Madame la garde des Sceaux, j'imagine que le projet de loi présenté en conseil des ministres avait été mûrement réfléchi. Puis, une heure avant le début de l'examen en commission, vous changez complètement d'option ! Cela complique notre travail et la manière d'appréhender les impacts des modifications. Les conditions d'examen ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Hier, je vous ai demandé s'il était possible de disposer d'un avis du Conseil d'État sur le nouveau dispositif, afin d'en mesurer l'impact. Vous avez finalement décidé de modifier le titre VII du code civil relatif à l'établissement de la filiation par présomption, dans le cas des couples mariés, et par reconnaissance volontaire, dans le cas des couples non mariés.
La commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) reconnaît que cela revient à donner « à la présomption et à la reconnaissance un sens différent de celui qu'ils ont traditionnellement en droit de la filiation, à savoir le reflet de la réalité biologique ». Cette option, qui peut apparaître au premier abord relativement simple, s'avère en réalité très complexe à mettre en oeuvre et heurte certains principes structurants du droit de la filiation.
En tant que majorité, c'est votre droit de le porter, mais ce n'est pas anodin ! C'est du reste pourquoi cette option n'avait initialement pas été retenue : elle impliquait de revoir en profondeur tout le droit de la filiation. Un projet de loi relatif à la bioéthique n'est pas le lieu de telles modifications. Cela exigerait de revenir sur l'interdiction d'établir une double filiation de même sexe, selon les modes d'établissements dévolus à la filiation d'apparence biologique. Or c'est cette interdiction, qui se conçoit dans le code civil comme une impossibilité, qui permet de contester une filiation. La présomption de comaternité ne peut avoir le même sens que la présomption de paternité, qui repose sur l'apparence. Une présomption de comaternité ne peut être qu'une simple présomption de la volonté d'être parent et ne peut être contestée de la même façon. La présomption de paternité se combat par la preuve biologique, tandis que la présomption de comaternité ne pourrait être combattue que par la preuve de l'absence d'implication dans le projet parental.
Votre proposition reviendra à faire coexister dans le même dispositif d'établissement de la filiation un modèle de vraisemblance biologique et un modèle de volonté, avec tous les conflits que cela peut engendrer. Dans son étude du 28 juin 2018, le Conseil d'État avait rejeté cette option, indiquant qu'elle était contradictoire avec la philosophie des modes d'établissement classique de la filiation, qui repose sur la vraisemblance, le sens de la présomption et de la reconnaissance étant de refléter une vérité biologique. Le Conseil d'État appelait l'attention sur le fait qu'elle conduirait à une remise en cause des principes fondateurs du droit de la filiation, fixés par le titre VII du livre Ier du code civil qui régit l'ensemble des cas de figure. Vous allez modifier la situation des couples hétérosexuels qui ont recours à un tiers donneur ; ce n'est pas neutre et cela ne correspond pas à la promesse gouvernementale de ne rien changer pour les couples hétérosexuels ! C'est pourquoi l'amendement n° 693 vise à supprimer l'article.