Intervention de Florence Lambert

Réunion du jeudi 4 juillet 2019 à 9h15
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Florence Lambert, directrice du CEA-Liten :

– Merci pour cette invitation. Effectivement, je dirige le CEA-Liten qui compte un millier de chercheurs dans les nouvelles technologies de l'énergie, avec une visibilité aujourd'hui mondiale. En termes d'effectifs, nous sommes le troisième institut au monde à travailler sur les nouvelles technologies de l'énergie, et le premier en nombre de brevets par chercheur, en déposant 220 brevets par an.

Je voudrais surtout revenir aujourd'hui sur deux aspects. Tout d'abord, avec ma vision de chercheuse, un peu à 360 degrés, j'évoquerai les grands défis qui sont devant nous. Ensuite, comme vous le proposez, j'illustrerai les stratégies et les résultats qui ont été produits par le CEA dans les cinq dernières années.

Pour moi – c'est la thésarde de l'ADEME, l'une des premières sur le stockage de l'électricité, qui vous parle –, un des points importants est la réflexion planétaire que nous voyons se développer et qui est aujourd'hui reprise dans une stratégie nationale, affirmée et forte. Pour un organisme de recherche, cela constitue une réelle opportunité pour permettre de synchroniser l'ensemble des feuilles de route.

Maintenant, face à cette vision qui aujourd'hui se précise, je vois différents défis. Tout d'abord, le défi technologique. Nous allons au-devant de ruptures technologiques, que ce soit pour le solaire photovoltaïque, les batteries ou l'arrivée de l'hydrogène. Ces ruptures technologiques vont rebattre les cartes dans le monde. Cela veut dire qu'il faudra peut-être démarrer de nouvelles usines. Dans ce contexte, nous devons être attentifs à promouvoir une initiative européenne et française. Nous n'aurons peut-être pas forcément en face de nous, sur chacun des sujets, des usines asiatiques déjà amorties. Pour moi, c'est un sujet, et je pense qu'avec Didier Roux, ici présent, nous allons pouvoir échanger sur ces aspects.

C'est un sujet sur lequel il faut vraiment se concentrer pour essayer de voir quelle sera notre stratégie future. Je ne crois pas que nous resterons une grande nation de l'énergie si nous nous contentons d'intégrer des cellules, que ce soit des cellules photovoltaïques de champs solaires ou des cellules de batteries pour les véhicules électriques. Leur évolution est un vrai enjeu et le fait de les intégrer simplement au niveau du système ouvre le risque de ne pas avoir accès aux dernières technologies, qui sont très évolutives, et fait peser un risque de décrochage sur l'ensemble des sujets. Nous devrons investir de nouveau dans des usines avec des objectifs technico-économiques mondiaux.

Deuxième point important, la transition énergétique ne sera pas juste la juxtaposition de technologies de production ou de stockage. Il faut une vision systémique des solutions et c'est là un défi pour les chercheurs. Il va falloir, comme l'évoquait tout à l'heure Madame Vieillefosse, avoir une vision systémique multifactorielle, en traitant les électrons, la chaleur, les gaz, dont l'hydrogène qui constituera probablement une passerelle énergétique. Dans ce contexte, les chercheurs vont devoir aller assez vite sur des évolutions des usages qui seront aussi sources d'innovation.

Le troisième défi, dont on parle régulièrement, est le croisement avec le numérique sous toutes ses formes. C'est un défi majeur, avec les capteurs, les « big data », des briques logicielles, des outils numériques pour optimiser l'ensemble.

Face à l'ensemble de ces défis, le CEA mise sur une vision complètement intégrée et unique de l'énergie, en coordonnant tous ces sujets, tenant à la fois du nucléaire et des énergies renouvelables, en gardant une vision complémentaire de ces énergies et en cultivant cette vision systémique. Nous allons mettre également l'accent sur le croisement entre technologie et numérique.

Dans le cadre des nouvelles technologies de l'énergie, nous avons fait des choix, en nous concentrant sur les sujets où pouvons bénéficier de positions différenciantes. Je rappelle que, dans notre histoire, nous sommes partis de deux origines : d'une part, la maîtrise des matériaux, issue du nucléaire, qui a permis de développer un socle de connaissances sur l'hydrogène ou les batteries ; d'autre part, sur la microélectronique, qui aujourd'hui est porteuse de ruptures dans les procédés, en particulier dans le domaine du solaire.

