… aux femmes qu'on dit « seules », d'un air apitoyé, parce qu'elles ne sont pas mariées, alors qu'en réalité, elles sont souvent les maillons forts d'innombrables réseaux de solidarité.
Je veux rendre hommage à toutes les personnes qui ne rentrent pas dans les cases où une vision étriquée du monde tente de les enfermer, dont l'existence même est parfois, à elle seule, un combat au quotidien, et dont les victoires ne bénéficient pas seulement à elles, puisqu'elles font avancer toute la société en repoussant plus loin les chaînes de l'oppression et de l'aliénation.
Je veux rendre hommage à toutes les familles qui n'ont certainement pas attendu notre autorisation pour s'aimer, se composer et se recomposer, hors des schémas imposés ; pour exister tout simplement, vivre, dans le bonheur et dans la joie, les échecs et les réussites, les bonheurs et les malheurs du quotidien.
Je veux rendre hommage aux associations et collectifs qui, depuis des dizaines d'années, projet de loi après projet de loi, gouvernement après gouvernement, renoncements après renoncements, débattent, argumentent, manifestent pour affirmer le droit à aimer – ou non – , à s'épouser – ou non – , à avoir des enfants – ou non ; le droit à vivre, dans le corps ou l'identité de son choix. Pour que le fait d'aimer une personne du même genre ou du même sexe, ou de se situer n'importe où, au milieu ou en dehors du masculin et du féminin, ne soit pas une contre-indication à la parentalité.
Je veux leur rendre un hommage d'autant plus fort et appuyé que ce ne sont pas, je l'ai dit, les batailles d'un petit nombre ; ce sont les batailles pour la société libre et égale à laquelle nous aspirons, des batailles pour nous tous et nous toutes.
Aujourd'hui et au cours des trois prochaines semaines, cette assemblée va donc enfin débattre – il était temps – et voter le rétablissement d'un droit universel, qui existe d'ailleurs dans de nombreux pays sans que cela ait créé de rupture anthropologique majeure.
Ces discussions parlementaires arrivent après des années de mobilisations citoyennes, associatives, politiques, scientifiques ; des années de recherches, d'analyses, d'études, au cours desquelles tous les points de vue se sont fait entendre. Mais ceux-ci n'ont pas toujours été émis depuis les mêmes positions de pouvoir et de privilège, ni avec la même force.
Surtout, ces points de vue n'ont pas tous eu les mêmes conséquences pour les personnes concernées. Celles-ci subissaient déjà un déni de droit ; en plus, les moult tergiversations, renoncements et instrumentalisations politiques qui ont ponctué ce processus ont alimenté, voire légitimé les insultes, agressions, stigmatisations et discriminations envers elles, leurs enfants et leurs familles.
Aujourd'hui encore, certains termes utilisés dans nos débats et relayés à longueur d'antennes médiatiques fonctionnent comme des déclencheurs d'insupportables violences symboliques. Au cours des prochains jours et des prochaines semaines, plus que jamais, il sera de notre devoir, en tant que parlementaires, représentants et représentantes du peuple, de tout le peuple, de faire preuve d'exemplarité dans la tenue de nos échanges.
Aux défenseurs et défenseuses de l'égalité – nombreux et nombreuses parmi nous, je le crois, comme dans tout le pays – , aux citoyens et citoyennes épris de justice, aux militants et militantes contre toutes les discriminations, il va en outre falloir puiser dans ce moment de la force et du courage.
Car le combat n'est pas terminé : en l'état actuel du texte, par exemple, le mode de reconnaissance de la filiation pour les couples de femmes homosexuelles reste discriminatoire ; des personnes trans demeurent exclues du droit universel aux techniques d'assistance médicale à la procréation ; la protection des enfants intersexes contre les mutilations n'est pas encore complètement actée. Et au-delà de ce texte, plus généralement, d'autres droits, de nouveaux droits restent à conquérir.
Au terme de ce débat et de notre vote, nous aurons, je le crois, fait oeuvre commune ; nous aurons avancé d'un pas, certes petit, trop petit encore, mais avancé tout de même, dans le sens de l'histoire, la grande et belle histoire de l'émancipation humaine.
Et pour nous donner du courage dans le long chemin qu'il reste à parcourir, je terminerai par les mots de la poétesse afro-états-unienne Audre Lorde – une femme noire, lesbienne, militante de l'égalité et mère de famille. Dans Sister Outsider, un recueil dense et intense de ses essais parus entre 1976 et 1983, elle confie : « Quand j'envisage l'avenir, je pense au monde que j'ai ardemment désiré pour mes filles et mes fils. Je pense à la survie des espèces : je pense à la vie. Vraisemblablement, il y aura toujours des femmes qui marcheront avec des femmes, des femmes qui vivront avec des hommes, et des hommes qui choisiront les hommes. Je travaille pour un temps où les femmes avec les femmes, les femmes avec les hommes, les hommes avec les hommes s'attelleront ensemble à construire un monde où personne ne vendra son âme pour obtenir dévouement, beauté, ou amour. Et dans ce monde, nous élèverons nos enfants pour qu'ils soient libres de choisir comment s'épanouir pleinement. [… ] Tous nos enfants sont la promesse d'un royaume encore incertain. »