– Tout d'abord, je voudrais revenir sur un point important. Nous avons vu que les ambitions étaient très élevées côté pouvoirs publics. Vous n'êtes pas sans savoir que le premier rapport du Haut Conseil pour le Climat vient de paraître et explique clairement qu'il y a un décalage profond entre les objectifs et la réalité. À mon avis, cela est assez grave. Afficher des ambitions importantes, avoir des difficultés à les réaliser, puis passer son temps à redéfinir des objectifs en deçà de ceux fixés au début, crée beaucoup de confusion, y compris chez les citoyens. Je pense que ce n'est pas une bonne méthode politique. Je commence ainsi parce que je pense qu'il faut réfléchir. Si l'innovation pouvait contribuer à réconcilier les ambitions et la réalité, ce serait une très bonne chose. Je ne suis pas complètement convaincu que nous puissions le faire, mais nous pouvons y contribuer.
Dans ce débat, il faut séparer climat et énergie. Il y a un problème vis-à-vis de la production de CO2, c'est certain, et il faut faire la transition énergétique. Cependant, en couplant systématiquement les deux, nous compliquons les choses et les rendons quelquefois très confuses. Par exemple, le débat sur le photovoltaïque ou, plus généralement, sur les énergies renouvelables, n'a aucun impact sur les émissions de CO2, puisqu'en France, nous avons une production électrique fortement décarbonée. Il est certain que nous devons le faire, vis-à-vis des énergies du futur, mais il ne faut pas croire qu'en parlant d'énergies renouvelables, nous ferons baisser le CO2. Une enquête récente, parue dans un grand journal, montre que 66 % des Français pensent que le nucléaire est l'origine du problème du CO2. Lorsque nous en sommes à ce stade de désinformation, c'est assez inquiétant quant à la relation entre les citoyens et l'État.
Il faut donc réfléchir, comme cela a été dit plusieurs fois, à une cohérence globale. Je voudrais attirer votre attention sur le fait que certains territoires sont plus en avance que l'État sur ce sujet. Il se trouve que je suis président du conseil scientifique d'un projet TIGA2 porté par l'Agglomération de La Rochelle, dont l'objectif est « 0 carbone » en 2040 et qui porte a à la fois sur l'innovation, l'industrie, le transport, les bâtiments et la production énergétique. Ce projet essaie justement de créer sur le territoire une cohérence, avec une implication citoyenne, et surtout de mesurer l'impact de ce qui est fait. Je suis très souvent atterré par le fait que les gens passent beaucoup de temps à proposer des solutions, mais très peu à mesurer leur impact par rapport aux objectifs fixés.
Je vais vous donner deux exemples, l'un sur le bâtiment et l'autre sur le photovoltaïque. Je ne vais pas argumenter longuement sur le photovoltaïque, mais je ne pense pas que l'on puisse créer aujourd'hui une filière française du photovoltaïque.
Le bâtiment est évidemment l'exemple d'un réservoir énorme de possibilités d'économies, à la fois en énergie et en CO2. Les ambitions successivement affichées par tous les gouvernements, de 500 000 logements rénovés énergétiquement par an, n'ont jamais été respectées. Or c'est l'une des seules solutions efficaces aujourd'hui pour avoir un impact sur les émissions de CO2 et une baisse de la consommation énergétique.
Nous pourrions penser que dans le bâtiment, nul besoin d'innovation mais je vais néanmoins vous en donner trois exemples. Le premier est le besoin d'innovation dans les pompes à chaleur, qui constituent une solution efficace pour diminuer la consommation d'énergie nécessaire pour chauffer et alimenter les bâtiments. La France n'est pas particulièrement en avance dans ce domaine, mais il y a un réel besoin d'innovation.