Ensuite, nous avons appliqué le modèle de la recherche technologique, qui permet de travailler sur toute la chaîne de valeur des matériaux composants jusqu'à l'intégration système, en investissant dans des lignes pilotes importantes pour les usines et qui réduisent les risques des développements des procédés pour les industriels, et en travaillant avec un segment industriel qu'on oublie parfois : les équipementiers industriels. Quand nous imaginons une usine, certes, il s'agit d'investissement, mais aussi de compétence en matière de procédés industriels et celle-ci est souvent portée par le segment des équipementiers. Bref, cette démarche permet d'agréger des écosystèmes industriels sur toute la chaîne de la valeur en développant des filières complètes.

Sur ces nouvelles technologies de l'énergie, nous avons trois axes de développement qui s'intègrent dans la transition énergétique. Le premier vise à travailler sur l'électrification des systèmes, des réseaux ou du transport. Dans cette électrification, nous concentrons nos recherches sur le solaire photovoltaïque, en développant des filières qui sont aujourd'hui au meilleur niveau mondial, à la fois en matière de rendement – nous sommes au-delà de 23 % en performances industrielles, et non plus de laboratoire – et avec des coûts compétitifs, c'est-à-dire en visant 20 centimes d'euro le watt crête. Cette technologie est mature. Elle a d'ores et déjà été transférée à ENL, en Italie, et elle est aujourd'hui complètement disponible pour être transférée sur le sol français. Des discussions sont en cours.

Le deuxième sujet concernant le solaire photovoltaïque consiste à le déployer sur l'ensemble des surfaces et de travailler aussi bien sur le solaire flottant que sur l'intégration du solaire dans les bâtiments. Cela constituera un vrai vecteur de déploiement d'électricité.

Le pilotage des réseaux énergétiques est bien sûr lié à l'intégration des énergies renouvelables. On parle de sources de production qui vont être commandables, avec l'électronique de puissance et la gestion de la demande. Ces deux notions vont également faire appel au croisement du numérique et de l'énergie. Le stockage est l'un des enjeux aujourd'hui pour le CEA sur l'ensemble de ses composantes, essentiellement en nous concentrant sur les batteries : nous prenons d'ailleurs part à « l'Airbus des batteries ». Nous travaillons sur les ruptures autour des batteries « tout solide », qui vont apporter plus d'autonomie, plus de sécurité, et à des coûts compétitifs (nous ciblons environ 70 euros le kilowattheure). Nous travaillons également sur l'hydrogène. Nous avons accompagné le consortium d'équipementiers français, incluant Michelin, Faurecia et Symbio, autour de la pile à combustible. Construire des piles à combustible pour la mobilité est une bonne idée, mais nous nous préoccupons d'atteindre une production d'hydrogène compétitive, avec des technologies à haute température, avec des objectifs à moins de 2 euros le kilo.

Je terminerai en disant qu'un troisième axe est aujourd'hui en train de se dessiner, de plus en plus nettement : il s'agit de superposer à toutes nos feuilles de route visant plus de rendement et plus de kilowattheures, des feuilles de route plus économes en matériaux et en procédés. Cet enjeu est de plus en plus ancré dans notre stratégie. Je suis assez convaincue que tout cela permettra d'arriver à des développements percutants, en encadrant nos développements avec des analyses de cycle de vie.

En conclusion, je voudrais être un peu provocatrice en vous disant que nous sommes aujourd'hui à un moment très important de la transition énergétique et que nous avons basculé dans une économie de marché. C'est une bonne nouvelle. Cependant, une plus mauvaise nouvelle tient peut-être aussi à cette économie de marché car nous ne devons pas oublier que les temps de l'énergie sont des temps longs. Si nous voulons rester une grande nation, il faudra investir, peut-être pas sur toutes les technologies, mais en en choisissant certaines, qu'il faudra maîtriser complètement.

Pour moi, le mot-clé, c'est la nécessité de synchronisation de tous les acteurs. Les choix des filières ne sauraient être aux mains des seuls acteurs de R&D. Il faut synchroniser à la fois les objectifs de l'industrie, les capacités de toutes les recherches, technologique comme fondamentale. Abdelilah Slaoui présentera tout à l'heure ce que nous faisons avec le CNRS sur ces sujets.

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