Intervention de Pierre Dharréville

Séance en hémicycle du mardi 24 octobre 2017 à 21h30
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

Vous ne l'assumez pas frontalement, madame la ministre, mais c'est bien cela que vous mettez en cause.

J'ai voulu présenter, pour commencer, un plaidoyer pour la Sécurité sociale car, à l'heure où s'épanouissent tant d'incertitudes, le temps ne doit pas être venu de s'en défaire.

C'est de cette grande histoire, de cette grande réalisation, que nous partons. Si elle a été abîmée et affaiblie, elle mérite d'être portée plus loin. C'est pourquoi il faut arrêter d'organiser son inefficacité et son rabougrissement, comme il faut arrêter de creuser son déficit pour mieux, d'exonération en exonération, le dénoncer.

La santé, plus que toute autre chose, doit échapper à la marchandisation comme à la spéculation : il faut donc une ambition renouvelée pour la Sécu. Or nous n'en trouvons pas trace.

Nous voulons la défendre comme un bien commun, un outil populaire à l'abri des puissances d'argent et un moteur puissant de la solidarité entre toutes et tous, face aux défis que nous impose, si inégalement, l'existence.

Pour cela, il faut afficher les objectifs : aller vers un remboursement des soins à 100 % par l'assurance maladie, avoir un service public hospitalier fort, un pôle public du médicament, une médecine de proximité et une politique de prévention qui soient à la hauteur des enjeux et des besoins.

Or, parce que nous n'avons pas mis en place les politiques publiques adéquates, des actionnaires viennent ponctionner sur ce budget une part de leurs dividendes.

Ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 est le petit frère du budget, puisqu'il reconduit 45 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales – soit presque 10 % du budget total – et qu'il intègre les 20 milliards d'euros du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – le CICE – , auxquels il ajoute 4 milliards supplémentaires. En revanche, il n'affiche pas d'ambition sérieuse quant à la fraude aux cotisations patronales, que la Cour des comptes estime pourtant à près de 20 milliards d'euros.

Au total, vous prévoyez 5,2 milliards d'euros d'économies sur les dépenses sociales, dont 4,2 milliards sur la santé qui ne serviront qu'à faire des chèques à ceux qui n'en ont pas besoin. Vous demandez à l'hôpital, déjà exsangue, de réaliser 1,2 milliard d'euros d'économies. La situation des personnels soignants et non-soignants est pourtant déjà insupportable, les conditions matérielles de nombre d'hôpitaux publics sont indignes et les numerus clausus très insuffisants : nous courons à la catastrophe.

Non contents de cela, vous allez encore demander aux assurés sociaux de mettre la main au portefeuille en augmentant le forfait hospitalier. Alors que les déserts médicaux s'étendent, les GHT sont en train de mettre à mal nombre de structures utiles dans les territoires – je pense notamment aux centres de santé, qui, dans un esprit novateur d'accompagnement des patients, remplissent des fonctions essentielles, et sont de grands oubliés de votre texte.

Les inégalités dans l'accès aux soins explosent, comme le souligne le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale souligne leur haut niveau. Un exemple ? Le renoncement aux soins, qui atteint 30 %, et même 50 % chez les jeunes.

Nous devons consacrer à notre santé, de façon solidaire, une part plus importante des richesses produites. Or, alors que nous sommes loin d'être en pointe sur le sujet, rien de semble arrêter la compression des dépenses de santé.

Un mot du tour de passe-passe qui nous est présenté – je veux parler de l'augmentation de 1,7 point de la CSG, dont 60 % des retraités vont être les premières victimes, continuant ainsi de financer ce qu'ils ont déjà financé durant toute leur vie active. Les agents de la fonction publique en pâtiront également, alors même qu'ils n'ont aucune visibilité réelle sur les compensations de cette augmentation.

Le jeu de chamboule-tout auquel vous vous livrez pour laisser croire que vous allez améliorer le pouvoir d'achat ne laisse pas d'inquiéter : où se feront donc les économies ?

Si nous pouvons être d'accord sur un certain nombre de mesures et entendre certaines de vos intentions, le cadre dans lequel vous vous enfermez se chargera d'en affaiblir les effets, voire de les anéantir.

La tarification à l'activité – la T2A – doit être abandonnée : on a forcé les hôpitaux à devenir des marchands d'actes médicaux et à abandonner les besoins liés aux soins pour les remplacer par un dispositif de contrainte aveugle. L'objectif de soigner devrait pourtant être la principale boussole.

En matière de prévention, nous devons mieux faire. À ce titre, la disparition des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail – les CHSCT – , si elle se confirme, va poser un grave problème. Vous avez raison de dire, madame la ministre, que l'assurance maladie n'est pas là pour gérer les conséquences des pratiques managériales indignes. Il faut s'attaquer aux burn-out, aux maladies éliminables, en particulier dans l'entreprise où on les produit parfois sciemment, juste parce que ça rapporte plus : il faut le faire avec une volonté farouche. Hélas, faute de financements, des outils permettant de lutter contre ces phénomènes disparaissent – je pense, dans ma circonscription, à l'Association pour la prise en charge des maladies éliminables, l'APCME. Il ne faut pas s'y résoudre.

La prévention en direction des enfants et des jeunes est également un enjeu décisif. Ce fut, par exemple, une erreur de s'attaquer à la prévention bucco-dentaire.

Nous devons également porter une grande attention à la recherche et à son développement, qui doit être piloté non par la rentabilité financière, mais bien par la volonté de soigner et de guérir. Nous devons y investir plus d'argent public, notamment s'agissant de la recherche sur les cancers pédiatriques, sujet sur lequel se mobilisent de nombreuses associations de parents marqués par les épreuves et qui refusent pourtant de se résoudre à l'impuissance.

Il est enfin nécessaire d'agir en faveur des personnes en situation de handicap pour qu'elles bénéficient enfin de droits suffisants. Nombre de nos concitoyennes et concitoyens dans cette situation m'ont alerté, entre autres, sur les difficultés rencontrées à faire valoir leurs droits, sur la faiblesse de leurs allocations mais aussi sur l'injustice qui leur est faite lorsqu'ils vivent en couple.

Il existe dans ce pays des forces considérables pour relever le défi d'une santé solidaire. La logique de détricotage et parfois de dynamitage qui est à l'oeuvre depuis des années, et qui va être poussée plus loin encore, madame et monsieur les ministres, par votre budget, s'inscrit au rebours de ce que nous devrions faire.

Selon Ambroise Croizat, « le progrès social est une création continue ». Si cela pouvait vous inspirer, nous n'en concevrions aucune jalousie.

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