Madame Fiat, si ce projet de loi sur la bioéthique ne comporte aucune mesure relative à la fin de vie, c'est d'abord parce que ces deux questions sont bien distinctes et l'ont toujours été sur le plan de la législation. Pour qu'une question figure dans une loi de bioéthique, il faut qu'elle fasse appel à une technique médicale et au progrès médical, ce qui n'est pas le cas de la fin de vie : aujourd'hui, nous savons mettre fin à la vie de quelqu'un sans avoir recours à des techniques particulières. Comme cela a toujours été le cas, la fin de vie doit être abordée dans le cadre de lois à part, relevant de l'éthique pure.
Pour ce qui est du sondage que vous évoquez, je crois que les Français mettent beaucoup de choses derrière le mot « euthanasie » : ce qu'ils veulent avant tout, c'est une fin de vie apaisée. Nombre d'entre eux ne connaissent pas la loi Claeys-Leonetti, qui répond déjà en très grande partie aux difficultés auxquelles peuvent être actuellement confrontées les équipes médicales face à des fins de vie dans le cas de pathologies chroniques ou sévères, et aux inquiétudes des Français quant à leur capacité d'avoir une fin de vie apaisée. Il ne faut donc pas brandir ce sondage comme s'il s'agissait d'un sondage sur l'euthanasie, et bien faire la distinction entre, d'une part, l'accompagnement de fin de vie et, d'autre part, l'euthanasie active qui peut être proposée dans certains pays, notamment à des personnes qui ne sont pas malades. Les questions de l'euthanasie et de la fin de vie peuvent faire l'objet d'un débat, mais ce n'est pas à moi de décider des thèmes dont le Parlement doit discuter, et je répète que le présent projet de loi relatif à la bioéthique ne comporte aucune mesure concernant la fin de vie.
Monsieur Hammouche, vous dites que l'eugénisme relève d'une intentionnalité, ce qui est vrai à l'échelon d'une nation. En revanche, quand le choix est possible à l'échelon individuel, il ne s'agit pas d'un eugénisme décidé au niveau de l'État, mais d'une pratique tolérée de facto par la société. Si je comprends bien la distinction que vous établissez entre cette pratique et celle d'un eugénisme mis en place par un État dictatorial, comme on a malheureusement pu en connaître, il me semble qu'une extension du DPI pourrait, par glissements successifs, ouvrir progressivement la voie à la notion d'exigence d'un enfant sain.
Aujourd'hui, les généticiens et les obstétriciens me parlent régulièrement de l'amyotrophie spinale, une maladie qui a pour conséquence pour les enfants qui en sont porteurs de souffrir d'insuffisance respiratoire et de mourir généralement à l'âge de deux ans, dans d'horribles conditions. En l'absence de traitement, toutes les équipes estiment qu'il vaut mieux ne pas laisser naître des enfants porteurs de cette pathologie qui peut être facilement détectée, puisqu'elle est monogénique, et j'entends ce raisonnement. Mais que dire d'une maladie dont on meurt non pas en deux ans, mais en cinq ou en quinze ans ? Que dire d'une maladie dont on ne meurt pas, mais avec laquelle on vit dans d'atroces souffrances ? Que dire de toutes ces pathologies qui étaient mortelles à brève échéance il y a cinq ou dix ans, et avec lesquelles les malades peuvent désormais vivre au-delà de trente ans grâce aux nouveaux traitements qui prolongent la durée de vie, comme c'est le cas pour la mucoviscidose ?
Quelles maladies faudrait-il détecter, et qui en déciderait ? Moi qui ai présidé la Haute Autorité de santé, je peux vous dire que j'aurais refusé une saisine de ce type-là. Il ne suffit pas de dire qu'on va détecter les maladies génétiques graves, car ce que chacun met derrière le mot « grave » est très variable : même au sein de cette salle, il y en aurait plusieurs définitions.
Je pense que l'analyse génétique des embryons aboutirait à une société qui n'aurait pas décidé d'être eugéniste, mais qui finirait tout de même par offrir la possibilité à tous les couples de faire procéder à une analyse génétique afin qu'ils soient sûrs d'avoir un enfant sans maladie – sans que l'on sache précisément quelles maladies sont absolument inacceptables –, car il pourrait paraître étrange que les couples bénéficiant d'une AMP puissent choisir d'écarter le risque d'avoir un enfant malade, alors que tous les autres y seraient exposés. Je ne vois vraiment pas comment nous pourrions nous opposer à l'évolution sociétale par rapport à la demande d'avoir un enfant sain.
Pour ce qui est des aneuploïdies, toutes les équipes ne sont pas d'accord sur les chances de succès d'une AMP dans ce cas, au point qu'elles souhaitent la mise en place d'un programme hospitalier de recherche clinique, c'est-à-dire d'une étude ayant pour objet d'évaluer le risque réel en fonction des différentes anomalies constatées. Si les aneuploïdies augmentent le risque de fausse couche, celle-ci peut être provoquée par de nombreuses autres causes, comme l'a indiqué Frédérique Vidal.
Les progrès de la science, notamment en matière d'AMP, aboutissent parfois à ce qu'on détecte sur des embryons des anomalies qui n'auraient pas été décelées autrefois. Il ne faut donc pas faire croire aux parents que les tests sont de nature à régler tous les problèmes. Enfin, quand on effectue une analyse caryotypique, on ne peut décider d'examiner seulement une partie des chromosomes : ils sont tous étalés de façon très visible sur une lame. Dès lors, que fait-on quand on détecte une trisomie 21, un syndrome de Klinefelter ou des anomalies des chromosomes porteurs du X et du Y ? Pour ma part, je ne vois pas quels parents pourraient décider de réimplanter un embryon potentiellement porteur d'une anomalie génétique.
La notion d'eugénisme intentionnel ne me paraît pas très pertinente car, si l'idée d'une société intentionnellement eugéniste fait horreur, ce n'est pas de cela qu'il est question ici : j'évoque, pour ma part, une dérive potentielle, qu'on ne verra même pas venir. C'est justement tout l'intérêt d'une loi de bioéthique que de permettre de débattre et de tirer ainsi le fil de toutes les nouvelles possibilités offertes par les avancées de la science.