Intervention de Morgane Barthod

Réunion du jeudi 4 juillet 2019 à 9h15
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Morgane Barthod, fondatrice de la start-up Meteo*Swift :

– Bonjour et merci beaucoup. C'est un honneur d'être invitée à présenter notre activité et à partager notre regard sur les perspectives de recherche et développement dans les énergies renouvelables.

Je vais me concentrer sur notre domaine d'expertise, qui est la gestion de l'intermittence et le réseau électrique du futur. Ce que nous faisons à Météo*Swift est de la prévision de production. Nous prévoyons, de quelques heures à quelques jours à l'avance, maintenant également à quelques minutes, la production de parcs éoliens ou de panneaux solaires. Pourquoi avons-nous besoin de le faire ? Parce que ces énergies sont intermittentes et sans l'aide de nos technologies, elles peuvent être imprévisibles et perturber le réseau électrique.

Je pense que vous êtes familiers avec la loi de transition énergétique8, votée en 2015. Une partie de cette loi a impliqué un changement de mode de commercialisation des énergies renouvelables. Jusqu'ici, nous étions dans un système où les énergies renouvelables injectaient l'électricité sans avoir besoin de prévenir et recevaient un tarif fixe. Nous passons maintenant à un système de marché de l'électricité où, comme les autres sources d'énergie, les énergies renouvelables doivent faire une offre de vente la veille sur le marché et s'y tenir sous peine de pénalités. Pourquoi avons-nous besoin de changer de système ? Parce que nous avons de plus en plus d'énergies renouvelables, qui vont avoir un impact de moins en moins négligeable sur le réseau électrique. Nous aurons donc de plus en plus besoin de gérer cette intermittence.

En termes de technologie, nous travaillons avec de l'intelligence artificielle, de la météo et des statistiques. Comment faisons-nous pour fournir des prévisions de production ? Par exemple, pour un parc éolien, nous regardons l'historique de production de ce parc éolien ainsi que l'historique de prévisions météo dans nos bases de données. Pour chaque éolienne ou pour chaque panneau solaire, nous modélisons le comportement de cette éolienne ou de ce panneau solaire à l'aide d'algorithmes d'intelligence artificielle. Ensuite, chaque jour ou chaque heure, nous recevrons des prévisions météo et en déduirons des prévisions de production.

Nos axes de recherche et développement visent donc de meilleurs outils d'intelligence artificielle. Nous avons de la chance puisque dans ce domaine, l'état de l'art évolue très vite, ce qui nous permet de proposer des prévisions de plus en plus performantes. Nous travaillons également sur le deep learning.

Notre deuxième axe de développement est la gestion du risque. Aujourd'hui, nous sommes passés sur un système plus flexible, dans lequel le réseau électrique va recevoir des prévisions à l'avance. L'idée est d'aller encore plus loin dans cette gestion de la flexibilité et de s'appuyer sur la notion de risque, sur la gestion de l'incertitude. Plutôt que d'annoncer « demain à 10 heures, ce parc éolien va produire 17 mégawatts » il est plus pertinent de dire « demain à 10 heures, ce parc éolien a 90 % de chances de produire entre 15 et 19 mégawatts ». Cela permet d'avoir une gestion beaucoup plus fine de l'incertitude sur le réseau électrique.

Je vais ensuite parler plus généralement des perspectives de recherche et développement pour gérer l'intermittence, dont il faut relativiser les risques. Aujourd'hui en France, nous disposons d'une base, le nucléaire, qui est tout à fait prévisible, voire pilotable. La part des énergies renouvelables est croissante mais elle reste modeste. Ceux qui s'appuient sur le risque de l'intermittence pour dire que les énergies renouvelables se développent trop vite, exagèrent ce risque d'imprévisibilité. D'autres pays, qui sont beaucoup moins interconnectés que la France, ont beaucoup plus d'énergies renouvelables et s'en sortent très bien. Je pense notamment à l'Irlande.

La transition énergétique consiste effectivement à remplacer des sources d'énergie prévisibles et pilotables par des sources d'énergies beaucoup plus intermittentes. C'est donc un changement de paradigme pour le réseau d'électricité. Nous nous dirigeons progressivement vers une optimisation plus fine et à plus court terme, avec moins de bases et plus de flexibilité. Nos outils de prévision accompagnent cette évolution. La gestion du réseau électrique est l'axe qui requiert le plus de recherche. La France est en mesure de bien se positionner dans ce domaine, nous sommes très dynamiques en intelligence artificielle, en statistiques, en mathématiques. Ce sont des points forts du système éducatif français. Ces technologies se développent bien en France et peuvent s'exporter. Nous travaillons, par exemple, beaucoup à l'international et notamment dans les pays émergents qui ont un fort besoin d'une meilleure gestion, que ce soit en Chine, en Inde ou au Brésil. Dans ces pays, les énergies renouvelables se développent très vite mais le réseau électrique n'est pas à la hauteur et le besoin d'équilibrer le réseau y est encore plus fort qu'en France.

Pour illustrer ce changement de paradigme qu'est la transition énergétique pour l'équilibre du réseau électrique, nous pouvons faire le parallèle avec la téléphonie en Europe et en Afrique. En Europe, nous avons développé tout notre réseau de téléphonie autour de l'infrastructure fixe. En Afrique, tout le monde a un téléphone portable et il n'y aura probablement jamais de réseau de téléphonie fixe, puisqu'il n'y en a pas besoin. Je pense que dans l'énergie, nous nous dirigeons de plus en plus vers ce type de système. Les infrastructures qui ont été déployées en Europe ne le seront probablement pas partout dans le monde. Nous nous appuierons plutôt sur une gestion flexible, avec beaucoup d'énergies renouvelables, des outils puissants de prévision et de pilotage, des outils numériques avancés, des batteries pour la flexibilité, mais probablement pas besoin d'infrastructures aussi lourdes qu'en Europe. La France peut jouer un rôle important dans ces développements.

Je souhaiterais à ce stade faire quelques remarques un peu plus larges sur les axes de recherche et développement dans les énergies renouvelables. Tout d'abord, la transition énergétique a des conséquences géopolitiques. Jusqu'ici, notre ordre géopolitique était fondé sur l'accès à la ressource énergétique, mais l'enjeu porte de plus en plus sur les brevets : les énergies renouvelables demandent moins de ressources mais beaucoup plus de technologies. La France peut s'appuyer pour le solaire sur l'Institut national de l'énergie solaire. Malheureusement, un tel organisme n'existe pas pour l'énergie éolienne. Un Institut national de l'énergie éolienne, qui permettrait de dynamiser la R&D dans ce domaine, permettrait à la France d'occuper une meilleure place dans l'industrie éolienne. C'est d'autant plus intéressant et possible que l'industrie éolienne s'est bien développée et a mieux résisté à la concurrence chinoise que l'industrie solaire. Il y a de grandes entreprises dans ce domaine au Danemark et en Allemagne, et ce secteur devrait être plus encouragé en France.

Le deuxième point a déjà été abordé à plusieurs reprises ce matin. Je n'y reviendrai donc que rapidement. Il s'agit de l'acceptabilité, ou plutôt de la perception, de l'installation des énergies renouvelables. Il s'agit là de recherche en sciences sociales, mais des financements innovants comme en Finlande pourraient être envisagés.

Enfin, il demeure un enjeu important : le recyclage, puisqu'aujourd'hui nous avons de plus en plus de matériaux composites. Nous avons encore 20 ans devant nous pour trouver comment recycler les éoliennes, puisque ces matériaux composites ont été développés assez récemment, mais cet axe méritera d'être creusé.

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