Intervention de Frédérique Vidal

Réunion du lundi 9 septembre 2019 à 20h40
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

Je voudrais revenir sur la recherche d'équilibre qui nous a animés. M. Thibault Bazin a affirmé qu'il fallait faire très attention à ne pas autoriser tout ce qui était techniquement possible et qu'il convenait de mettre en regard ce qui était possible et ce qui était souhaitable. Vous avez été nombreux à exprimer cette préoccupation, que nous partageons pleinement. Nous avons, de fait, maintenu quelques-uns des interdits fondamentaux, telle la prohibition formelle de créer des embryons à des fins de recherche, tout en instituant de nouveaux principes. Ainsi, nous avons limité la durée d'utilisation des embryons à des fins de recherche à quatorze jours, alors que certains chercheurs souhaitaient travailler sur les phénomènes d'organogénèse, qui interviennent après quatorze jours de développement embryonnaire. Nous avons fait le choix de quatorze jours parce que c'est le moment où apparaissent potentiellement les éléments précurseurs de ce qui deviendra le système nerveux. Il nous est apparu important d'instituer cette limite, que ne posait pas la loi précédente. Lorsque cette dernière a été élaborée, on savait très peu de choses – pratiquement rien, devrais-je dire – sur la possibilité d'avoir des cellules pluripotentes induites. Nous avons encadré l'usage de ces cellules, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent. Nous avons bien opéré systématiquement un choix entre ce qui est techniquement possible et ce qui est souhaitable.

Le diagnostic préimplantatoire est très souvent demandé parce qu'on observe des fausses couches dont on estime qu'elles pourraient être évitées. Sur ces questions, on en sait finalement assez peu. Contrairement aux idées reçues, les risques d'infécondité et de fausses couches sont liés à l'âge tant du père que de la mère. Il est donc très important que nous puissions répondre, par la recherche, aux questionnements sur les fausses couches. L'aneuploïdie en est une des causes, parmi d'autres, mais ne constitue pas le déterminant général et majeur. Je veux dire par là qu'il ne faut pas faire croire à un couple que, parce qu'on aura cherché un certain nombre d'anomalies, son parcours de fécondation in vitro en sera facilité. C'est un risque de dire à ces couples qu'on a tout cherché, tout compris, qu'on est sûrs que les embryons qu'on va réimplanter sont parfaits, que tout va bien fonctionner et qu'ils n'ont plus à se préparer, notamment psychologiquement, au fait que les fécondations in vitro, parfois, échouent.

Cela m'amène à la question de la recherche sur l'embryon, qui a été autorisée, il y a plus de vingt-cinq ans, dans des conditions extrêmement strictes. Nous ne changeons absolument rien à l'encadrement de ces recherches, parce que nous pensons que ces règles permettent toujours de répondre aux questionnements actuels sur la bioéthique. J'insiste sur l'importance de la recherche sur l'embryon, qui est peut-être mal comprise. Quelques chiffres permettront de mettre à bas certains fantasmes en la matière. Depuis 2004, 19 000 embryons humains sont conservés – c'est la raison pour laquelle nous travaillons aussi sur la durée de la conservation – et 3 300 d'entre eux ont été utilisés à des fins de recherche. Un grand nombre des recherches autorisées concernent l'implantation des embryons et la compréhension du développement embryonnaire précoce. Elles ont trait, notamment, à l'effet que peuvent exercer certaines molécules sur l'aneuploïdie, c'est-à-dire sur les raisons mêmes de l'échec d'un certain nombre de PMA. La recherche, me semble-t-il, n'a pas encore livré suffisamment de connaissances pour nous permettre d'aller plus loin sur la question du DPI. J'estime que nous devons lui accorder les moyens de poser les bonnes questions et d'apporter ces connaissances.

Les couples qui autorisent l'utilisation des embryons créés initialement dans le cadre d'un projet parental et n'en faisant plus l'objet ont le choix, soit de demander leur destruction, soit d'autoriser qu'ils soient proposés à d'autres couples rencontrant des problèmes de fertilité, ou étudiés dans le cadre d'un projet de recherche. Dans tous les cas, les embryons qui ne font plus l'objet d'un projet parental vont être soit utilisés par d'autres couples, soit détruits avant ou après qu'ils aient pu aider à poser une question dans le cadre de l'activité de recherche. J'insiste sur le fait que, l'an dernier, seules dix-neuf naissances ont résulté d'un don d'embryons : les couples infertiles qui se voient offrir la possibilité d'utiliser des embryons issus d'un autre projet parental n'exercent pas prioritairement ce choix. Il me semble donc essentiel de rappeler quelle est la réalité de la recherche sur l'embryon. Les recherches se font sur l'embryon humain parce qu'elles ne peuvent pas porter sur autre chose qu'un embryon humain : c'est le coeur des lois de bioéthique.

M. Brindeau a évoqué les tests algorithmiques, moyen par lequel nous souhaitons faire entrer l'intelligence artificielle dans la loi de bioéthique, étant entendu que des améliorations rédactionnelles sont tout à fait possibles. Les tests auxquels nous faisons référence, qui font appel à l'intelligence artificielle, peuvent contribuer grandement à améliorer les diagnostics difficiles, notamment pour les maladies rares. Toutefois, la loi prévoit la permanence de l'intervention humaine, qui reste essentielle. On ne peut pas confier à des intelligences artificielles ou à des algorithmes le soin de poser des diagnostics, sans un regard humain.

Connaître l'algorithme n'a pas beaucoup de sens dans ce contexte, sachant que l'on attend des algorithmes qu'ils fonctionnent en deep learning, c'est-à-dire qu'ils évoluent en permanence pour améliorer continûment leurs capacités prédictives. Il est difficile de définir une fois pour toutes un algorithme à qui l'on demande de s'auto-améliorer pour être de plus en plus prédictif. La rédaction actuelle du projet de loi est équilibrée et jugée correcte par les spécialistes des algorithmes, même si l'on peut sans doute mieux expliquer le contexte d'utilisation de l'intelligence artificielle.

Pour répondre à Mme Silvia Pinel, des formations en bioéthique sont prévues dans le cadre de l'évolution des seconds cycles des études médicales, au sein de spécialisations. Nous étions certes convenus, lors du débat sur la loi santé, de ne pas imposer dans le cursus des études de médecine une liste interminable de matières, mais des formations spécifiques à la bioéthique sont bien prévues. D'ailleurs, au-delà même des études de médecine, elles devront être proposées aussi en biologie ainsi qu'à ceux qui travailleront avec l'intelligence artificielle sur des sujets de biologie humaine ou de médecine. Cela relève plutôt du domaine réglementaire, mais il serait possible d'inscrire dans le texte une précision qui vous paraîtrait nécessaire. Veillons, cependant, à ne pas définir trop précisément la formation à la bioéthique, parce qu'elle doit pouvoir évoluer et s'enrichir.

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