Intervention de Christophe Clergeau

Réunion du jeudi 4 juillet 2019 à 9h15
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Christophe Clergeau, directeur de l'Observatoire des énergies de la mer :

– Merci de nous inviter pour donner effectivement une place aux énergies marines renouvelables, ou EMR, même si elles ont déjà été évoquées partiellement par d'autres orateurs.

Je voudrais faire deux remarques introductives. La première, c'est que cette filière existe depuis 20 ans. Il y a plus de 11 gigawatts installés en Europe.C'est une filière au bord de l'explosion et d'un très fort développement en France et à l'échelle mondiale. Les États-Unis, la Chine, et le Japon sont en train d'y investir massivement. Nous sommes au début d'une aventure industrielle mondiale. En second lieu, c'est le seul segment du renouvelable sur lequel l'ensemble de la chaîne de valeur peut être localisé en Europe et en France, avec une valence industrielle très forte, y compris dans les grands ensembles, ce qui la différencie de ce que nous avons entendu jusqu'à présent. Il y a également une proximité forte entre l'industrie des énergies marines renouvelables et le socle industriel de la construction navale et des industries maritimes, qui existe depuis très longtemps dans notre pays. Il s'agit donc d'une opportunité de diversification du socle industriel.

Les EMR représentent déjà 2 000 emplois et 85 % de chiffre d'affaires à l'export. C'est une industrie compétitive. Sa R&D est très dynamique. Les données sur l'évolution sur deux ans, collectées par l'Observatoire des Energies de la Mer, sont les suivantes : + 47 % en deux ans en nombre d'équivalents temps plein (ETP), + 72 % en chiffre d'affaires. Pour la R&D publique, cela montre un investissement très fort et un réel soutien des organismes de recherche et des écoles. L'originalité de cette R&D est qu'elle est très décentralisée, et fortement localisée dans l'Ouest de la France. Les régions Pays de la Loire, Bretagne et Normandie représentent près de 75 % des effectifs, et la Bretagne et les Pays de la Loire apportent à eux seuls 80 % du chiffre d'affaires de R&D. Cette R&D est donc très liée à des écosystèmes territoriaux autour des industries maritimes, qui sont très décentralisées.

Une question majeure pour les EMR est la question des sites d'essais, qui a été peu évoquée jusqu'à présent. Ceux-ci permettent de faire en mer la « preuve de concept ». Ils s'intercalent entre les outils numériques, ou les bassins d'essais qui se trouvent dans les laboratoires ou dans les écoles, et les fermes pré-commerciales ou commerciales qui permettent de tester en conditions économiques réelles. Nous avons en France des sites d'essais qu'il faut continuer à soutenir et qui sont multi-technologiques. Ils sont aujourd'hui utilisés pour l'éolien flottant, mais ils le seront aussi pour les autres technologies.

La question centrale pour nous est celle de la trajectoire technologique de ces énergies. Cela a été dit avant moi : l'éolien posé est aujourd'hui à maturité et a d'abord des enjeux de performance. L'éolien flottant va pouvoir être testé dans des conditions économiques réelles, avec la PPE. J'adresse d'ailleurs un grand remerciement à tous les parlementaires qui se sont mobilisés pour cela, parce qu'effectivement, le Gouvernement a rehaussé les objectifs de la PPE, et cela va permettre d'industrialiser l'éolien flottant, ce qui n'était pas possible dans la période précédente. Il existe encore une grosse interrogation sur l'hydrolien puisque pour le moment, il y a un blocage total sur la possibilité d'ouvrir des fermes pilotes hydroliennes. Ce serait la mort de cette filière, qui est certes sur un marché de niche, mais dans laquelle la France et les Européens peuvent acquérir un leadership mondial.

Le houlomoteur, l'énergie thermique des mers (ETM) ou les autres technologies que vous avez évoquées sont aujourd'hui encore dans les laboratoires. S'agissant de l'énergie houlomotrice, il existe 150 technologies disponibles dans le monde. Il demeure pour celles-ci un enjeu de preuve de concept, et nous sommes loin des technologies qui peuvent apporter une contribution rapide à la production d'énergie renouvelable, même si elles ont devant elles un potentiel élevé.

