Nous voici à la quatrième phase de révision de la loi de bioéthique. Depuis 1994, les textes successifs n'ont cessé de rendre possibles et d'étendre tous types de pratiques sous couvert de progrès – mais le progrès doit être abordé avec précaution, car, derrière la volonté absolue de progressisme, se dissimulent parfois les pires régressions. Nous avons beaucoup parlé, ou entendu parler, de la PMA et de son extension aux couples de femmes et aux femmes seules, mais le texte contient d'autres dispositions fondamentales.
Le régime de la recherche sur l'embryon et sur les cellules souches embryonnaires humaines est ainsi passé en moins de vingt ans d'une interdiction absolue à une autorisation encadrée. Comment expliquer cette évolution fulgurante ? Dire que notre conception de l'éthique a évolué à ce point en si peu de temps est loin de la vérité. Ce sont en réalité le progrès technique et les perspectives qu'il offre qui dictent ces évolutions.
L'embryon humain est la forme la plus jeune de l'être humain. La vision de la France et le droit français qui en découle reposent sur une conception humaniste, une approche ontologique de l'homme. Dans sa décision du 27 juillet 1994 relative à la bioéthique, le Conseil constitutionnel a consacré le principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Rappelant que « l'embryon est protégé au titre du principe de dignité », Bertrand Mathieu, conseiller d'État en service extraordinaire, précise que « la dignité n'est conditionnée que par l'humanité de l'être qu'elle protège » – mais de l'humanité, vous faites peu de cas lorsque vous soumettez à la représentation nationale un texte dicté par des minorités idéologiques.
Personne ne se fait d'illusions sur l'importance que représente aujourd'hui et que représentera à l'avenir le marché de la bioéthique. D'autre part, on comprend mal cette obstination à vouloir favoriser la recherche fondamentale sur les cellules souches embryonnaires humaines alors même que la recherche sur les cellules souches pluripotentes induites conduit à des résultats équivalents, mais préférables du point de vue de l'éthique.
L'homme doit concilier sa soif de connaissance avec le respect de certaines lignes rouges, qu'il ne doit pas franchir. Si ces lignes rouges sont définies par l'idéologie et la rentabilité, et non par le bon sens et la morale, tous les abus sont possibles. Ce sont ces lignes rouges qui vous ont fait reculer en commission spéciale sur le sujet du transfert d'embryon post mortem. C'est l'illustration, s'il en fallait une, que reculer n'est pas régresser. Ce sont ces lignes rouges qui devraient vous faire reculer lorsque vous interdisez la modification d'un embryon humain par adjonction de cellules provenant d'autres espèces en prenant soin de ne pas interdire la modification d'autres espèces par adjonction de cellules embryonnaires humaines.
L'embryon n'est pas un avoir, c'est un être. On ne saurait, par conséquent, en disposer à sa convenance, quelles que soient les justifications qui pourraient être avancées. C'est là la définition de la bioéthique : ériger des barrières afin de ne pas tolérer l'intolérable et de préserver certaines valeurs absolues. Pourtant l'on s'affaire à abattre toutes les barrières et à mettre l'homme au service de la science, à défaut de mettre la science au service de l'homme. Savoir si cela est bon ou mauvais n'entre plus en ligne de compte.
Supprimer la proposition systématique d'un délai de réflexion en cas d'interruption de grossesse pour raison médicale transforme cet acte, ô combien important dans la vie d'une femme, en une formalité. Toutes les décisions qui touchent à une grossesse, notamment celle de l'interrompre, sont délicates et ne sauraient être prises à la légère. Elles nécessitent, à tout le moins, un délai de réflexion.
Quant à la GPA, ne nous faites pas l'affront d'essayer de nous faire croire qu'elle n'est pas la prochaine étape : le texte crée les conditions de la marchandisation du corps humain. Les enfants de demain seront déracinés, sans identité, perdus dans une filiation alambiquée dont on ne saurait s'étonner qu'elle cause des perturbations dans leur développement, car si l'on ne sait pas d'où l'on vient, on ne peut savoir où l'on va. L'enfant n'est pas une marchandise ; l'homme n'est pas une machine et ne devient pas meilleur grâce au progrès. Ce texte entend permettre une évolution, mais un enfant n'est pas plus un droit qu'une marchandise.
On distord le réel pour satisfaire des intérêts minoritaires au détriment de la collectivité. Les effets négatifs du texte ont été démontrés à plusieurs reprises – et dernièrement encore, sur de nombreux points, par l'Académie nationale de médecine. Issu d'un être embryonnaire qui n'est pas respectable, l'homme est promis à devenir un être grabataire qui ne sera plus respecté : c'est, de l'avis des experts de la question, la perspective que nous offre le texte.