J'ai en quelque sorte ouvert le débat sur l'article 20, hier, dans la discussion générale, en décrivant le mouvement de colère de nos collègues du Sénat, en particulier Olivier Jacquin, en découvrant la façon dont un amendement pouvait être élaboré.
Ils ont révélé comment l'Institut Montaigne avait publié un rapport clairement inspiré par des lobbyistes et des acteurs économiques liés aux plateformes, ce qui constitue un conflit d'intérêts manifeste, rapport dont le contenu a été repris par le Gouvernement, presque en copier-coller, pour l'inclure au projet de loi. J'ai déjà dénoncé sur la forme, s'agissant du respect d'un processus démocratique, l'introduction d'un amendement dont on nous a révélé l'origine. Cette révélation avait perturbé le cours normal et tranquille de l'examen du texte.
Sur le fond, nous sommes confrontés à un véritable dilemme. À la fin du XIXe siècle, tout le travail du législateur, tout le combat progressiste, toute l'oeuvre des socialistes et de tous ceux qui ont été humanistes a consisté à créer des formes de salariat établissant des contrats de réciprocité de droits et de devoirs entre l'employeur et les employés. Il s'agissait de sortir de ce qui était le plus commun jusqu'en 1850 ou 1890 : le travail à façon et le système des journaliers. À l'époque, le seul responsable des accidents du travail était le salarié, en raison de sa maladresse. La loi du 9 avril 1998 concernant la responsabilité des accidents du travail, issue des propositions d'un député ouvrier, a permis de créer une responsabilité de l'employeur en cas d'accident du travail. On retrouve un mouvement historique semblable en Allemagne qui débouche sur des mutualisations, des sécurités collectives et, paradoxalement, une nouvelle phase de prospérité, car, pour éviter les accidents, les industriels des mines et des forges créent des outils de prévention des accidents du travail, ce qui est à l'origine d'une véritable chaîne de progrès humains et économiques.
Avec l'« ubérisation », nous assistons pratiquement à l'installation d'un mouvement inverse pour une part significative de la population. Nous avons le choix entre deux voies qui dépassent largement les enjeux de la LOM – la loi d'orientation des mobilités. Soit nous considérons qu'il nous faut créer un statut du travailleur indépendant qu'il conviendrait de consolider avec des outils de protection adaptés – je ne parle pas de professions libérales, mais d'un nouveau type de travail pour lequel il faut créer et inventer des solidarités collectives – , soit nous considérons tout simplement que ces travailleurs sont des salariés de fait, car, comme l'a parfaitement expliqué notre collègue Hubert Wulfranc avec sa verve habituelle, ils se trouvent dans une évidente situation de subordination.
En revanche, l'amendement que vous avez introduit à l'article 20 a l'immense inconvénient de créer une sorte de no man's land législatif en renvoyant à du volontarisme et à des chartes – tout ce qui caractérise la soft law – , alors que le destin d'hommes et de femmes est en jeu. Il faut que la loi soit courageuse, qu'elle choisisse une voie ou l'autre, qu'elle tranche cette question.
En tout cas, je condamne les conditions délétères dans lesquelles un amendement a été élaboré pour introduire les dispositions dont nous parlons. Faute d'avoir nous-mêmes déposé des amendements, nous soutiendrons avec beaucoup de force ceux de nos collègues de gauche qui ont été plus vigilants et plus réactifs que nous, afin d'éviter cette hérésie.