Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du lundi 9 septembre 2019 à 20h40
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Madame Limon, aujourd'hui une femme qui est dans une démarche de PMA et qui perd son conjoint brutalement peut proposer que les embryons en cours de conservation au moment du décès soient accueillis par un autre couple, mais elle ne peut demander leur transfert in utero. De facto, l'accueil d'embryons est très rare, les couples qui s'engagent dans un projet parental ne souhaitant pas accueillir des embryons qui ont été pensés dans un autre projet parental. C'est une réalité qu'il convient de prendre en compte.

Dans un souci de cohérence, on peut considérer que si l'on autorise la PMA aux femmes seules, il serait logique d'autoriser la PMA post mortem, et de permettre à des femmes ayant perdu leur conjoint d'accéder aux gamètes de celui-ci, à ses spermatozoïdes dans le cas d'un certain type d'infertilité, ou à un embryon congelé s'il existe, puisqu'on les autoriserait à accéder à un tiers donneur. On comprend le désarroi d'une femme qui perd son conjoint alors qu'elle est dans une démarche de PMA, et qui se verrait refuser la réimplantation d'un embryon ou les gamètes de son conjoint alors qu'on l'autoriserait à avoir ceux d'un tiers donneur.

Pour autant, après avoir beaucoup réfléchi, il nous apparaît que le deuil crée une situation qui n'est évidemment pas celle d'une femme impliquée dans une démarche de projet parental isolé. Pour avoir entendu des témoignages de femmes qui se sont engagées dans une démarche de PMA alors qu'elles n'étaient pas mariées, j'ai pu constater que ce projet était mûrement réfléchi, qu'il intervenait après qu'elles avaient pris acte qu'elles n'auraient pas de conjoint ou de compagnon. Il s'agit souvent d'un projet parental très assumé, concerté avec la famille, avec une capacité d'accueil très puissante de l'enfant à naître.

Le deuil, brutal, nous semblerait susciter plusieurs risques, en premier lieu pour l'enfant à naître qui aurait à en supporter le poids. L'AMP post mortem ne représente pas du tout le même investissement que celui d'une femme célibataire engagée dans une démarche d'AMP. Il pourrait y avoir une forme de transfert de l'image paternelle vers l'enfant du poids du deuil. Face aux risques qui pourraient peser sur sa construction, nous ne sommes pas certains de pouvoir garantir l'intérêt supérieur de l'enfant qui a été évoqué tout à l'heure.

Deuxièmement, il nous semble que ces femmes peuvent être en situation de vulnérabilité et faire l'objet de pressions. Sociétale, d'une part – tu étais en couple, tu aimais ton mari, tu as un embryon congelé, pourquoi ne vas-tu pas au bout de ce projet ? Familiales, d'autre part, par exemple de la part des parents d'un défunt fils unique, qui demanderaient des petits-enfants. En fait, alors qu'elles auraient le droit de faire leur deuil et de penser à une autre vie, de se projeter dans une autre famille, nous ne sommes pas certains de pouvoir garantir à ces femmes une liberté totale de choix.

En résumé, nous n'avons pas la garantie que l'intérêt de l'enfant serait préservé ; nous ne pensons pas pouvoir assimiler la démarche d'une femme célibataire allant vers une PMA à celle d'une femme en deuil ; nous ne considérons pas non plus comparable la situation d'une femme enceinte qui perd son conjoint par un accident à celle d'une femme qui concevrait un enfant posthume longtemps après le décès d'un conjoint. Voilà pour le plan éthique ; pour le plan juridique, je laisse la parole à Mme la garde des Sceaux.

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