Les amis, allez-y et vous verrez : l'air est jaune ! Il est parfaitement irrespirable, et engendre toutes sortes de maladies. N'y voyons pas une simple gêne provisoire. Cette situation est bel est bien pathogène. On ne sait que faire pour s'en protéger, à moins de vivre avec un masque à gaz vissé sur le nez. Et qu'on ne vienne pas rire ! À l'autre bout de la planète, dans les ports et les criques des Caraïbes où s'accumulent les sargasses, les habitants n'ont d'autre choix que de respirer avec des masques à gaz. Nous parlons bien du XXIe siècle, à l'aube du changement climatique, alors que jamais les hommes n'ont produit autant de gaz néfastes.
Je regrette donc que vous ayez retiré votre amendement, monsieur Pancher. S'il avait été maintenu, je l'aurais adopté avec enthousiasme.
Pour ce qui est de l'article 38, je me dois d'évoquer un autre désaccord – le président m'excusera de l'aborder seulement maintenant. Il concerne l'ouverture à la concurrence des réseaux de transport urbain. Avec ce texte, la RATP sera autorisée à créer des filiales pour participer aux appels d'offres. Je respire un grand coup ! La RATP pourra prendre part à des appels d'offres concernant un service qu'elle rendait elle-même jusqu'à présent ! Ce n'est pas une trouvaille du gouvernement en place, mais l'application d'un règlement européen datant de 2007. Je ne vous en fais pas grief, puisque d'autres que vous siégeaient à cette époque. Pour autant, leur décision me paraît parfaitement irraisonnée : elle introduit de la concurrence dans des réseaux de transport qui sont de fait en situation de monopole, puisqu'ils rendent un service à la société. Vous ne modifierez pas les parcours des autobus ni des métros, car ceux qui ont déjà été mis au point sont les meilleurs. Nos ingénieurs y ont consacré de longues années, et ce n'est pas parce qu'ils appartenaient au service public qu'ils étaient moins intelligents ou habiles dans l'exercice de leur métier. En définitive, rien ne changera, sauf le statut des sociétés concernées. Nous parlons ici de 350 lignes de bus, 16 000 salariés et 3,5 millions de voyageurs par jour.
On ne changera donc que le mode d'accès, et c'est ici que le problème commence pour les usagers comme pour la société – car c'est bien la société que nous représentons ici, et non tel ou tel intérêt particulier. Demain, où iront les compagnies privées ? Là où c'est rentable : c'est leur raison d'être. Il en va tout autrement pour le service public, qui repose sur un principe de péréquation : certaines dessertes sont rentables, d'autres le sont un peu moins, mais tous les usagers ont accès au même service. Vous ne pourrez pas imposer une telle péréquation aux compagnies privées, puisque vous vendrez des fuseaux – fuseaux horaires, routiers ou ferroviaires. Les bons moyens se concentreront sur les beaux morceaux. Pour le reste, le service public n'aura qu'à se débrouiller ! Cette soi-disant mise à égalité des réseaux a beau appliquer une doctrine de concurrence libre et non faussée, elle organise en réalité une concurrence faussée et non libre. Le service public, quant à lui, restera soumis à l'obligation de servir tous les usagers et d'organiser des transports pour tous, indépendamment de la fréquentation des lignes.
En définitive, que se passera-t-il ? Les Français qui n'auront plus accès à une desserte de bus ou de métro, au motif qu'elle est trop peu fréquentée, prendront leur voiture. Nous en connaissons le résultat : il en sera question à l'article 39 du projet de loi. On retrouve ici les caractéristiques de la concurrence faussée, qui accable les services publics au profit des sociétés privées.
Tout le monde n'a peut-être pas pris la mesure de l'enjeu que représente la mobilité par le transport public. Comprenez bien mon raisonnement : je ne proteste pas ici contre le caractère privé de tel ou tel mode de transport – je le ferai dans un instant – , j'affirme simplement que c'est une façon délibérée de désarticuler le service public. La Commission européenne et les règlements relatifs au transport ont un seul et unique dessein : ouvrir et créer de l'espace pour les compagnies privées. Telle est la logique néolibérale dans laquelle certains voient la condition d'un monde plus dynamique et efficace. Pour notre part, nous n'en croyons pas le premier mot.
Le service public sera mis en difficulté, et le service privé pourrait connaître le même sort. Voyez ce qu'il en fut des bus censés remplacer les trains sur les petites liaisons : les sociétés ont progressivement fait faillite et une concentration s'est opérée, imposant un modèle de péréquation bien particulier, propre à l'économie capitaliste. Nous en revenons toujours au même point. Différence de taille, le service public ne sert pas de dividendes, tandis que le service privé en a quasiment l'obligation : les investisseurs attendent un retour. Les dividendes que le service public ne verse pas, il les réinvestit dans ses lignes, ses réseaux et ses machines. Tout ce qui sera perdu par le service public le sera donc pour les usagers, partout où ils existeront encore.
En 2019, la question de la mobilité ne peut plus être posée comme en 2000, voire à la fin des années 1990. Entre-temps s'est appliquée une autre loi, celle de la réorganisation du territoire, marquée par une concentration là où cela présente un intérêt – c'est-à-dire, souvent, dans les mégapoles. En milieu rurbain, les pôles de concentration sont en revanche plus disséminés, si bien que l'usager doit parcourir des kilomètres en transport individuel pour aller de l'un à l'autre. Il fait dix kilomètres le matin pour conduire ses enfants à l'école, dans une première zone concentrée, puis dix autres kilomètres pour rejoindre le centre administratif, autre zone de concentration, dix autres encore pour faire ses courses…
Nous subissons les conséquences de la longue réorganisation du territoire qui s'est opérée au fil des années, selon des critères parfaitement étrangers à l'intérêt public. À l'époque, on ne se posait pas la question en ces termes. Pourquoi donc les centres commerciaux sont-ils tous regroupés ? Parce qu'à cet endroit, les élus locaux – et j'en ai été, chers collègues – remportent la mise en offrant une taxe foncière moins élevée que leurs voisins. Ils se réjouissent que les grandes surfaces s'installent chez eux plutôt qu'ailleurs. C'est ainsi que cela fonctionne, et on ne peut en vouloir à personne. C'est la raison pour laquelle, in fine, un acteur doit exprimer l'intérêt général de la société.
Ces formes de concentration ont produit une nouvelle organisation du territoire. Aujourd'hui, un Français parcourt 45 kilomètres par jour en moyenne, soit neuf fois plus qu'il y a cinquante ans. Nous ne pouvons pas l'ignorer. L'intérêt général commande donc de répondre aux problèmes de l'éloignement, de l'étalement urbain et de l'accroissement des distances entre le domicile et le lieu de travail par une meilleure distribution du réseau de service public.
Non, les entreprises privées ne desserviront pas les endroits où les habitants ont du mal à trouver des transports en commun. Et non, le service public ne saura résister sans blêmir au choc de la perte de fuseaux au bénéfice du privé. Disons tout haut ce qui se pense tout bas !