Cette semaine constitue une nouvelle étape, décisive, dans le cheminement de la révision des lois de bioéthique. La réflexion a débuté il y a près de deux ans, à l'occasion des états généraux de la bioéthique. Ce rendez-vous périodique de la science et du droit fait partie de ces instants qui font l'honneur du débat parlementaire. Je sais que nous avons tous le souci d'un débat digne au sein de la commission spéciale, puis en séance publique. C'est une condition nécessaire pour aller au bout des questionnements éthiques et juridiques auxquels nous confrontent les progrès de la science.
Une loi de bioéthique participe d'un défi collectif, celui de faire coïncider deux formes d'attentes qui semblent pourtant difficilement conciliables : ce que la science attend de liberté dans la société et le droit de faire progresser la connaissance, au carrefour entre recherche et soin, et ce que la société attend de la science comme modération, comme prudence, et ce qu'elle lui fixe comme règles.
Une loi de bioéthique ne couvre pas l'ensemble des questions auxquelles la recherche biomédicale peut apporter des réponses, car elles ne sont pas toutes bioéthiques. Mais, je tiens à vous rassurer, mon ministère prépare un projet de loi de programmation pluriannuelle pour la recherche, qui nous permettra d'aborder les grandes priorités de la recherche scientifique à venir.
Ce qui a conduit le législateur à se pencher sur la bioéthique pour la première fois, en 1994, est l'ampleur du questionnement éthique lié à la recherche sur l'embryon. Ce sujet demeure source de débats, comme en témoignent les très nombreux amendements déposés sur ce seul aspect du projet de loi. Rappelons que ce dernier réaffirme les grands principes de notre droit de la bioéthique en en précisant la portée. D'abord, l'interdiction de produire des embryons à des fins de recherche demeure. Le Gouvernement réaffirme son attachement à ce principe fort, énoncé par des textes internationaux dont nous sommes signataires. Les embryons proposés à la recherche ont été conçus dans le cadre d'un projet parental et leur destination est conditionnée au recueil du consentement du couple et au contrôle de l'Agence de la biomédecine.
L'article 14 du projet de loi précise la durée pendant laquelle la recherche sur l'embryon est autorisée. Nous avons fait le choix de quatorze jours, interrompant la recherche avant le début de l'organogenèse, processus qui pose des questions éthiques spécifiques. Le texte fixe également à cinq ans la durée de conservation des embryons surnuméraires destinés à la recherche, suivant les recommandations du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). À la lumière des avancées contemporaines en matière de recherche sur l'embryon, il nous a semblé souhaitable de ne pas entretenir artificiellement un stock supérieur aux besoins.
La création de chimères – le transfert pour gestation d'embryons humains dans lesquels des cellules d'autres espèces auraient été introduites – est aussi une ligne rouge. Son interdiction est clairement affirmée dans le projet de loi, la loi en vigueur étant ambiguë. Certaines recherches impliquant l'adjonction de matériels cellulaires humains à des embryons animaux peuvent susciter des espoirs en termes de connaissances et de thérapeutiques – par exemple dans le domaine de la greffe –, mais elles soulèvent aussi des interrogations. Nous serons attentifs à toutes les suggestions qui permettront de garantir la sécurité juridique des chercheurs et laboratoires.
Si notre droit de la bioéthique doit maintenir des interdits, votre travail de législateur consiste aussi à les faire évoluer pour prendre en compte la manière dont les résultats de la recherche scientifique ont modifié les questionnements éthiques. Le titre IV du projet de loi porte spécifiquement sur la recherche scientifique, notamment sur les enjeux contemporains de la recherche sur l'embryon et les cellules souches. En prenant appui sur les travaux du CCNE et de l'OPECST, nous avons souhaité intégrer les incidences de trois avancées scientifiques majeures pour nos chercheurs et nos laboratoires : la dérivation de lignées de cellules souches embryonnaires, le développement des cellules souches induites, dites IPS (de l'anglais induced pluripotent stem cells), et le développement de techniques de modification ciblée du génome.