Je vais essayer d'éclairer un peu plus les enjeux des trois premières technologies que j'ai citées, et terminer sur des enjeux transversaux. Il faut que vous preniez conscience que la transformation de cette filière est extrêmement rapide et disruptive. En 2016, l'ADEME parlait d'une fourchette de prix de revient entre 123 et 227 euros le mégawattheure pour l'éolien posé. Dans le parc de Dunkerque, nous en sommes à 43 eurosMWh, non raccordé. Nous allons donc beaucoup plus vite que ce qui était envisagé. Aujourd'hui, les questions clés de la R&D portent sur les éoliennes de très grande puissance, sur l'impact sur les fonds marins, sur la faune aquatique et aérienne, sur l'optimisation des enjeux environnementaux, sur les interactions entre sols et structures (les machines étant beaucoup plus puissantes, les enjeux de lien au sol deviennent d'autant plus importants), sur le domaine du « data monitoring » et de la maintenance prédictive qui permettent d'intervenir le moins possible sur des éoliennes et de limiter les coûts de maintenance.

Pour l'éolien flottant, l'ADEME évoquait, en 2016, 165 à 364 euros du mégawattheure. Aujourd'hui, l'objectif fixé par la PPE est de 120 euros du mégawattheure pour les premières fermes commerciales et l'objectif fixé par le SER est la convergence avec l'éolien posé d'ici à 2030, ce qui signifie descendre en dessous ou autour de 50 euros du mégawattheure.

Aujourd'hui, les enjeux clés sont de réussir l'étape des fermes pilotes et ensuite l'industrialisation de la filière, pour engranger des gains de compétitivité qui permettent de baisser les prix. Cela passe par une meilleure caractérisation de la ressource, quand on est plus loin des côtes, et par le travail sur le design des flotteurs. C'est ce qui est en train de se passer en Bretagne et en Méditerranée, pour les fermes pilotes qui ont été retenues. Il y a aussi, bien sûr, l'enjeu des systèmes d'ancrage et, comme le disait M. Lombardet, toutes les technologies qui viennent du secteur de l'Oil & Gas, liées aux plateformes, sont transférables dans ce secteur. La question de la co-activité est importante : comment construire des flotteurs, des bases, pour développer d'autres activités comme l'aquaculture, la pêche ou autre ? Cela est expérimenté en ce moment en Méditerranée.

Sur l'hydrolien, le débat porte sur notre capacité à descendre en dessous de 150 eurosMWh. Il y aurait besoin, pour en faire la démonstration, des fermes pilotes du Raz Blanchard. Aujourd'hui, beaucoup de technologies sont disponibles, et des PME ont les moyens d'aller de la preuve du concept vers les fermes commerciales. Il est maintenant possible de tester des technologies. Puis il y a la question que vous avez commencé à aborder les uns et les autres. Aujourd'hui, nous testons en mer de très grandes hydroliennes mais dans les fleuves, nous pouvons en tester de plus petites – et elles sont déjà en service. À partir du travail de R&D sur les grandes hydroliennes, nous pouvons donc décliner toute une gamme d'hydroliennes, pour contribuer à l'autonomie énergétique dans des lieux qui sont loin des ressources électriques classiques. Il y a eu des tests en Loire et en Guyane. Beaucoup de territoires dans le monde pourraient bénéficier d'hydroliennes de moyenne puissance pour contribuer à leur autonomie énergétique.

Pour terminer sur les enjeux transversaux, des débats sont en cours entre les industriels, les chercheurs et les acteurs de la société civile sur ces sujets-là et notamment autour de l'Observatoire dans lequel nous essayons de faire dialoguer les forces économiques et sociales, les ONG, les industriels et les grandes collectivités locales impliquées. Bien sûr, nous avons les sujets classiques (matériaux, électronique de puissance) mais aussi beaucoup de mobilisation sur les impacts environnementaux, le travail autour de l'écoconception et de l'anticipation du démantèlement, et les enjeux de co-activité. Là, il s'agit vraiment de questions de sciences humaines et sociales et de sciences économiques. Nous réfléchissons aussi à ce que nous pouvons faire ensemble, entre le monde des EMR et les activités classiques telles que la pêche, l'aquaculture ou le tourisme. Les énergies marines renouvelables peuvent apporter une contribution importante à l'autonomie énergétique de plateformes ou d'infrastructures en mer, ou de territoires insulaires, et permettre beaucoup d'investissements combinant les différentes énergies marines pour aboutir à des réponses globales.

Dernier point qui a peu été évoqué depuis le début de la matinée : les sous-stations électriques et les enjeux de raccordement. Là, les investissements sont absolument massifs et il faut réaliser des gains de compétitivité, avec des enjeux de mutualisation. En Europe du Nord, une sous-station est partagée par de multiples parcs. En France, nous avons tendance à faire une sous-station par parc, et RTE regarde ce point avec beaucoup d'intérêt.

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