Sur ce point, notre désaccord est total, ce qui ne nous empêche pas de nous estimer ni de dialoguer avec respect. Pour ma part, je considère qu'il convient de mentionner l'impact carbone d'un produit ou d'un service sur un certain nombre de publicités. Votre opposition peut se comprendre s'agissant des transports du quotidien et des transports indispensables de marchandises, mais dès lors que nous parlons de consommations superflues, répondant à des choix capricieux ou de luxe, il est bon de responsabiliser nos concitoyens en leur indiquant les conséquences de leur acte. La notion d'impact carbone, que nous avons défendue avec Christophe Bouillon et qui aurait pu s'appliquer à des vols internationaux vers des destinations exotiques ou à l'utilisation de véhicules de luxe consommant bien plus que des véhicules standards, nous paraissait une norme culturelle parfaitement adaptée au temps présent.
La question des normes concerne aussi le statut des personnes. Nous avons un véritable désaccord sur l'article 20, que nous n'avons malheureusement pas pu exprimer en déposant des amendements de suppression – j'espère que d'autres, à gauche, ont pu le faire et que nous aurons l'occasion de débattre de cette question.
De même que le groupe La France insoumise nous a sensibilisés tout à l'heure aux conséquences de l'article 40 – nous allons expertiser la question de la possible privatisation de certains segments du réseau routier ou autoroutier – , nous voulons nous aussi vous sensibiliser, comme l'ont déjà fait les sénateurs, au contenu de l'article 20. Ce dernier enferme définitivement les travailleurs du transport ubérisé dans un statut de fragilité.
Dans l'histoire du monde du travail, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, le monde des journaliers et des travailleurs à façon a été révolutionné par la création du salariat et la requalification de leur statut en contrat salarié, ce qui a emporté des droits et des devoirs du côté de l'employeur comme de celui du salarié. Cela a été un grand progrès, une grande conquête pour le monde du travail. Aujourd'hui, la libéralisation des statuts constitue une régression. Selon le magazine Marianne, le lobby des transporteurs low cost ubérisés aurait fait rédiger un amendement à l'article 20 visant à enfermer définitivement les travailleurs concernés dans une zone d'ombre, caractérisée par une grande précarité et une grande insécurité, qui ne sont ni celles des travailleurs indépendants lesquels pourraient bénéficier, demain, de nouvelles protections – c'est l'un des enjeux futurs en matière de droit du travail – , ni celle des salariés. Telle est du moins l'hypothèse formulée par Marianne, et j'aimerais que l'on puisse éclaircir l'origine de cet amendement.
Je souhaite également aborder une question de justice fiscale. Finalement, la doctrine que nous défendons, à gauche, pourrait être formulée ainsi : il faut protéger les déplacements de marchandises, d'hommes et de femmes lorsqu'ils présentent un caractère obligatoire, qu'ils sont essentiels, mais dès lors qu'ils s'inscrivent dans le luxe ou le superflu, il faut les soumettre à la taxe carbone.
Ainsi, nous avions imaginé que les utilisateurs de SUV, qui peuvent consommer 30, 50 ou 60 % plus qu'un véhicule ordinaire ayant quasiment la même fonction, puissent être responsabilisés au moment de leur achat, dans le cadre d'un dispositif bien plus dissuasif que les systèmes actuels. Alors que les Français dépensent chaque année près de 50 milliards d'euros pour acheter un véhicule, nous pourrions réorienter massivement les choix de nos concitoyens en faisant payer, dès l'achat, l'équivalent d'une taxe carbone sur la consommation superflue de véhicules. Ce faisant, nous éviterons les trappes à pollution et à pauvreté. Voilà en tout cas une proposition que nous soumettons aujourd'hui au débat, et que nous formulerons à nouveau lors de l'examen du PLF.
Le même raisonnement vaut pour les voyages en train et en avion. À titre personnel, j'avais soutenu, en première lecture, des amendements de François Ruffin qui ne paraissent pas si radicaux au vu de l'effondrement écologique auquel nous assistons. Cependant, le groupe Socialistes et apparentés propose des mesures peut-être plus faciles à appliquer aujourd'hui d'un point de vue constitutionnel – je pense au rétablissement de l'effacement de la TICPE et à un amendement de repli sur la taxation des billets d'avion.
Un autre point me tient à coeur : c'est celui des mécanismes de livraison. En France, nous avons la chance de bénéficier d'un système universel, géré par La Poste, de distribution quasi quotidienne des marchandises à l'ensemble de nos concitoyens ; dès lors, il paraît aujourd'hui aberrant que des véhicules privés circulent en parallèle, dans un cadre libéralisé, ce qui provoque une surconsommation de pétrole que nous ne pourrons pas expliquer à nos enfants.
Ainsi, nos propositions portent sur les derniers kilomètres de transport, sur la concurrence déloyale entre l'avion et le train et sur l'achat de véhicules hors normes de prestige et de luxe. Sans peser sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens les plus fragiles et de l'ensemble des Français, il y a là des ressources budgétaires qui seront terriblement bien utilisées. Nous pourrons universaliser le forfait mobilité durable, procéder aux investissements nécessaires – en disposant non seulement des 350 millions d'euros prévus mais, j'ose le dire, d'un milliard d'euros par an pendant vingt ans – pour atteindre le scénario 3 de niveau d'équipement de notre pays en infrastructures au XXIe siècle, et accompagner les territoires.
Je le dis sans violence : ce gouvernement est devenu le spécialiste des plans locaux de développement sans moyens. Vous créez des territoires d'industrie sans moyens, vous concluez des contrats de transition écologique sans moyens et vous nous proposez de faire appliquer la LOM par les territoires locaux sans moyens supplémentaires. Cela suffit !
À gauche, en tant que sociaux-démocrates, en tant que socialistes, nous disons que l'État doit être un acteur puissant, non seulement dans la promotion des grandes modernisations du futur, mais également dans l'accompagnement des territoires pour réduire les inégalités, adapter la transition écologique à la situation de chaque territoire et rendre cette dernière acceptable et désirable aux yeux de chacun de nos concitoyens. Cela aurait pu être le début du véritable acte II de ce quinquennat, que nous attendons toujours.