Intervention de Bertrand Pancher

Séance en hémicycle du mardi 10 septembre 2019 à 15h00
Mobilités — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Pancher :

Le mode de déplacement des Français pour se rendre sur leur lieu de travail est à ce titre révélateur : il s'effectue pour près de 70 % en voiture individuelle. La situation est évidemment contrastée en fonction des territoires, mais le principal obstacle à une évolution demeure l'absence d'alternative à l'automobile, situation liée à la transformation plus ou moins rapide de notre système de transport tel qu'il est conçu actuellement. Le temps étant compté, c'est comme une course-poursuite, un immense défi pour nous et pour toutes les générations, notamment pour les jeunes qui nous regardent… parfois médusés.

Cette absence d'alternative n'existe évidemment pas dans les grandes métropoles, plus particulièrement en région parisienne. Mais il suffit de devoir s'entasser dans le métro ou dans le RER pour constater qu'il y a, là encore, aussi très loin de la coupe aux lèvres. Les conditions de transport sont loin d'y être idylliques et ces territoires font face à d'autres problématiques : congestion automobile, pics de pollution, qualité variable de l'offre de transports en commun.

Nos territoires aux contraintes diverses nécessitent donc des réponses adaptées, même si le besoin de se déplacer est, lui, largement partagé. Et je rappelle, j'ai eu l'occasion de le dire, que la mobilité est aussi évidemment un grand enjeu social. Dans ce grand défi consistant à construire un nouveau projet de société, indispensable non seulement pour les Français mais pour notre planète, la question de l'acception des efforts nécessaires, donc de la gouvernance, est évidemment centrale puisqu'il s'agit d'une énorme mutation du modèle social et du modèle environnemental, notre société de consommation ne pouvant plus continuer à fonctionner comme avant – mais c'est un autre débat.

La loi d'orientation, guidée par des objectifs de lutte contre la fracture sociale et territoriale tout en visant à réduire l'empreinte environnementale des transports, devait répondre à toutes ces questions. On est donc bien ici au coeur du sujet. Nous nous y sommes attelés lors des excellentes Assises nationales de la mobilité, dont l'enjeu, comme dans beaucoup de concertations, était aussi de tenter une synthèse et de tirer les conclusions des acquis de nos travaux. On peut voir comment elles sont reprises dans le projet de loi et quel retour le texte propose vers celles et ceux qui ont été consultés. Nous avons beaucoup travaillé, le processus a été plus long que prévu, mais nous l'avons achevé au terme de belles consultations.

Pourtant, le projet de loi tel que déposé au Sénat ne reflétait pas la totalité du travail des Assises de la mobilité. En témoignent les observations des grandes organisations professionnelles du secteur des transports, ce qui pose la question du processus de prise de décision publique : trop de mesures, pourtant essentielles, ont été décidées sur le tard sans réel processus de concertation. C'est étonnant dans un pays qui a la manie de la concertation, où l'on n'a que ce mot à la bouche ! Une fois la concertation lancée, on se rend compte que de grandes mesures dégringolent… sans aucune consultation. Ainsi, la récente annonce du Gouvernement de réduire de deux centimes par litre l'exonération de la TICPE sur le gazole des poids lourds n'a fait l'objet d'aucune consultation préalable des transporteurs. J'insiste sur ce point car on a eu beaucoup de retours de leur part : ils se sont étonnés que la décision ait été prise le jour même de leur convocation.

Ce texte, et le groupe Libertés et territoires s'en réjouit, a été complété et enrichi au Sénat à l'issue d'une longue discussion. Nous regrettons néanmoins qu'un accord n'ait pu être trouvé en commission mixte paritaire. In fine, le projet de loi d'orientation des mobilités tel que notre assemblée l'examine aujourd'hui contient des améliorations notables… mais aussi plusieurs zones d'ombre regrettables.

Notre groupe est convaincu que, conformément au principe de subsidiarité, il faut s'appuyer sur l'échelon local pour réduire les fractures territoriales et que nos territoires doivent être les locomotives de ce changement. Il importe cependant que lesdits territoires aient les moyens financiers pour y parvenir. Sinon, ce n'est que « Paroles, paroles, paroles. »

En réorganisant la compétence mobilité autour du couple intercommunalité-région, le projet de loi, nous l'affirmons, va dans le bon sens ; de même, la volonté de mettre fin aux zones blanches de la mobilité reçoit tout notre soutien. La question du maillage territorial reste néanmoins loin d'être tranchée : la nomination d'une autorité organisatrice sur un territoire ne saurait à elle seule y assurer le déploiement de dispositifs efficaces. Nous, les décentralisateurs, regrettons que vous n'alliez pas assez loin, mais la question n'est certes pas facile car il y a, dans ce domaine, des problèmes d'organisation à régler.

Le texte ne présente pas de réelles alternatives à l'autosolisme pour ces territoires : ni les véhicules en free-floating ni les trottinettes électriques – qui nous ont tant occupés en première lecture – ne sont des options généralisables partout. Le covoiturage, quant à lui, pourrait constituer une solution d'appoint mais ne peut être l'unique mode de déplacement. Mais nous avons comme vous, monsieur le secrétaire d'État et chers collègues de la majorité, pleinement conscience de la difficulté à penser une offre de service alternative à la voiture individuelle dans les zones peu denses. Je note toutefois que certaines collectivités n'ont pas attendu : je pourrais en citer beaucoup, notamment la communauté d'agglomération Bar-le-Duc Sud Meuse que j'ai présidée et qui a mis en place un service d'autopartage. Il y a donc nombre de possibilités à cet égard, y compris pour une petite communauté d'agglomération. Financer des expérimentations en ce domaine est particulièrement intéressant et je tenais à souligner cet apport dans la continuité des Assises nationales de la mobilité.

