Le projet de loi ouvre des perspectives et des droits nouveaux, plus spécifiquement aux femmes, qu'elles vivent ou non en couple. Je suis chargée de son article 4, qui tire les conclusions en termes de filiation de l'ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules.
Le dispositif que je vous présenterai, en lien avec la rapporteure chargée de cet article, porte sur les conditions d'établissement de la filiation. Il prévoit que les couples de femmes qui consentent, devant notaire, à faire une PMA avec tiers donneur, comme c'est le cas aujourd'hui pour les couples hétérosexuels, s'engagent au même moment, de manière très simple, à devenir les mères de l'enfant qui naîtra. En l'état actuel du projet de loi, le document qui établit la filiation est appelé « déclaration anticipée de volonté » (DAV). Il devra être produit lors de la naissance de l'enfant devant l'officier d'état civil. Nous avons proposé qu'il soit établi ab initio afin de sécuriser la situation, totalement nouvelle.
En outre, par souci, peut-être excessif, de symétrie, dans le projet de loi tel qu'il vous est présenté, les dispositions relatives à cette nouvelle forme de filiation ont été placées dans un titre propre, après le titre VII consacré à la filiation fondée sur la vraisemblance biologique et avant le titre VIII, tout aussi spécifique, qui porte sur la filiation adoptive. Nous créons un nouveau mode d'établissement de la filiation fondé sur la volonté et l'engagement conjoint de deux femmes, puisque la vraisemblance biologique, à l'évidence, ne peut pas jouer.
Je le sais, le sujet de la filiation suscite de très nombreux débats, absolument légitimes : les ministres et le Gouvernement se sont également interrogés. Leur choix, pesé, est issu d'une réflexion approfondie. Il faut aborder ces sujets avec infiniment de modestie et une certaine délicatesse. Aucun choix ne s'impose d'évidence ; chaque solution présente ses avantages et ses inconvénients.
Nous devons être juridiquement rigoureux – le sort de femmes et d'enfants en dépendra –, mais aussi prendre en considération les questions symboliques, d'une grande importance. Il faut également faire preuve de justesse dans les mots employés. J'ai entendu parler de « stigmatisation » ou de « discrimination ». Ces termes sont excessifs là où la réforme ouvre, en réalité, des droits qu'aucun gouvernement n'avait auparavant proposés. Une distinction juridique – ce n'est que cela – dans le mode d'établissement d'un lien de filiation n'est ni une stigmatisation ni une discrimination.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement propose une voie d'équilibre qui repose sur quatre principes simples. Le premier d'entre eux est d'offrir un nouveau droit aux femmes, en particulier aux femmes qui vivent en couple. C'est un engagement du Président de la République, un choix de progrès et d'égalité. Le deuxième principe consiste à offrir aux enfants nés dans ces conditions des droits en tout point identiques à ceux des autres enfants, dans un souci d'égalité. Le troisième principe est d'apporter la sécurité juridique aux mères et à leurs enfants, la filiation, non établie sur la vraisemblance biologique mais sur la base d'un engagement commun, devant être juridiquement très solide. Enfin, il s'agit, pour le quatrième principe, de ne pas revenir sur le droit applicable aux couples hétérosexuels. Nous souhaitons apporter des droits nouveaux sans rien retirer au régime de filiation applicable à ces derniers, ni le modifier. Ce point est important pour le Gouvernement.
Le texte est totalement novateur, car il permet de sécuriser le lien de filiation sur la base du consentement de deux personnes là où la vraisemblance biologique ne peut, à l'évidence, pas jouer. Les femmes concernées s'engageront dans un projet commun ; l'une et l'autre seront mères, sans distinction ni hiérarchie. C'est la victoire de l'égalité au profit des couples de femmes.
Ce progrès fera date ; c'est même une forme de révolution dans le droit de la filiation. Pour autant, ce progrès ne doit pas s'accomplir en portant atteinte aux équilibres juridiques existants : nous ne souhaitons pas imposer de nouvelles contraintes aux couples hétérosexuels. Le projet de loi tire les conclusions sur la filiation de l'ouverture du droit à la PMA pour les couples de femmes, mais ne vise pas à réformer le droit de la filiation dans son ensemble. Ce texte, porté par Agnès Buzyn, est relatif à la bioéthique ; il ne s'agit pas d'un projet de loi relatif à la famille.
Dans ce cadre, nous nous sommes demandés s'il fallait construire un mécanisme qui imposerait aux couples hétérosexuels de déclarer qu'ils ont eu recours à la PMA. Certains le souhaitent afin d'en finir avec ce qui est qualifié de « culture du secret ». Ce n'est pas complètement le choix fait par le Gouvernement, même s'il a exploré cette voie et demandé son avis au Conseil d'État. Il apparaît comme une évidence que les enfants nés de PMA au sein d'un couple hétérosexuel ne peuvent pas avoir moins de droits d'accès à leurs origines que les enfants nés dans un couple homosexuel. Ils auront exactement les mêmes. Si les parents ne les informent pas de l'existence d'une PMA, les enfants ne feront pas la démarche, nous assure-t-on. En tout cas, tous pourront engager cette demande d'accès à leurs origines.