Nous sommes capables de faire dériver des lignées de cellules souches issues d'un même embryon pour produire d'autres cellules souches embryonnaires. En réunissant les conditions de culture nécessaires en laboratoire, nous pouvons reproduire indéfiniment ce processus itératif grâce aux propriétés uniques des cellules souches embryonnaires. À l'article 14 du projet de loi, nous tirons deux conclusions de cette avancée scientifique majeure. La première est que si nous pouvons distinguer la recherche sur les cellules souches embryonnaires de la recherche sur l'embryon, nous pouvons faire évoluer le cadre normatif propre aux lignées de cellules dérivées des cellules souches originaires. La seconde est que, néanmoins, une cellule souche embryonnaire ne peut pas être considérée comme une cellule commune. Elle porte une histoire, un imaginaire collectif, que chacun doit respecter et qui justifie un régime spécifique. L'article 14 prévoit donc la déclaration des protocoles de recherche impliquant des cellules souches embryonnaires à l'Agence de la biomédecine.
Dès 2007, grâce aux travaux du Dr Shinya Yamanaka, prix Nobel de médecine, nous avons découvert que l'on pouvait faire revenir une cellule adulte déjà différenciée à un stade très proche, mais non identique, de celui d'une cellule souche. En réunissant des conditions très spécifiques de culture, cette cellule peut être différenciée à nouveau, parfois dans des directions différentes de son état d'origine. On peut également produire des lignées, comme on sait déjà le faire à partir de cellules souches, sans avoir à détruire d'embryons. L'objet de l'article 15 est de faire une place dans la loi à l'encadrement des recherches sur les cellules IPS. Même si leur manipulation ne pose pas de questions aussi lourdes de sens que celles concernant l'embryon, nous souhaitons vérifier que cela n'invalide pas le besoin d'apporter un cadre à nos chercheurs et laboratoires pour certaines de leurs expérimentations. Le Gouvernement est ouvert à une discussion sur l'intérêt du maintien d'un régime d'autorisation pour les recherches sur les lignées de cellules souches – peut-être pourrions-nous plutôt prévoir une déclaration ? Des amendements ont été déposés, nous aurons donc l'occasion d'y revenir.
Depuis quelques années, la science est également capable de modifier de manière très précise certains paramètres du génome. Les médias, comme les chercheurs, ont largement contribué à faire connaître cette technique dite CRISPR-Cas9, pour « courtes répétitions en palindrome regroupées et régulièrement espacées sur la protéine Cas9 » (ou clustered regularly interspaced short palindoromic repeatsCas9), parfois comparée à des ciseaux moléculaires. Il ne s'agit pas de modifier génétiquement des organismes qui transmettraient cette modification à leur descendance – cela demeure et doit demeurer interdit. Il s'agit d'observer ce qui se passe dans une cellule ou un organisme lorsque l'on modifie certains paramètres, afin de comprendre la fonction de certains gènes. Cette approche peut conduire à des avancées biomédicales majeures. Ainsi, en matière de recherche fondamentale en cancérologie pédiatrique, il y a fort à parier que ces techniques pourront apporter certaines réponses. Nous vous proposons de les encadrer à l'article 17.
Certes, la science nous a beaucoup appris ces dernières années, mais le questionnement éthique doit conduire à maintenir certains interdits. Nous avons cherché à maintenir l'équilibre dans le projet de loi. Est-il souhaitable de permettre à chaque citoyen de disposer d'un séquençage de son génome ? Pouvons-nous garantir à nos concitoyens d'améliorer leur bien-être et notre système de santé de cette manière ? Dans le cadre d'une fécondation in vitro, faut-il permettre aux parents de choisir des caractéristiques génétiques dans les embryons conçus, quitte à en écarter certains ? Comme vous, nous nous sommes posé ces questions, nous en avons exploré les implications et chacune des étapes de la chaîne qui lie une avancée technologique à un bouleversement sociétal. Il ne nous semble pas souhaitable d'introduire ces techniques dans notre quotidien. La position du Gouvernement est très claire : le diagnostic génomique doit s'inscrire dans un contexte médical ou de recherche. Ce point d'équilibre permettra de concilier les attentes des chercheurs et les besoins de la société.
Vous le voyez, les sujets d'interrogation seront nombreux. Nous aurons plusieurs semaines pour en débattre. Dans l'immédiat, je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.