– Je voudrais me concentrer sur la clé, le thème transversal de vos questions : l'acceptabilité, la désirabilité. Comment pouvons-nous faire pour embarquer nos concitoyens ? J'ai fait allusion à la crise des « gilets jaunes » et je l'ai mise en parallèle avec ce qu'on appelle la sobriété des systèmes – comment atteindre une sobriété de nos grands systèmes techniques ? Je vais vous donner un exemple. Au Shift Project, nous avons lancé une étude deux ans avant la crise des « gilets jaunes ». Nous étions donc relativement à l'aise pour en parler quand on nous a fait l'honneur de nous tendre le micro au moment de cette crise. Au sujet du coût de la mobilité, nous nous sommes dit : « puisque nous avons vocation à appuyer la transition énergétique, essayons de résoudre un problème clé et réputé insoluble : comment détrôner la voiture individuelle, là où elle est réputée indétrônable, en grande périphérie urbaine ». Nous avons fait ce travail d'expérimentation et de modélisation détaillée. La conclusion à laquelle nous sommes arrivés est qu'il faudrait une politique systématique et audacieuse d'investissement dans des alternatives à la voiture individuelle : les vélos, la capacité à utiliser les espaces de covoiturage – il y a de nombreuses start-up en Île-de-France et dans les autres grandes régions françaises qui se basent sur ce concept – ou à prendre facilement un bus ou un train. Les CAPEX3 n'auraient rien à voir en ordre de grandeur avec l'argent que nous avons pu mettre il y a plusieurs décennies dans le réseau autoroutier ou dans les TGV. Ainsi, cela permettrait aux gens de continuer à se déplacer normalement – je précise bien en grande périphérie urbaine et pas en centre-ville en trottinette – et à faire des économies de centaines d'euros par an sur leur budget de mobilité. Vous pouvez transposer la même logique dans le domaine de l'habitat. Bien sûr, il s'agit de faire des efforts. Effort d'investissement collectif dans le cadre de la mobilité, et effort particulier des propriétaires bailleurs dans le cas de l'habitat.
Il ne faut pas se méprendre sur l'ampleur du défi posé par la neutralité carbone. C'est un défi total. Une réduction de 5 % des émissions de CO2 par an est effectivement un effort de guerre. Le législateur ou le Gouvernement renâclent aujourd'hui à développer des formes d'obligation de rénovation pour les passoires thermiques alors qu'un certain nombre de grands patrons français, qui sont peu ou prou les porte-parole de la droite, défendent ce genre de mesure. C'est un passage obligé. Ce qui est intéressant, c'est que vous pouvez proposer à nos concitoyens une démarche qui va aboutir à créer une économie plus économe.
Le second point, c'est que cette évolution est inexorable. C'est cela aussi qu'il faut dire. Le climat est une excellente raison de sortir des énergies fossiles. Quand je parle du déclin potentiel de la production conventionnelle russe, regardez la presse, je ne suis pas en train d'agiter un vain péril. C'est réel. Le Kremlin dit bien que sa production conventionnelle risque de décliner à partir de 2021. C'est un quart de nos approvisionnements. Il me semble que nous avons maintenant les ferments d'un discours fédérateur, salubre, capable d'entraîner la société.
À propos des fake news, je pense que c'est aux relais d'opinion, aux médias, et en particulier, au législateur de défendre la parole scientifique – et je suis au meilleur endroit pour le dire. Lorsque le législateur inscrit dans la loi qu'en 2025, nous serons à 50 % de production d'électricité nucléaire sans effort, il trahit la réalité d'un constat physico-technique, d'une impossibilité. Il ne faut alors pas s'étonner que la parole scientifique et la parole politique soient décrédibilisées.