Nous n'avons pas souhaité forcer les parents à divulguer le recours à une PMA, alors que c'est une évidence factuelle pour les couples de femmes. Le Gouvernement a fait le choix de laisser les parents déterminer le moment et les conditions de la divulgation de ce recours. S'agissant de sujets aussi délicats et intimes, l'État et le législateur ne me semblent pas devoir s'immiscer à ce point dans la vie des familles. Nous pensons qu'il faut faire confiance à celles-ci et, collectivement, les accompagner pour les convaincre que la PMA est un sujet dont il faut parler. Aujourd'hui, la PMA est socialement mieux acceptée. L'expérience personnelle et familiale des enfants issus de PMA dans les décennies à venir sera certainement très différente de celle des enfants nés il y a trente ans de parents eux-mêmes nés juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les mentalités ont changé ; nous devons les aider à évoluer davantage. Le projet de loi, par son objet, va y contribuer en banalisant la PMA, qui sera ainsi mieux acceptée. Enfin, soyons réalistes : les couples hétérosexuels qui voudraient continuer à se taire alors qu'ils ont eu recours à une PMA pourront toujours déclarer que leur enfant est né sans en faire état. La solution retenue me semble donc plus équilibrée et réaliste.
Le dispositif retenu fait l'objet de discussions, je le sais. J'ai été très attentive aux auditions extrêmement riches que vous avez menées. Je ne néglige aucune des questions soulevées, aucune des critiques, aucune des propositions que plusieurs d'entre vous m'ont rapportées. La création d'un nouveau document, la DAV, et d'un titre spécifique au sein du code civil a pu laisser craindre que nous entendions enfermer les couples lesbiens dans un cadre juridique à part. Telle n'est absolument pas l'intention du Gouvernement. Notre seul souci est d'offrir aux enfants et aux mères une sécurité juridique absolue : dès l'origine du projet de PMA, l'enfant à naître doit avoir un statut clair. C'est une sécurité pour lui et pour les deux mères.
Je prendrai un exemple simple : pour deux femmes qui se lancent dans un tel projet, le fait d'établir la filiation par un acte authentique devant notaire avant même la conception permet d'imposer cette filiation à la naissance, même si, entre-temps, un homme a fait irruption et revendique sa paternité par reconnaissance anticipée. L'officier d'état civil prendra connaissance de la déclaration devant notaire et la fera prévaloir sur la reconnaissance de paternité. Bien sûr, le contentieux n'est pas exclu, mais tant qu'il ne sera pas démontré que l'enfant n'est pas né de la PMA, les deux mères seront mères et leur enfant aura une filiation clairement établie.
Parce que nous construisons une filiation de toutes pièces sur le plan juridique, que nous voulons que les deux mères soient égales au sein du couple et qu'elles puissent s'engager dans cette voie le plus simplement possible, nous avons prévu une procédure légère, mais parfaitement sécurisée.
Certains se sont inquiétés de la mention de la déclaration anticipée de volonté dans l'acte intégral de naissance, qui dévoilerait donc publiquement que ces enfants sont nés d'une PMA, engendrant un risque de stigmatisation. J'entends cette crainte, mais veux la relativiser, puis proposer une voie pour y répondre : les enfants qui auront deux mères sauront, par définition, qu'elles ont eu recours à un tiers donneur – c'est une évidence. La mention dans l'acte de naissance, à laquelle seuls les enfants, leurs ascendants et descendants auront accès, ne change rien à cela. Je le dis avec force : non, le Gouvernement n'a pas l'intention d'imposer dans les actes de naissance une mention stigmatisante telle que « né d'un couple homosexuel ayant eu recours à la PMA » ! Comment peut-on imaginer cela ?
Mais j'entends les craintes et vos auditions ont été extrêmement utiles pour mieux les comprendre. C'est pourquoi je crois qu'il est préférable de mieux prendre appui sur ce qui existe aujourd'hui pour les couples hétérosexuels non mariés : la reconnaissance anticipée de paternité et de maternité. Nous pouvons faire évoluer les dispositions du projet de loi pour les rapprocher de celles prévues par le code civil pour les couples hétérosexuels, afin de banaliser la situation des couples de femmes. Le Gouvernement a travaillé très étroitement avec votre rapporteure, Mme Coralie Dubost, et avec les groupes LaREM et MODEM, afin de proposer une évolution dans deux directions.
Il s'agit d'abord de s'appuyer sur la notion de reconnaissance applicable aux couples hétérosexuels, afin que la mention figurant sur l'acte intégral de naissance pour les enfants nés d'un couple de femmes soit semblable à celle concernant un enfant né d'un couple hétérosexuel l'ayant reconnu de manière anticipée devant notaire. Après le nom des deux mères, il sera simplement mentionné que ces dernières ont reconnu l'enfant à telle date devant tel notaire.
Nous proposons également d'intégrer les dispositions portant sur la filiation des enfants nés d'une PMA avec tiers donneur au sein d'un couple lesbien dans le chapitre V du titre VII consacré à la filiation dans le code civil. Il n'y aurait donc plus de titre spécifique, comme nous l'avions initialement envisagé. Cela permettrait d'établir un tronc commun de règles applicables aux couples ayant recours à la PMA, quelle que soit leur orientation sexuelle. Nous préciserions simplement que la reconnaissance par les deux mères aurait lieu devant notaire. Serait-ce une démarche supplémentaire imposée aux mères ? Non, pas plus que pour un père qui, en l'état actuel du droit, doit établir ce document et le présenter pour déclarer la naissance de son enfant à l'état civil.
Nous aurons l'occasion d'aborder ces sujets dans le détail au moment de l'examen des amendements. Nous sommes d'ailleurs en train de finaliser la rédaction avec votre rapporteure. Ce double mouvement est de nature à rendre ce mode d'établissement de la filiation plus simple, plus sécurisant et encore plus banal, au bénéfice des couples pour lesquels nous ouvrons ce droit nouveau. C'est l'essentiel.