L'exercice auquel nous sommes appelés est important. Il consiste en un travail sensible et exigeant. Il s'agit de regarder en face les questions qui sont posées à l'humanité par les avancées technologiques et scientifiques, et de dire le droit. À la faveur des décisions que nous prendrons – et qui mériteraient sans doute un débat éthique beaucoup plus large dans la société, car il nous concerne toutes et tous en tant que membres de l'espèce humaine –, nous engagerons des modifications pour lesquelles, il faut le dire, tout retour en arrière sera délicat.
Je formulerai quelques remarques sur le projet, avant d'indiquer les lignes de force qui guideront nos choix. Je souhaite, d'abord, mesurer le travail accompli, ce qui a été soupesé, dans un état d'esprit d'ouverture – dont j'imagine qu'il demeure d'actualité, même si nous avons désormais un projet de loi entre les mains. Ce texte, j'espère, est susceptible de continuer à évoluer.
Le projet de loi a le mérite d'affronter un certain nombre d'enjeux, mais n'en laisse-t-il pas d'autres de côté ? Je veux parler de ce qui résulte notamment des recherches sur l'intelligence artificielle ou l'humain augmenté, ou encore du large champ de l'utilisation des données de santé. L'éthique, je le souligne au passage, vient nous interpeller dans tous les champs de l'activité humaine, même si, ici, nous n'en prenons évidemment qu'une partie. Cela étant, chaque sujet que nous abordons nous montre combien ces enjeux dépassent le cadre national et appelleraient des débats éthiques à plus vaste échelle, car c'est bien le genre humain dans son entier qui est concerné.
Ensuite, ce texte, s'il court parfois le risque, du fait de sa philosophie, d'en rester à une approche individualisante du droit, va répondre positivement à un certain nombre d'aspirations, notamment celle de l'ouverture à la PMA pour toutes les femmes, permettant ainsi de tirer quelques conclusions des évolutions de la famille dans notre société et de mettre le droit en cohérence. Il ne s'agit pas de répondre à un certain nombre d'aspirations individuelles, même si celles-ci peuvent s'entendre à l'échelle d'une personne, mais bien de répondre à des questionnements d'ordre collectif, qui engagent au-delà de soi-même.
Toutefois, je dois dire que nous peinons parfois à saisir la cohérence de certains choix. Or ce n'est pas un enjeu mineur : définir nos choix éthiques exige de rechercher la plus grande cohérence face aux contradictions. Nous nous interrogeons, par exemple, sur la distinction introduite à propos de la filiation – mais, madame la garde des Sceaux, vous avez annoncé des nouveautés à cet égard – et sur l'utilité de la DAV. Nous nous interrogeons sur le plein respect du don, sur la notion d'origine, sur le risque de sélection génétique en lien avec le DPI, sur les garanties publiques et sur les moyens publics consacrés à ces enjeux, sur l'accompagnement humain, ou encore sur les bases de données et leur usage.
Nous pensons nécessaire de fonder sur une pensée conséquente et durable les choix que nous faisons, de toujours mettre en rapport les moyens et les fins. Dans le cours du débat, nous serons donc attentifs à ce que jamais les impatiences et les appétits du capitalisme n'emportent la décision ; à ce que jamais la tentation de toute puissance n'emporte la raison ; à ce que jamais l'ordre moral n'emporte le courage d'accompagner les changements nécessaires. Face à ces enjeux éminemment politiques, à ces questionnements d'ordre civilisationnel, la société s'interroge. Le débat doit faire droit aux interrogations. Notre état d'esprit consistera à avancer dans une vraie discussion. Nous avons reçu de nombreuses interpellations et nous devons être conscients, dans nos débats, des situations humaines, des désirs contrariés, des vies concernées. Nous cheminerons avec une question au coeur : quelle humanité voulons-nous être et comment respecter, au fil des choix que nous avons à faire, la dignité de la personne humaine, et donc l'égale dignité des personnes humaines d'aujourd'hui et de demain ?