J'espère qu'entre-temps nous aurons pu faire le travail que vous vous refusez de mener à bien, et engager la planification écologique si nécessaire à notre pays. Mais vous vous rendez bien compte qu'il n'y a aucun sens à s'engager à l'horizon 2050 sans aucun plan pour réaliser l'objectif fixé.
Entendez-moi bien, encore une fois : comment expliquez-vous donc ce hiatus formidable entre la stagnation de la réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030 et un objectif revu à la hausse à horizon 2050 ? Comment réduire davantage nos émissions d'ici à 2050 si nous ne commençons pas par les réduire davantage dès 2030 ? Expliquez-nous, j'insiste. Quelle machine à voyager dans le temps, quelle inversion chronologique du calendrier, quelle fantastique invention disruptive, pour reprendre un terme qui vous est cher, allez-vous donc proposer pour surmonter cette contradiction ?
Sans doute, plus prosaïquement, gérez-vous la boutique en espérant avoir disparu du paysage une fois venu l'orage du changement climatique. Cela dit, vous ne gérez, ce faisant, que votre boutique, votre petit intérêt partisan ; car, dans ce projet loi, il n'est nullement question de la nécessaire transition vers le 100 % d'énergies renouvelables et la fin du nucléaire en France. Non, le risque nucléaire n'a pas l'air de vous inquiétez plus que cela. L'entretien du parc nucléaire non plus, d'ailleurs, car rien ne prouve qu'EDF soit aujourd'hui en mesure d'assurer l'entretien de centrales vieillissante que vous vous refusez à fermer.
Peut-être vous laissez-vous séduire par les sirènes de l'habituelle solution techniciste, réflexe automatique et rarement pertinent. Puisque le changement climatique s'abat sur nous, gardons le nucléaire, chantent ces voix déraisonnables. Cet été, durant lequel les ressources en eau ont été en tension et le niveau de nos fleuves anormalement bas, quatre réacteurs ont dû être mis à l'arrêt. Et quarante de nos cinquante-huit réacteurs dépendent, pour leur approvisionnement, des eaux fluviales : plus le niveau de celles-ci est bas, plus le stress hydrique, sur toutes les activités, augmente.
Dans ce contexte, le fait qu'EDF consomme 22 % de la consommation annuelle nette en eau du pays devrait nous interroger sur l'inertie dont vous faites preuve en la matière. Le changement climatique met donc en péril la production d'électricité d'origine nucléaire. Et le problème posé par la baisse du niveau des fleuves ne se pose pas qu'en amont. En effet, en aval du processus de production, les eaux sont rejetées dans les fleuves, dont elles peuvent augmenter la température s'ils atteignent un niveau trop bas, et de ce fait endommager la faune et la flore. En d'autres termes, le nucléaire perd sur le tableau du changement climatique et nous fait perdre sur le tableau de la biodiversité.
Face à cela, vous maintenez votre cap d'éloignement sans fin de la réduction de la part du nucléaire, alors qu'une réduction de moitié de cette source d'énergie dans la production d'électricité est, selon plusieurs scénarios de RTE – Réseau de transport d'électricité – , pour ne citer que cette instance, tout à fait possible, et ce tout en baissant nos émissions de gaz à effet de serre. Comment penser, dans ces conditions, que vous faites preuve de sens de l'État et que vous envisagez à moyen terme les intérêts de la patrie républicaine des Français, au lieu de réaliser des compromis médiocres guidés par des intérêts privés ?
Votre approche sur le nucléaire apporte une nouvelle preuve que vous ne faites aucun cas de la majorité sociale. Encore une fois, alors que la commission d'enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires vous y avait enjoints, vous ne faites absolument rien pour les travailleurs de la sous-traitance du secteur, lesquels, toujours plus précarisés, sont obligés de travailler dans des conditions de santé et de protection elles-mêmes toujours plus dangereuses. Or ils effectuent 80 % des activités nucléaires : voilà pourquoi je vous parlais de « majorité sociale ». Mais, pour elle, vous n'avez que du mépris, et ne faites donc rien pour ces travailleurs de la sous-traitance. Quelles que soient vos options politiques, vous devez pourtant le savoir : ni la continuation du parc, ni la transition vers le 100 % d'énergies renouvelables ne sont concevables sans eux.
