Nous voilà arrivés au débat public dans l'hémicycle de ce projet de loi relatif à la bioéthique. Pour ce qui est de la méthode, nous déplorons la manière dont le Gouvernement a procédé en ce qui concerne la filiation. En effet, c'est au début de la discussion en commission spéciale que nous avons appris que le Gouvernement avait décidé de complètement réécrire la partie consacrée à la filiation. C'est un détournement de l'esprit même de la procédure, laquelle permet au Gouvernement de réécrire une partie de son propre texte par voie d'amendements, car, en l'occurrence, cela est revenu à nous priver non seulement de l'étude d'impact – normalement obligatoire pour les textes gouvernementaux – , mais aussi du précieux avis du Conseil d'État qu'appelait cette nouvelle version. Soyons clair : il y a là un bricolage indigne pour un texte touchant profondément à la conception multiséculaire du droit de la filiation, qui pose très clairement le principe « mater semper certa est » – « la mère est toujours certaine ».
Toujours sur les questions de méthode, il est fort curieux de voir apparaître la question de la PMA sans père dans un texte traitant de questions de bioéthique, qui est un sujet de société et non de bioéthique. Il eut été bien plus pertinent de présenter deux textes, l'un traitant de la PMA sans père et l'autre de la bioéthique. C'est un autre point de divergence avec le Gouvernement.
Venons-en maintenant au fond. L'ensemble de ce texte pose de graves problèmes. L'ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules fait primer la toute-puissance du désir d'enfants sur l'intérêt supérieur de l'enfant. Cette extension institutionnalise par la loi et ex ante l'absence du père. Certes, beaucoup d'enfants grandissent déjà en l'absence d'un père ou avec un père, hélas, défaillant, mais ce texte propose de franchir un nouveau seuil : on fait subir délibérément à ces enfants le traumatisme lié à la suppression a priori de toute référence paternelle.
Un autre seuil sera franchi en supprimant la référence à la mère qui accouche dans les actes d'état civil, ce qui aboutit à revenir sur le fameux principe « mater semper certa est », déjà énoncé précédemment – « la mère est toujours certaine ». En effaçant également l'acte d'accouchement, on gomme toute référence biologique. Vous jouez aux apprentis sorciers : en considérant que l'enfant est avant tout un objet de désir, vous le chosifiez. Clairement, le Gouvernement cherche à franchir une ligne rouge éthique et philosophique.
De même, le critère médical d'infertilité, qui aujourd'hui conditionne l'accès à l'AMP, sera supprimé. C'est une autre ligne rouge qui sera ainsi franchie.
Vient s'ajouter à cela l'autorisation prévue de l'autoconservation des ovocytes pour les femmes qui le souhaiteront, en dehors de toute pathologie. Cela comporte un risque de marchandisation. Là encore, il s'agit d'une ligne rouge.
Le projet de loi, pourtant, ne s'arrête pas là, puisque d'autres dispositions concernent par exemple la recherche sur l'embryon ou encore le diagnostic prénatal. Ces mesures sont gravement contraires au principe de dignité, pourtant fondateur de notre vie en société.
Pour ce qui est des aspects spécifiquement liés à la bioéthique, le Gouvernement s'oriente vers un moins-disant éthique. Cette nouvelle révision témoigne d'une volonté de transgresser les limites fixées par la convention internationale d'Oviedo. En créant un régime de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines distinct du régime de recherche sur l'embryon, l'article 14 du projet de loi ouvre la voie à l'industrialisation de l'humain. Les recherches seront évidemment facilitées : on passe en effet d'un régime d'autorisation à un simple régime de déclaration.
Au cours des débats en commission sur l'article 14, j'avais proposé un amendement qui prévoyait l'interdiction explicite de tous travaux de recherche sur l'utérus artificiel. D'ailleurs, l'un des rapporteurs, notre collègue Jean-François Eliaou, avait déposé un amendement similaire. Hélas, ils ont été rejetés. Cela est vraiment de nature à inquiéter.
La France a souvent été citée en exemple pour ses débats et ses lois successives en matière de bioéthique. N'oublions jamais que les principes qui furent fondateurs en France et en Europe en la matière sont, d'une part, la protection de la vie de l'humain et du plus faible et d'autre part, l'indisponibilité du corps humain et la non-marchandisation du corps humain, véritables lignes rouges.
Les amendements que nous avons défendus en commission, et que nous défendrons à nouveau ici même, témoignent du fait que nous souhaitons que ces garde-fous demeurent. La loi doit être la plus explicite possible, afin de prévenir tout risque d'eugénisme, de transhumanisme ou encore de marchandisation du corps humain. Les débats en commission ont, hélas, montré que ces risques étaient réels en raison des ambiguïtés et du glissement vers un véritable moins-disant éthique.
Nous ne voulons pas d'une France où la loi se contente de légaliser ce que la technique rend possible. Les lois de bioéthique doivent affirmer les lignes rouges infranchissables, qu'imposent les grands principes républicains. C'est dans cet état d'esprit que nous allons maintenant débattre et défendre nos amendements.
Je terminerai en indiquant qu'au sein de notre groupe, non seulement la parole mais encore le vote sont libres. Je pense que d'autres devraient s'en inspirer.