Je vais prendre deux autres exemples tirés de mon expérience personnelle, lorsque j'étais le patron de la recherche de Saint-Gobain. Ces exemples commencent à déboucher industriellement. Le premier concerne l'isolation des bâtiments. Nous pourrions penser que nous savons isoler un bâtiment. Un amendement récent, voté par les députés, propose quelque chose de très raisonnable qui aurait dû être fait depuis bien longtemps : essayer d'éliminer les passoires énergétiques du territoire français. Cela pose quelques problèmes – je n'ai pas le temps de détailler ici – mais aujourd'hui, une partie importante des bâtiments dans une ville comme Paris sont des passoires énergétiques, dont le prix au mètre carré est pourtant de l'ordre de 10 000 euros. Ce n'est donc pas une question d'argent. Il y a derrière cela une problématique technique. Il n'est pas question d'imposer une isolation par l'extérieur sur des immeubles haussmanniens, pour des raisons évidentes. Pour les isolations intérieures, le problème est que 20 centimètres d'isolant, ce qui serait à peu près raisonnable, cela prend 1 à 2 mètres carrés de surface et enlève donc 10 000 ou 20 000 euros de valeur à l'appartement.
Nous avons développé, chez Saint-Gobain, une solution d'isolant très mince et très efficace, ISOVIP, qui est sur le marché depuis deux ans maintenant et qui permet de résoudre ce type de problème. J'ai moi-même équipé mon appartement parisien de cette technologie – preuve que je mets mes actes en accord avec mes ambitions - et je dois dire que c'est extrêmement efficace, y compris au niveau du confort, ce qui est un apport important de l'isolation. Quand je rentre dans mon appartement parisien, en hiver, grâce à cet isolant, il me faut maintenant une demi-heure en chauffage électrique pour avoir une température confortable. Avant, il me fallait 3 ou 4 heures. C'est un gain important.
Un autre exemple, qui concerne la mesure, est extrêmement important. Nous avons mis au point, chez Saint-Gobain, une méthode de mesure rapide de l'efficacité énergétique des bâtiments. En quelques heures, nous sommes capables de réaliser un diagnostic énergétique quantitatif de la fuite thermique des bâtiments. Cela n'existait pas avant. Depuis, d'autres technologies ont été développées par le CSTB, par l'IDES avec le CEA, et un certain nombre de techniques de mesure rapides de l'efficacité énergétique commencent à exister. Ces techniques permettent à la fois de contrôler les bâtiments que nous construisons ou que nous rénovons, et en même temps de donner des indications quantitatives sur les objectifs à atteindre. La mesure représente le début de l'amélioration. Tant qu'on ne mesure pas, on ne sait pas ce que l'on améliore.
À propos du photovoltaïque, je pense qu'il ne faut pas confondre développement technologique et filière industrielle. Bien sûr, il y a énormément de développement technologique à faire dans le photovoltaïque et d'ailleurs, cette filière a été ralentie par la baisse du coût de la technologie classique du silicium. C'est une bonne chose de faire de la recherche dans ce domaine. Par contre, le vrai enjeu est l'installation, et non la fabrication des panneaux photovoltaïques. Je rappelle que les panneaux représentent un tiers du prix des installations en général, que le prix est une « commodité » technologique mondiale, et que ce domaine est complètement tiré par les coûts. Aujourd'hui, il faut investir 1, 2 ou 3 milliards pour être un producteur de panneaux photovoltaïques au niveau mondial, avec des marges qui sont de l'ordre de 2 ou 3 %, après avoir perdu de l'argent pendant 10 ans. Cela ne se fera pas au niveau industriel. Les industriels ont bien mieux à faire en investissant dans des domaines où les enjeux sont plus importants et les marges meilleures.
Il ne faut pas croire que nous allons créer une filière technologique de fabrication de modules en France ou en Europe, uniquement par la volonté d'un gouvernement. Je rappelle qu'aujourd'hui, nous avons installé 8 gigawatts en France, qui produisent l'équivalent d'un gigawatt nucléaire installé, c'est-à-dire à peu près l'équivalent de 1 ou 1,5 % de la production d'électricité. Tout cela me fait dire que nous passons beaucoup de temps à discuter de choses qui ne sont pas au coeur de la problématique, si la problématique est la baisse du CO2 ou l'évolution de modes de production d'électricité.