout en raccourcissant certains délais rendus possibles grâce à la clarté des projets proposés.

Cette ordonnance propose enfin une nouvelle nomenclature des projets à forte empreinte sur l'environnement, pour lesquels un ciblage de l'évaluation peut être fait par un décret en conseil d'État. Cela participe très clairement à l'effort de simplification que nos concitoyens appellent de leurs voeux.

J'ai cru comprendre que cette ordonnance ne soulevait pas de difficulté particulière, mais nous entendrons dans quelques instants votre rapporteur à ce propos.

L'autre ordonnance, qui porte réforme des procédures destinées à assurer l'information et la participation du public à l'élaboration de certaines décisions susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement, devrait faire l'objet d'une discussion un peu plus longue puisqu'il s'agit d'une nouveauté dans notre droit.

Cette ordonnance était une réponse du gouvernement de l'époque à un drame, celui du barrage de Sivens qui a fait redécouvrir un principe juridique pourtant ancien, en vertu duquel il vaut parfois mieux apprendre à perdre du temps en amont d'un projet, d'un plan ou d'un programme plutôt qu'ensuite parce que l'on n'a pas su lever les oppositions, les doutes, les craintes. En clair, il s'agit de faire le pari que l'écoute, le dialogue, la concertation, la pédagogie, l'échange sur la base d'expertises, de chiffres, d'éléments scientifiques, permettent de calmer certaines craintes donc d'éviter au mieux un contentieux, au pire des dérapages graves et intolérables à l'ordre public.

On retrouve ce fil rouge qui consiste à apprendre à perdre du temps pour mieux en gagner ensuite et faciliter l'aboutissement du projet. L'ordonnance correspond aussi à un mouvement de fond que l'on observe chez nos concitoyens depuis quelques années, autour des objectifs conjoints d'amélioration de la qualité de la décision publique, de sensibilisation et d'éducation des citoyens à la protection de l'environnement – le dialogue entraîne la connaissance, dédramatise un certain nombre de situations et oblige à travailler sur le fond, selon le principe d'opposition raison contre passion – d'accroissement de la légitimité des décisions publiques, pour laquelle le respect des procédures ne suffit plus. Il y a quarante ans, nos concitoyens faisaient spontanément confiance aux pouvoirs publics et estimaient que si le préfet avait signé, c'est qu'il avait raison ; aujourd'hui ils pensent que ce n'est pas parce qu'il a signé qu'il a raison. Il faut en prendre acte, savoir l'entendre et le traduire dans les mécanismes de participation avec l'opinion publique et nos concitoyens. Il s'agit donc de répondre à une exigence plus forte de la population dans un contexte où celle-ci est mieux informée : internet étant passé par là, nos concitoyens se font peut-être plus facilement qu'alors une opinion.

En parallèle, il s'agit aussi de libérer, de faciliter la vie des porteurs de projets, en leur offrant visibilité en amont – celles et ceux qui s'intéresseront au projet de loi sur le droit à l'erreur auront l'occasion d'y revenir – et simplification.

Cette ordonnance consacre par ailleurs de manière assez inédite des droits nouveaux à nos concitoyens.

Le premier est un droit d'accès aux informations pertinentes, qui permet la participation effective des citoyens : certes, le mouvement de droit en faveur de l'accès aux documents administratifs est assez ancien, mais, pour certains projets cet accès n'est pas toujours aussi évident qu'il y paraît.

Le deuxième droit est celui de demander l'engagement d'une procédure de participation, dans les conditions que nous allons préciser dans un instant car, quand nous créons du droit, il convient de le faire dans un équilibre sur lequel je reviendrai.

Troisième droit : disposer de délais raisonnables pour formuler des observations et propositions. Créer des mécanismes de concertation avec des délais couperets n'est pas sincère vis-à-vis du citoyen. Il convient de trouver une application concrète et pratique, y compris en direction de nos concitoyens les plus fragiles ou les plus éloignés des procédures et des pouvoirs publics.

Dernier droit : être informé de la manière dont il a été tenu compte de ces observations et propositions dans la décision, ce qui évitera que prospère le sentiment du « cause toujours tu m'intéresses ». Il ne s'agit pas seulement d'écouter les gens ; encore faut-il leur expliquer pourquoi on a tenu compte ou non de leurs propositions. Les pouvoirs publics ne sont pas là pour dire toujours oui, ils sont souvent là pour dire non mais il y a une manière de le dire : c'est une nouvelle culture que la puissance publique doit trouver.

Ces droits nouveaux pour les citoyens se traduisent par des modalités de consultation nouvelles.

