Le constat d'échec de l'État est patent, qui vit sur des réflexes du passé sans se donner les moyens d'embrasser l'avenir. Pourtant, qui ne peut constater que la solidarité nationale et les solidarités familiales sont arrivées au terme de leurs possibilités et de leurs capacités ?
Derrière le vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, se pose donc la question de savoir quel modèle social nous voulons et, fatalement, quelle France nous voulons. La France ne saurait être la France quand elle refuse de se regarder elle-même en vérité, avec sincérité ; quand elle ne sait plus donner corps et sens aux valeurs universelles qui sont les siennes et les mettre en oeuvre pour les plus petits d'entre les siens. La France ne saurait être la France, si elle n'est le pays où s'expriment toutes les solidarités, qu'elles soient publiques ou privées, qu'importe, tant qu'elles trouvent à s'exprimer !
Les chantiers sont là, devant nous, grands ouverts, presque béants. Depuis des années, la famille, la prise en charge du grand âge et de la dépendance et aujourd'hui l'accès aux soins pour tous attendent une volonté, un courage politique, une détermination. À l'aube d'un nouveau mandat, il vous appartenait de vous en saisir, il vous revenait de mesurer l'urgence de la réforme. Vous nous aviez annoncé un mandat de transformation, de mutation et de réparation. Votre projet de loi ne répond à aucune de ces attentes. Il n'est ni plus ni moins ambitieux que ceux qui l'ont précédé ces dernières années. Il ne sera donc ni à la hauteur des attentes légitimes des Français, ni à la hauteur de cet héritage qui, sept décennies plus tard, continue de nous engager.
Regardez, ouvrez les yeux, déjà nos territoires sont les victimes de disparités dans l'offre de soins, entraînant des inégalités d'accès à une médecine de qualité. Ces inégalités contreviennent aux principes fondateurs de la Sécurité sociale, parce que la santé est un droit sans exclusive. Il s'agit pourtant de la responsabilité de l'État que d'offrir à tous, et sans distinction, les mêmes offres de soins et d'en réguler les pratiques ; car ce n'est que lorsqu'en face de chaque droit il est un devoir assumé, respecté et rempli, que la communauté de destins peut avancer unie dans la même direction.
La médecine de proximité, libérale ou hospitalière, est aux yeux de beaucoup de Français le premier des services publics. Il doit donc être la première responsabilité de l'État. Dans un monde où tout est éphémère, la santé est notre bien le plus précieux que l'inaction politique ne peut décemment laisser en déshérence. Vivre en bonne santé est le droit le plus sacré. Sans santé, notre devise républicaine n'est plus qu'un songe. Sans santé, il n'est point de liberté, il n'est point d'égalité, il n'est point non plus de fraternité qui vaille.
Face au déni de responsabilité, l'État doit agir ; car aujourd'hui il est déjà presque trop tard et attendre une année de plus serait irresponsable. Les mesures qui nous ont été annoncées et qui sont reprises dans votre projet de loi n'ont que l'apparence de la nouveauté ; car, par-delà les modalités techniques, elles seront, à bien des égards, inopérantes. Ces mesures ont déjà été essayées et mises en oeuvre par de nombreuses collectivités urbaines et rurales, où elles n'ont apporté que des réponses partielles à un problème devenu global.
Ériger des maisons de santé ne peut être que l'achèvement d'un projet médical et social construit et réfléchi, de même que favoriser l'installation des jeunes médecins dans les zones à faible densité par un encouragement pécuniaire peut donner l'illusion d'une réponse viable. Pourtant combien d'entre eux se désengagent et reprennent leur liberté, avant même la fin du contrat, en remboursant les sommes versées après quelques années d'exercice ?
Vous avez évoqué, à juste titre, la nécessité de déployer la télémédecine et d'en faire un élément d'équilibre entre les territoires, mais combien d'années seront encore nécessaires pour déployer des réseaux à haut débit dans nos campagnes, là où précisément les médecins font d'ores et déjà défaut ? La suppression de la taxe d'habitation limitera considérablement la capacité de financement des communes et communautés de communes, qui refuseront de s'engager dans des investissements sur plusieurs années, faute de visibilité budgétaire. Comment les en blâmer ?
Les simplifications législatives et réglementaires annoncées par votre ministère claironnent le libéralisme dont on a tant besoin dans bien des domaines, mais, en l'espèce, n'offrent en rien les garanties d'une présence médicale dense et équilibrée. Les efforts consentis par les collectivités – régions, départements, communes et communautés de communes – sont disparates sur le territoire, par manque de moyens, manque de ressources ou parfois manque de volonté. La seule initiative des collectivités locales ne permet pas et ne permettra pas davantage demain par cette loi d'assurer l'équilibre des territoires.
Il s'agit pour l'État de veiller à l'application d'une offre de soins définie par un maillage homogène qui réponde aux besoins de tous, par une réelle action de terrain, parce qu'on ne transige pas avec la santé. Là où l'État devrait être le premier de cordée, le premier à la manoeuvre, là où il devrait veiller à l'équilibre des équipements de santé sur l'ensemble du territoire, là où il pourrait parfois faire montre d'autorité, comme il sait si bien le faire dans d'autres secteurs, il va falloir se contenter de demi-mesures laissées à l'initiative de collectivités locales exsangues.
Madame la ministre, je vous ai interpellée le 4 juillet dernier par voie de question écrite sur une proposition que j'ai formulée, qui ne remet pas en cause la liberté d'installation des jeunes médecins, mais privilégierait le conventionnement, pour une période temporaire dans les zones sous-dotées. J'attends encore une réponse à ce jour. Ces problématiques sont suffisamment importantes pour qu'à défaut d'emporter la concorde, elles méritent une réponse de votre part.
De surcroît, il se cache derrière le défi de la désertification médicale une autre réalité que personne ne peut ignorer sur ces bancs : celle du développement des territoires, des villes et des campagnes. Parce que sans médecins, ce sont des villes et des villages qui se meurent ; parce que si les médecins partent, ce sont les écoles qui se vident, les boulangeries qui ferment et les services publics qui désertent. Et, lorsque les services publics s'en vont, que les boulangeries et que les écoles ferment, les médecins ne s'installent plus. La boucle est ainsi bouclée…