Non contents de ne gérer que votre boutique, vous considérez que l'État en est une autre, sans faire de différence bien claire entre vos biens et les biens communs. L'État n'est pas à vendre, nous ne sommes pas à vendre, et nous ne sommes pas d'accord pour que vous continuiez à le piller sans cesse : Aéroports de Paris, La Française des jeux, la branche énergie d'Alstom et, avant vous, les autoroutes : ça suffit !
Nous connaissons tous, et la presse s'en est fait l'écho ces derniers mois, le nouveau projet que vous avez à l'esprit. Il tient en une formule très simple : privatisation des filières renouvelables et nationalisation de la filière nucléaire. En d'autres termes : privatisation des profits et nationalisation des pertes. La braderie généralisée de l'État est à son paroxysme : vous vendez des rentes pour racheter des dettes. En d'autres termes, vous arnaquez la République dont vous êtes supposés servir l'intérêt général.
À cela, je ne vois qu'une explication, celle-là même qui rend cohérentes vos actions depuis le début de ce quinquennat : vous n'êtes pas le parti des Marcheurs ou de je ne sais quoi d'autre, vous êtes le parti de l'argent, le parti des pilleurs de biens communs !
Les puissances de l'argent ne s'embarrassent pas de considérations environnementales ; ce n'est pas chose nouvelle. C'est dans ce cadre que s'inscrit le démantèlement général du service public de l'énergie. La bataille pour la nationalisation de l'énergie n'est pourtant pas venue de nulle part. Les géants de l'électricité, avant 1945, usaient et abusaient de leur pouvoir en maintenant des tarifs très élevés pour la population. En cas de tension écologique majeure sur le marché de l'énergie, vous savez comme moi ce que la privatisation du secteur de l'énergie veut dire : seuls les plus riches, et à certains endroits, auront droit à de l'énergie.
S'il s'agit d'un service public régulé et organisé en fonction des demandes de nos concitoyens et concitoyennes, alors la solidarité est possible, et les temps critiques sont ceux où l'on se serre les coudes. Les salariés d'EDF se mobiliseront le 19 septembre prochain pour empêcher la poursuite du pillage : je leur adresse, depuis cet hémicycle, un salut fraternel et solidaire.
Dans le secteur de l'énergie comme dans les autres, c'est la même lutte qui se joue, entre les tenants de l'individualisme libéral, le rêve d'une société d'atomes détachés les uns des autres et la conscience de notre nature sociale et solidaire, tout individus que nous sommes. Le démantèlement progressif, déjà largement entamé, du service public de l'énergie va accroître les inégalités entre riches et pauvres, entre centres et périphéries. Vous construisez un monde seulement réservé aux riches qui habitent les centres, mais vous vous rappellerez assez tôt de l'existence des pauvres des périphéries. Nous vous rappellerons aux conditions nécessaires pour une existence digne.
Je veux dire un mot, enfin, sur les moyens à mettre en place dans l'hypothèse où vous accepteriez le rejet du texte. Il est temps d'organiser la planification écologique dont le pays a besoin. Si vous voulez atteindre l'objectif de 100 % d'énergies renouvelables à horizon 2050, si vous souhaitez réduire les émissions liées au transport de marchandises entre nations, si vous voulez changer nos modes de consommation, alors il faut changer nos modes de production.
Sur la rénovation des logements, quand donc engagerez-vous les investissements publics nécessaires pour lutter contre les passoires thermiques ? Le rythme est insuffisant et aucun progrès significatif n'est accompli en la matière dans ce projet de loi. Ce sont près de 800 000 logements par an qu'il faut rénover : cela ne va pas se faire tout seul, par la grâce du « saint marché ».
Pour la puissance publique, le temps est venu de concevoir, de façon démocratique, un vaste plan au service de la plus grande tâche jamais proposée à l'humanité, celle de survivre au chaos qu'elle est en train de produire. Il faut penser ensemble, agir ensemble et, pour cela, socialiser davantage les moyens de production clés, le secteur de l'énergie n'étant qu'un exemple parmi d'autres.
Vous faites tout le contraire, et votre croyance dans la capacité du marché à relever le défi écologique est tout aussi dangereuse qu'irrationnelle. Nous vous opposons la démarche certaine et assurée des citoyens qui, défendant la République sociale et la fraternité, savent que seuls ces principes d'action peuvent nous guider vers un avenir vivable.