La Commission nationale du débat public (CNDP) est obligatoirement saisie sur l'opportunité du débat pour les plans et programmes nationaux soumis à évaluation environnementale. Les grands projets, c'est-à-dire ceux d'un montant compris entre 150 et 300 millions d'euros, sont rendus publics, et les maîtres d'ouvrage informent la CNDP de la participation qu'ils prévoient. On laisse par ailleurs au porteur de projet le soin de sentir qu'il y a parfois besoin de concertation et d'échanges. Si le maître d'ouvrage ne le voit pas, celui qui instruit l'autorisation, c'est-à-dire le préfet, peut dire lui-même qu'une concertation est nécessaire. Et si ni le maître d'ouvrage, ni le préfet ne le voient, alors les concitoyens pourront le dire. Pour les grands projets, la saisine de la CNDP sera ainsi possible dès que 10 000 citoyens demanderont un débat public ou une concertation. Là aussi, il faudra préciser ce qu'est cette concertation préalable puisque c'est une nouveauté dans notre droit, avec comme particularité le champ ouvert pour des projets sous maîtrise d'ouvrage publique d'un montant supérieur – à ce stade de l'examen du texte – à 10 millions d'euros, ou sous maîtrise d'ouvrage privée avec une participation d'au moins 10 millions d'euros d'argent public. Là aussi, une possibilité de saisine sera ouverte à la demande de 20 % de la population de la zone susceptible d'être affectée par le projet.

Enfin, la CNDP pourra être saisie par 500 000 ressortissants de l'Union européenne électeurs aux élections locales et européennes et citoyens français, pour des politiques publiques qui pourraient avoir un impact significatif sur l'environnement. Je me permets déjà, à ce stade, d'appeler le Parlement à la vigilance sur la définition de ces politiques publiques.

Comment cette ordonnance peut-elle s'appliquer concrètement et quelles sont les limites à poser pour ne pas bloquer les porteurs de projets, c'est-à-dire comment respecter cet équilibre subtil qui consiste à libérer d'un côté et à protéger de l'autre ?

En premier lieu, les procédures incomberont essentiellement à la CNDP – le législateur a décidé de confier à cette autorité, il y a plusieurs années, le soin d'organiser des concertations et d'en être le garant. Cela signifie que le rôle des garants sera des plus importants et nécessite d'autant plus d'être encadré qu'il risque d'avoir un impact sur les finances de la CNDP.

Ensuite, la dématérialisation des procédures devra être privilégiée afin de réussir la transition numérique en même temps que la transition écologique. Il ne s'agit toutefois pas d'abandonner une partie de la population à l'occasion d'une grande question environnementale qui pourrait agiter quelques esprits ou susciter des inquiétudes légitimes ; aussi, dans cette hypothèse, la CNDP aura-t-elle la possibilité de proposer des outils de concertation plus classiques.

Enfin, l'ordonnance propose des mécanismes visant non seulement à prévenir d'éventuelles atteintes à l'environnement mais aussi, je n'y insisterai jamais assez, à faciliter la sortie des projets. Le but n'est pas, en effet, de neutraliser toute forme d'initiative. Il s'agit d'éviter les contentieux – et je souhaite qu'on puisse l'évaluer –, d'assurer un minimum de prévisibilité pour les porteurs de projets, de faire en sorte que la concertation préalable ne dépasse jamais trois mois, de réduire la durée de l'enquête publique de trente à quinze jours pour les projets ne relevant pas de l'obligation de l'étude d'impact.

Ce point d'équilibre ayant été atteint sous une précédente majorité, je reviens sur le contexte.

La rédaction de l'ordonnance a été entamée avant la promulgation de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages – loi dont je tiens à souligner l'importance. Une remise à niveau de l'ordonnance se révélera donc nécessaire en fonction du principe « éviter, réduire, compenser » (ERC).

Second point : l'équilibre a été trouvé grâce à une concertation très subtile. Une commission spécialisée du conseil national de la transition énergétique (CNTE), composée d'une cinquantaine de personnes et présidée par le sénateur et ancien ministre de la défense Alain Richard, a auditionné de nombreuses personnes – représentants de la CNDP, porteurs de projets, représentants du monde agricole et autres acteurs susceptibles d'être concernés directement par l'ordonnance. Le Gouvernement a donc appréhendé avec de grandes précautions le résultat de cette concertation afin de rédiger le présent projet de loi de ratification.

C'est pourquoi, monsieur le rapporteur, sur plusieurs amendements, le Gouvernement s'en remettra à la sagesse de la commission afin, précisément, de ne pas briser tous les équilibres auxquels nous sommes parvenus : je crois beaucoup à la stratégie des petits pas, le mieux étant l'ennemi du bien. On peut d'ailleurs remercier ceux qui se sont livrés à ce travail qui, on peut l'affirmer, a constitué une grande première.

Enfin, ceux qui considèrent que nous n'allons pas assez loin disposent du droit d'amendement, la présidente l'a rappelé. Surtout, Gouvernement et Parlement ont un devoir d'évaluation. Je prends d'ores et déjà l'engagement, au nom du Gouvernement, d'être à même, d'ici deux à trois ans, d'évaluer, chiffres et enquêtes à l'appui, l'incidence du présent texte sur le droit en vigueur. S'il faut corriger certains délais ou seuils, le Gouvernement reviendra vers vous pour procéder aux ajustements nécessaires.

Je vous remercie pour votre attention et espère que, pour ma première prise de parole, je ne vous ai pas paru trop long.

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