J'en viens à un des points d'achoppement apparus en commission mixte paritaire : il s'agit évidemment de la question des financements. J'ai pris connaissance, à la veille de la réunion de la CMP, des annonces du Gouvernement relatives à l'instauration d'une écocontribution sur le transport aérien assise sur les billets d'avion et à une réduction pour les transporteurs de deux centimes d'euros du remboursement de la TICPE sur le gasoil routier dès le 1er janvier 2020. Ces deux mesures s'ajoutent à l'affectation du surplus de la taxe Chirac.

Cependant le compte n'y est toujours pas. J'en veux pour preuve les discussions que j'ai eues tout à l'heure avec des journalistes spécialisés, dans la salle des quatre colonnes. Ils me disaient : « On a du mal à savoir comment vont arriver les 500 millions nécessaires et quelle sera la montée des financements. » La ministre Élisabeth Borne nous disait avant les vacances parlementaires de ne pas nous s'inquiéter. Elle promettait que le compte y serait, mais notre groupe se pose tout de même des questions sur la mise en oeuvre de ces nouvelles mesures qui constitueraient d'indéniables améliorations. On a besoin de savoir, monsieur le secrétaire d'État, comment on y arrivera. Cela fait des années que les grands projets sont reportés dans le domaine des transports : nous ne voudrions pas que ce soit encore le cas et nous allons va suivre tout cela de près.

Plus sensible encore est la question du financement en zone peu dense : le versement mobilité semble insuffisant, nous l'avons déjà dit, pour permettre le financement de solutions adaptées. La piste, proposée par le Sénat, consistant à affecter une part de la TICPE au financement de la mobilité en zone peu dense pourrait constituer une alternative intéressante et nous regrettons qu'elle ait été rejetée.

Ici non plus, les alternatives proposées par le Gouvernement n'ont pas su nous convaincre totalement : vous estimez, monsieur le secrétaire d'État, que l'affectation d'une part de la TVA en contrepartie de la suppression de la taxe d'habitation permettra de financer la compétence mobilité… Permettez-nous d'en douter. Chat échaudé craint l'eau froide. En effet, il ne s'agirait pas là d'un financement fléché ou dédié spécifiquement à la mobilité – à moins que vous nous fassiez de nouvelles annonces à ce sujet – mais d'une ressource qui devra de toute façon être allouée pour compenser la suppression de la taxe d'habitation. De plus, le dynamisme du produit de la TVA étant évidemment tributaire de la conjoncture économique et de la consommation, la capacité des intercommunalités à assurer une offre de mobilité serait durablement fragilisée en période de récession, sachant que la fiscalité future des intercommunalités prête à interrogations.

De tels manques sont d'autant plus regrettables que le texte comporte par ailleurs de réelles avancées et pourrait, s'il se donnait les moyens de ses ambitions, amorcer une réelle révolution des transports. Il comporte notamment une série de mesures visant à accompagner et à encourager l'émergence de nouvelles mobilités, ce qui est à saluer, et à prendre en compte la révolution du numérique et des données, ce dont je me félicite d'autant plus que nous voyons tous ces révolutions à l'oeuvre.

Sur ce dernier point, le texte a su se montrer équilibré en définissant, au travers des articles 9 et 11, le cadre nécessaire à l'ouverture des données de mobilité. Nous demeurerons cependant vigilants quant à l'évolution de l'utilisation qui pourrait en être faite. En outre, des objectifs extrêmement vertueux de verdissement du parc automobile ont été fixés, mais ils ne pourront être atteints qu'à condition d'être accompagnés avec une forte détermination. Je pense tout particulièrement au déploiement des infrastructures de recharge pour la mobilité électrique, sachant que des annonces intéressantes ont été formulées à ce sujet par le Gouvernement, y compris à l'Assemblée pendant les débats en commission et en séance publique. En la matière, le projet de loi semble répondre aux attentes : en réduisant les coûts de raccordement des infrastructures de recharge électrique au réseau d'électricité et en autorisant explicitement les raccordements indirects au réseau, ainsi qu'en étendant la réfaction tarifaire aux ateliers de charge. Autant de signaux positifs envoyés pour accélérer la mutation complète de l'industrie automobile.

Si nous devons adapter la mobilité aux défis technologiques, nous devons aussi relever celui de l'urgence climatique. Sur ce dernier point, l'atteinte des objectifs fixés dans l'accord de Paris impose de repenser complètement nos politiques de transports afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre. À cet effet, notre groupe se réjouit des mesures comme le renforcement des zones à faibles émissions, la création d'un forfait mobilités durables – même si on aurait pu le souhaiter un peu plus généralisé – ou encore les dispositions créant un cadre favorable au développement de la mobilité cycliste.

Les députés du groupe Libertés et territoires sont convaincus que la question des mobilités emporte des dimensions environnementales, territoriales et sociales, qui doivent être appréhendées globalement et traitées à la bonne échelle : celle des bassins de vie. C'est à l'aune de ces principes que nous proposerons, comme nous l'avons fait en commission, des amendements pour améliorer ce texte, monsieur le secrétaire d'État, c'est-à-dire pour améliorer les trajets du quotidien afin de faire enfin de notre pays celui de l'excellence environnementale.

Je conclurai en vous remerciant vraiment pour la qualité d'écoute dont font preuve les services de votre ministère. Je pense que c'est, pour les personnes spécialisées dans le domaine du transport, un vrai plaisir de travailler sur des textes de ce type, même si nous souhaiterions les voir, dans certains domaines, encore plus ambitieux. En tout cas, je prends rendez-vous pour l'après-débat.

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